Le nouveau rapport de l'Observatoire marocain des prisons dénonce les mêmes maux dont souffrent les prisons marocaines. Le taux d'occupation moyen des prisons est de 133%. Certains établissements atteignent les 200%. L'OMP propose, pour mieux humaniser les prisons, une réforme de la loi 23-98 sur les prisons et des alternatives aux peines privatives de liberté. Rien de nouveau dans la lucarne des cellules du milieu carcéral marocain. C'est ce que rapporte l'Observatoire marocain des prisons (OMP), dans son volumineux rapport 2007-2008, de quelque 200 pages, présenté à la presse le 24 février. L'OMP recense les mêmes maux de toujours des prisons marocaines. Ils s'appellent engorgement des prisons, malnutrition, déficience des soins médicaux, harcèlement sexuel, consommation de drogue, corruption, transferts abusifs, maladies, promiscuité, suicides… On retiendra cependant que c'est le volet surpeuplement des prisons marocaines qui est le plus incriminé dans ce rapport. En effet, on dénombre quelque 60 000 détenus croupissant actuellement dans les prisons, dont plus de 40% sont en détention préventive. Or, la capacité de ces prisons ne dépasse pas 40 000 pensionnaires, soit un dépassement de 33%. Dans certaines prisons, comme celle d'Inezgane, à Agadir, à propos de laquelle le rapport souligne que 86 prisonniers se partagent une cellule de 6 m x 8 m, ce dépassement frôle les 100%. Les causes de l'engorgement sont résumées ainsi : le recours quasi systématique à la détention préventive, la non-application des mesures de contrôle judiciaire, l'absence de règles alternatives aux peines privatives de liberté (voir encadré). Conséquences, résume le rapport : violence, malnutrition, manque d'hygiène, propagation des maladies et suicide. Concernant ce dernier, le rapport de l'OMP cite quelques cas concrets : le 12 janvier 2008, Abdelhamid El Hamidi, numéro d'écrou 35 713, s'est pendu à la prison centrale de Kénitra. La cause : le refus de l'administration de lui prodiguer les soins de santé nécessaires. Quelques mois plus tôt, le 13 avril 2007, c'était un autre prisonnier, Hammou Ali, incarcéré à la prison civile d'Oujda, qui avait mis fin à ses jours, par pendaison, dans sa cellule. Selon le rapport, l'observatoire a reçu en 2007, de toutes les régions du Maroc, 520 lettres de prisonniers ou de leurs familles, se plaignant de mauvais traitements, de manque de soins médicaux et de transferts abusifs. Des dizaines de prisonniers, pour améliorer leurs conditions d'incarcération, ont entamé des grèves de la faim (35 grèves de la faim). 42% des plaintes parlent de mauvais traitements. Le contact entre l'administration pénitentiaire et les ONG rompu depuis fin octobre 2007 Un bémol à ce triste constat, reconnaît le rapport : «L'OMP, sans le soutien de la direction de la prison pour mineurs à Casablanca, n'aurait pu apporter assistance juridique à nombre de prisonniers». Le rapport, tout en recensant ses défaillances, regrette que tous ses efforts (lettres, communiqués, exhortations…) pour tirer la sonnette d'alarme sur ce qui se passe à l'intérieur des prisons se soient heurtés à un mur de silence. Abderrahim Jamaï, vice-président de l'OMP (voir entretien en page ci-contre), considère que ce rapport, malgré le tableau noir qu'il brosse, n'a pas pu cerner toute la réalité des prisons à cause des conditions difficiles dans lesquelles l'OMP et les autres ONG des droits de l'homme travaillent. Il se plaint de manque de contact entre la société civile et le délégué général de l'administration pénitentiaire. Or, selon lui, seule une mise en commun des efforts entre cette administration, les ONG et les élus pourrait sauver les prisonniers des conditions inhumaines qu'ils vivent. «La seule rencontre avec le nouveau responsable a eu lieu en décembre 2008, et elle a été purement protocolaire, puisqu'elle a eu lieu non dans son bureau comme il se doit, pour revêtir un caractère officiel, mais au sein du Club de la justice, à Rabat. Je vous rappelle aussi que nous sommes interdits de visiter les prisons pour constater, de visu, ce qui s'y passe. Notre dernière visite dans une prison, celle de Salé, remonte au 23 octobre 2007», rappelle Me Jamaï. Huit associations des droits de l'homme avaient effectivement participé à cette visite, dont l'AMDH, l'OMDH, FJV, l'OMP et Amnesty international (section Maroc.) Mais cette visite visait essentiellement, rappelons-le, les détenus de la Salafya jihadiya qui étaient en ce moment-là en grève de la faim. Le nouveau rapport de l'OMP va au-delà du constat, pour esquisser quelques solutions sous forme de recommandations. Tout en appelant qu'il soit mis fin d'urgence aux violations flagrantes des droits de l'homme dans les prisons marocaines, il considère qu'aucune «réforme n'est possible sans une stratégie globale de réforme de tout l'appareil judiciaire, et sans une politique pénale qui remet en question les peines privatives de liberté, sans une réforme du code pénal et du code de la procédure pénale, et sans un appui humain et logistique des prisons et d'encadrement de leur personnel…, les prisons doivent être sous la tutelle directe du ministère de la justice», note le rapport. L'OMP, à travers ce dernier, appelle enfin à un séminaire national auquel devraient prendre part tous les acteurs concernés par les prisons, «pour étudier leur état afin de les sauver de la catastrophe». Tout un programme. Le rapport propose une réforme de la loi 23-98 sur les prisons pour mieux humaniser le milieu carcéral Le rapport met l'accent, pour une vraie refonte du système pénitentiaire marocain, pour mieux l'humaniser, sur la réforme de la loi 23-98 relative à l'organisation et à la gestion des prisons, d'une part, et sur la nécessité d'élaborer des solutions alternatives aux peines privatives de liberté, d'autre part. Sur le premier point, le rapport reconnaît les avancées de cette loi par rapport à celles, très anciennes, qui les avaient précédées (elles datent, elles, de 1930 et 1973). Dix ans après son adoption, le rapport de l'OMP propose sa révision pour mieux répondre aux préoccupations actuelles des milieux des droits de l'homme. La première préoccupation est le respect et l'application de la loi par l'administration. Cela en introduisant de nouveaux outils de contrôle dans la gestion des prisons à même de créer une confiance entre le prisonnier et l'établissement pénitentiaire. L'autre préoccupation est la bonne gouvernance dans les prisons. «Toute mesure disciplinaire à l'égard d'un prisonnier, propose le rapport, devrait être soumise au contrôle du juge d'exécution des peines (qui n'existe pas encore dans la loi marocaine), tout en donnant le droit au prisonnier de faire opposition devant le tribunal administratif». L'autre solution pour une bonne gouvernance : instituer des règles claires de partenariat avec les ONG nationales et internationales de défense des droits des prisonniers. Dernière proposition du rapport : soumettre l'administration pénitentiaire au contrôle du ministère de la justice. L'autre point important développé dans le rapport concerne les solutions alternatives aux peines privatives de liberté. L'OMP a déjà, en juin 2007, organisé une conférence sur le sujet. L'idée-phare retenue dans cette conférence a été de mettre en œuvre des règles juridiques pénales à même de réduire le recours à l'emprisonnement. Une autre façon de désengorger les prisons.