L'Etat vient à la rescousse du pôle public. Après le contrôle à 100% de 2M, la holding SNRT doit absorber Medi1 TV, Radio Medi1 et Régie 3. Un nouvel ordre audiovisuel se dessine. Face à un long et criant immobilisme… on commençait à croire que l'audiovisuel public n'était plus au centre de l'agenda politique. D'où l'étonnement, dans certaines sphères, à l'annonce du regroupement de la Société nationale de radiodiffusion et télévision (SNRT), Soread-2M et Medi1 TV dans cette conjoncture pré-électorale. Cette fusion-acquisition donnera naissance à un nouveau mastodonte public. Une reconfiguration majeure aux effets d'un big bang est en marche ! Pas si étonnant que cela, selon des observateurs, compte tenu de la gravité de la situation financière des différentes structures audiovisuelles et du bouleversement des usages dicté par le numérique. Peut-être que la crise sanitaire a accéléré la prise de décision et l'adoption d'un choix stratégique qui fait l'objet de multiples lectures. Un peu partout dans le monde, l'ère du temps est à la concentration des médias pour faire face à la concurrence internationale et l'hégémonie des plateformes numériques, à l'image de Youtube et Facebook. Tous les leviers sont donc permis pour retrouver une certaine souveraineté médiatique tout en s'adaptant aux nouveaux modes de consommation des contenus audiovisuels. Autant d'éléments qui n'échappent pas au ministre chargé de la communication, Othman El Ferdaous, qui, avec son habituel ton serein, a annoncé les contours du schéma de ce méga-chantier de refonte de l'audiovisuel public sur un plateau JT de la première chaîne publique Al Oula, avant de se rendre au Parlement pour fournir plus de détails aux représentants de la nation. Tout un symbole sur la place privilégiée accordée à la SNRT dans le cadre de ce nouveau schéma directeur pensé et validé dans la plus grande discrétion. A ce stade, la SNRT a pris effectivement contrôle à 100% de 2M, celui de Medi1 TV (chaîne privée) devrait bientôt se concrétiser. Cerise sur le gâteau, dans cette nouvelle configuration, la Société nationale de radiodiffusion et de télévision doit également acquérir la radio privée Medi1 et Régie 3, la première régie marocaine en termes de chiffre d'affaires publicitaire (contrôlée à 100% par Radio Medi1) suite à une évaluation qui sera réalisée par des experts indépendants. Un énorme deal qui impactera à coup sûr l'avenir du marché publicitaire. La dernière phase porte sur la création effective de la holding SNRT dotée de sociétés professionnelles. En attendant, les préparatifs vont bon train pour boucler un nouveau contrat-programme entre l'Etat et la SNRT. De quoi donner de la visibilité au nouvel ensemble audiovisuel public piloté par la Société nationale de radiodiffusion et de télévision. Pour l'heure, rien ne filtre sur à propos du coût financier de cette lourde opération. Des gagnants ? Des perdants ? Faut-il parler de gagnants et de perdants ? Le grand gagnant doit être le citoyen marocain qui mérite des contenus de qualité, s'accorde-t-on à dire dans le milieu audiovisuel. Certaines voix dans le secteur appellent à la vigilance : Cette concentration ne devrait pas porter atteinte au pluralisme consacré par la Constitution et la loi sur la communication audiovisuelle. «La bonne nouvelle, c'est la prise de conscience des pouvoirs publics quant à l'importance stratégique de l'audiovisuel. Dans cette nouvelle configuration, chaque chaîne gardera son ADN. Le plus grand intérêt de ce regroupement est la mutualisation et l'optimisation des moyens et de la télédiffusion», se félicite-t-on au sein du top management d'une chaîne de télévision publique. C'est oublier que tout va être certainement (re)pensé pour garantir les meilleures synergies aussi bien sur les plans éditorial, technique que publicitaire. Qui va faire quoi en termes d'information, de divertissement... ? Il faudra attendre le nouveau contrat-programme entre l'Etat et la SNRT pour en avoir le cœur net. Pour rappel, les derniers contrats-programmes de SNRT et 2M remontent à 2012. A en juger par les premiers éléments disponibles, la SNRT, dirigée par Fayaçal Laraichi depuis plus d'une vingtaine d'années, est la grande gagnante de cette nouvelle reconfiguration de l'audiovisuel dans la mesure où elle va piloter le nouvel ensemble. S'il y un grand perdant, c'est bien Medi1 TV, qui jusque-là avait le statut de chaîne d'information destinée au Maghreb et à l'Afrique pour véhiculer le soft power à la marocaine. Ainsi, l'ambition de cette télé est revue à la baisse. Medi1 TV deviendra une chaîne d'info axée principalement sur le Maroc. Pour certains analystes, le nouveau parti-pris stratégique de l'audiovisuel public signe également l'échec de la synergie entre Medi1 TV et Radio Medi1. De son côté, 2M est vouée à renforcer un contenu de divertissements. Avec cette refonte, le nouveau pôle audiovisuel comptera au total 10 chaînes de télévision et 16 stations de radio. De nouveaux cahiers des charges plus souples En attendant la copie détaillée du gouvernement, le ministre de tutelle a annoncé, lors de son passage, le 25 mai 2021, devant la commission de l'enseignement, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants, au sujet de la stratégie du développement de l'audiovisuel public, que «le regroupement de la SNRT-2M-Medi1 TV s'inscrit dans une démarche permettant à l'Etat de gérer ses biens selon une vision stratégique et intégrée. La restructuration du pôle public a pour ambition de créer un meilleur produit en se focalisant sur le contenu local tout en accélérant la transformation numérique en préservant le financement du secteur audiovisuel national et en rationalisant l'intervention de l'Etat dans le renouvellement du capital». Toujours selon le ministre, «le contrat entre l'Etat et la SNRT s'effectuera à travers un contrat-programme équilibré incluant un plan de synergie détaillé en parallèle avec la modernisation des cahiers des charges, l'assouplissement des restrictions économiques et l'adaptation aux évolutions technologiques». Autre annonce phare : Un projet d'amendement du statut juridique et organique du secteur audiovisuel est en cours de finalisation. Une zone d'accélération audiovisuelle est également à l'étude. L'ambition est de nouer des rapprochements forts entre les activités de l'audiovisuel, le cinéma et les jeux-vidéos. Beaucoup d'espoirs sont portés sur cette stratégie de refonte de l'audiovisuel dont le calendrier des actions s'étale jusqu'à 2024. Publicité : Le nerf de la guerre On ne le répétera jamais assez ! Au Maroc, la publicité à la télévision ne coûte pas cher. La télé fait même de la concurrence à la presse. Une exception marocaine ! En temps normal, le premier média publicitaire draine en moyenne des investissements nets de l'ordre de 900 millions de DH, selon les estimations des professionnels du secteur. Le nouvel ensemble regroupant les chaînes Al Oula, 2M et Medi1 TV devrait représenter 30% à 40% du marché global de la publicité, dont le chiffre d'affaires net est évalué à 2,5 milliards de DH. A court et moyen terme, la deuxième chaîne continuera certainement à capter l'essentiel de la publicité télévisée. Reste à savoir comment la SNRT, après l'acquisition de Régie 3, compte faire évoluer les offres publicitaires des différentes chaînes TV et radios.