Depuis le grand Festival méditerranéen de Tanger de 1968, plus de trente festivals ont été créés, et des petites villes excentrées comme Zagora, Ifni, ou Imouzzer Kandar ont aujourd'hui les leurs. Comme les ciné-clubs autrefois, les festivals essayent d'inculquer la culture cinématographique et de débattre des grands problèmes qui freinent son essor, comme la disparition des salles ou les problèmes de distribution. Quel rôle jouent les festivals dans la promotion du 7e art au Maroc, au moment où les professionnels du secteur se plaignent que les salles obscures ferment les unes après les autres ? Jamais au Maroc les festivals de cinéma n'ont été aussi nombreux, aussi divers par leur thématique et aussi largement étendus géographiquement que ces dernières années. A tel point qu'en mars dernier, Tétouan et Safi ont programmé simultanément (hasard du calendrier, ou parti pris ?) leurs festivals, et que nombre d'observateurs et de cinéphiles se sont trouvésécartelés entre les deux manifestations. Il est des petites villes, comme Zagora, Safi, Khouribga, Sidi Kacem, Ifni, Zerhoun, Dakhla qui ont créé leurs festivals de cinéma pour promouvoir leur patrimoine touristique et briser leur isolement. Côté nombre, on a compté 36 festivals et manifestations cinématographiques en 2008 (voir liste en page suivante). Le Centre cinématographique marocain (CCM) leur consacre, selon une de ses sources, une enveloppe annuelle de 23 millions de dirhams. C'est dire l'importance de ces manifestations culturelles qui participent désormais à la création de ce que les professionnels du secteur appellent «un écosystème» favorable au 7e art. Les festivals cinématographiques auront sensiblement participé, analysent les responsables du CCM, à faire du 7e art «Oum Al Founoun» («la mère de tous les arts»), pour reprendre l'expression de l'actrice marocaine Aïcha Mahmah, à laquelle le dernier Festival du cinéma de Tétouan a rendu un vibrant hommage. En effet, pour la première fois, le cinéma se positionne dans la société marocaine comme la première forme d'expression artistique. Ce n'est pas par hasard non plus que le cinéma marocain est convié à nombre de manifestations internationales, la dernière en date étant le Festival international du film de Palm Beach, qui a eu lieu en Floride du 10 au 17 avril courant (festival classé au «top ten» des sept meilleurs festivals dédiés au 7e art par le magazine américain Movie Maker). Dans de nombreuses villes marocaines, note Mohamed Bakrim, critique de cinéma et responsable de la communication au CCM, se développe actuellement un débat houleux sur les salles de cinéma, grâce aux festivals qui se sont créés sur place. A Agadir, le cinéma est désormais dans l'air du temps et le public du dernier festival, celui de janvier dernier, a formulé la revendication d'une salle correcte. Il y a les festivals pour les mordus de cinéma et il y a les festivals paillettes et tapis rouges… Trois types de festivals marquent aujourd'hui la scène cinématographique nationale : les festivals internationaux, parfaitement incarnés par le Festival international du film de Marrakech (FIFM) ; les festivals nationaux et régionaux (de Tanger, Safi, Khouribga…); et, enfin, les festivals plutôt thématiques, incarnés par le festival de Kénitra sur la femme, celui d'Agadir sur le cinéma et l'immigration, celui de Rabat dédié au cinéma d'auteur… Cela, sans parler des festivals de courts-métrages à l'instar de ceux de Casablanca, Mohammédia, Tanger… Les amoureux du cinéma, conscients de la menace que représentent les fermetures de salles qui se succèdent et les problèmes de distribution, profitent de ces occasions pour en débattre. Ce fut le cas lors du dernier Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan (29 mars-4 avril dernier) où une table ronde avait rassemblé réalisateurs, producteurs et exploitants de films pour parler du rôle des festivals dans la promotion du cinéma et de la problématique de l'exploitation. «Selon mon expérience personnelle, martèle Hammadi Guerroum, directeur du Festival du cinéma d'auteur de Rabat, depuis les festivals de Khouribga et de Tétouan, on a appris à choisir entre deux types de festivals : le glamour, avec vedettes, paillettes et tapis rouges, où le film est prétexte pour que les gens puissent se voir, acheter des terres, vendre des voitures. Et il y a l'autre, pertinent, rigoureux, celui de ces amoureux du cinéma qui voyagent à travers le monde pour rechercher des perles. C'est le cas, entre autres, des festivals de Khouribga, Ifni, Zagora, Tétouan, qui permettent aux cinéphiles de voir un cinéma qui nous ressemble. Entre ces deux types de cinéma, il faut choisir.» Qu'il soit international, national ou régional, dédié au cinéma d'auteur ou à la femme, de court ou de long métrage, un festival, estime Noureddine Saïl, directeur du CCM, est d'abord un haut lieu de culture. «Les festivals au Maroc, dit-il, couvrent tout le spectre de la manifestation cinématographique. Chacun a son budget, et tous concourent, comme les ciné-clubs autrefois, à l'insertion du public dans la culture cinématographique, la culture tout court». Lieu de rencontre, de débat, de culture, un festival est par définition un promoteur de films, durant lequel les amateurs vont vers les salles pour voyager par l'imaginaire, goûter aux nouveautés filmiques, savourer une deuxième fois un opus déjà vu. Avec ou sans compétition, les petites villes s'efforcent, grâce aux festivals en général, de sortir de leur isolement. C'est le cas d'Imilchil ou de Merzouga où se déroulent deux festivals de musique. Les organisateurs du Festival transsaharien du film de Zagora ont pour objectif, grâce au 7e art, de promouvoir cette belle région et inciter producteurs et réalisateurs à venir investir, comme à Ouarzazate, dans le secteur cinématographique. Le temps d'un festival, Zagora est sens dessus dessous, ses habitants affluent par dizaines de milliers vers la grande place de la ville où un écran géant est installé, pour goûter au cinéma dans une ville dépourvue de toute salle obscure. Tout festival a besoin de drainer le monde scolaire, enseignants, élèves, éducateurs Et les professionnels de tirer la sonnette d'alarme face au danger que représente la disparition des salles, ou l'existence de vieilles salles, non conformes aux mutations technologiques que connaît le secteur. Le constat est là : la vulgarisation du DVD et du VCD a entraîné une chute vertigineuse de l'exploitation des salles. En 1987, 40 millions de billets par an étaient vendus, en 2007, 3 millions ! Au moment où la production filmique marocaine se développe en qualité et quantité (12 à 15 longs métrages par an), se pose le problème de l'exploitation et de la distribution. «En tant que réalisateur de films, je souffre du fait que nos films ne soient pas vus. Et cette souffrance est d'autant plus grande que jamais de par le monde la production nationale n'a été aussi féconde. Voilà une contradiction qu'il faut résoudre», martèle Abdelhay Laraki. La presse ne joue pas son rôle pour la promotion des films, accuse de son côté Farida Belyazid, réalisatrice. La sortie d'un film est un événement en soi, or «jamais on ne voit en couverture d'un journal ou d'un magazine la photo d'une actrice ou d'un réalisateur à cette occasion, comme dans d'autres pays. A la télé non plus, il n'y a jamais de plateaux pour débattre d'un film, pour donner envie aux gens d'aller au cinéma.» Que faire pour résoudre la problématique des salles ? Rénover les anciennes ? En créer d'autres ? Multiplier les festivals pour offrir au public l'opportunité de voir des films en salles au lieu de les voir en DVD piratés ou à la télé ? Les cinéphiles nostalgiques, les producteurs et les réalisateurs, intérêt commercial oblige, ne conçoivent pas un cinéma sans salles. D'aucuns, dont le CCM, avancent, pour sauver ce cinéma, l'idée de créer des multiplex un peu partout au Maroc. On transformerait les habitudes de consommation de la population, comme dans d'autres pays, en créant des salles de cinéma avec des cafés, snacks et autres boutiques. Certains pays comme le Mexique et l'Argentine les ont installées carrément dans les centres commerciaux pour inciter la population à consommer aussi des films. Les festivals dans ces pays se tiennent d'ailleurs dans ces mêmes centres commerciaux. Pour certains professionnels, on n'est plus dans le schéma classique producteur-distributeur-exploitant. Le festival aujourd'hui, estime Salim Fassi Fihri, producteur, «devient un élément important qui fait connaître un film, trouver des débouchés dans d'autres pays, au moins pour la télé, découvrir des réalisateurs. Le festival permet aussi l'éducation du public, encourage les gens à aller dans les salles plutôt que de voir les films uniquement en famille chez soi, à la télé. Le festival est capable de faire revenir le public en salle». Capable aussi d'insuffler une culture cinématographique. Les ciné-clubs avaient joué ce rôle un certain temps (dans les années 1970 et 80). Les séminaires peuvent le faire aussi. A condition d'intégrer le monde scolaire à l'événement, martèle M. Guerroum: «Nous sommes une génération du cinéma, mais l'avenir appartient à une autre génération et il faudra chercher d'autres moyens de lui faire aimer le cinéma. Il faut commencer par l'école pour créer le public de l'avenir. Nos distributeurs et nos exploitants cherchent de l'argent, mais ils oublient que le monde a changé. Il faut utiliser une forme de commerce noble de la culture cinématographique : tout festival a besoin de drainer le monde scolaire, enseignants, élèves, éducateurs de la ville où il se crée». C'est une urgence.