La croissance du PIB du Maroc, depuis plusieurs années, est poussive. Pourtant, d'énormes investissements publics ont été réalisés depuis le début de la décennie 2000. Faut-il continuer à investir massivement ou bien revoir la gestion et la gouvernance des projets publics ? La croissance au Maroc bat de l'aile depuis plusieurs années, et ce constat, fondé sur des statistiques on ne peut plus officielles, est en outre partagé par à peu près l'ensemble des acteurs de la vie économique nationale. Mais au-delà du constat, que faut-il entreprendre pour sortir de cette atonie, accélérer le rythme de progression de l'activité ? HCP croissance Le Haut Commissariat au Plan (HCP) a son idée là-dessus: il faut, dit-il, augmenter le niveau de l'investissement. Mais est-ce possible, alors que l'épargne nationale perd des points par rapport au PIB, augmentant ainsi les besoins de financement de l'économie ? Le HCP est à l'évidence conscient de ces problèmes de financement, puisqu'il est le producteur des statistiques y afférentes. En fait, la proposition sur laquelle il planche en ce moment et qu'il rendra publique incessamment peut être résumée comme suit : dans la mesure où l'investissement privé tarde à prendre le relais des efforts jusqu'ici déployés par les pouvoirs publics, il appartient désormais à l'Etat d'accroître le niveau de ses investissements, quitte, pour ce faire, à recourir à l'endettement. Mais la dette du Trésor et, plus généralement, la dette publique n'ont-elles pas atteint des niveaux (respectivement 66,2% et 82,3% du PIB) dont on n'arrête pas de dire qu'ils sont déjà élevés ? Certes. La proposition du HCP est cependant un peu plus complexe, un peu plus fine, que cela. Ahmed Lahlimi, le patron du HCP, explique en effet que, pour accélérer le rythme de croissance du PIB, l'Etat a deux possibilités : ou bien il augmente le volume de ses investissements, ou alors il améliore la gestion, la gouvernance des projets publics, donc leur rentabilité. Selon des simulations réalisées par les équipes du HCP, une augmentation de 4 points de pourcentage du PIB de l'investissement public dans les secteurs productifs porterait la croissance économique du Maroc à 5%. Mais comment financer ces investissements additionnels, alors que l'Etat, via son Budget général, consacre déjà l'équivalent de 6% du PIB, et via les entreprises et établissements publics et les collectivités quelque 11% du PIB à l'investissement, sachant que dans un cas comme dans l'autre, cet effort est financé dans une très large proportion par la dette ? Pour le Haut Commissaire au Plan, s'endetter davantage pour l'investissement ne devrait pas poser de problèmes pour autant, précise-t-il, que l'on privilégie l'emprunt extérieur, d'une part, et que les financements ainsi obtenus soient orientés vers «des projets rentables et producteurs de devises, concrètement identifiés, rigoureusement gérés et précisément évalués», d'autre part. Pourquoi privilégier l'emprunt extérieur ? Parce que, répond en substance M. Lahlimi, jusqu'à aujourd'hui le Trésor s'est principalement endetté sur le marché domestique et il y aurait un risque d'en évincer le secteur privé si jamais l'Etat continuait d'y recourir de façon aussi intense. A ce jour en effet, environ 80% du stock de la dette du Trésor sont dus à des prêteurs locaux, pour l'essentiel des banques et des institutionnels (assurances, caisses de retraites...). Cela dit, si le gouvernement, pour des raisons liées à la préservation des équilibres macroéconomiques ou autres, choisit de ne pas accroître le volume des investissements publics, il pourrait quand même, estime Ahmed Lahlimi, obtenir le même résultat qu'une hausse des dépenses d'investissement «grâce à une meilleure gestion et un contrôle rigoureux des projets publics». Baisser l'ICOR de 8 à 5 points porterait la croissance à 5% Une étude effectuée en 2016 par le HCP a montré que les investissements au Maroc étaient peu, voire très peu rentables. Le coefficient marginal du capital, que les statisticiens désignent sous l'acronyme ICOR (Incremental Capital Output Ratio, littéralement ratio de production de capital supplémentaire) est de 8 points au Maroc, alors qu'il est en moyenne de 3 points dans de nombreux pays émergents. Cela veut dire que pour 1point de croissance, il faut 7 points d'investissement au Maroc, alors qu'ailleurs on peut obtenir le même 1 point de croissance avec seulement 3 points d'investissement. Il y a clairement un problème d'efficacité des investissements consentis jusqu'ici. «Si on arrive à améliorer l'efficacité de nos investissements en réduisant l'ICOR à 5 au lieu de 8 actuellement, le taux de croissance économique augmenterait à 5%, soit le même résultat que si on augmentait de 4 points de pourcentage du PIB le niveau de l'investissement», confie M. Lahlimi. A première vue, l'amélioration de la rentabilité des investissements paraît être l'option la plus intéressante. Car, il faut tout de même le souligner, l'effort qui a été fait jusqu'ici en matière d'investissement, public notamment, est très important. A un moment donné, le taux d'investissement brut approchait les 40% du PIB. Ces quatre ou cinq dernières années, ce taux a baissé à une moyenne de 32% du PIB. Il faut savoir cependant qu'avec un taux d'investissement de 28% du PIB, de nombreux pays émergents et en développement ont pu réaliser une croissance moyenne de 6% par an sur la période 2000-2014 (champ temporel couvert par l'enquête du HCP), alors qu'avec un taux d'investissement largement supérieur à 30% sur la même période, le Maroc n'a obtenu qu'un peu plus de 4% de croissance par an, en moyenne. Et puis, pourquoi ne pas le dire, l'effort d'investissement public déployé jusqu'ici a justement, et inévitablement, généré des charges qui commencent à peser sur les finances publiques. Exemple, en 2018 les charges de la dette du Trésor en amortissements, intérêts et commissions qui ont été réglées s'élevaient à 124,7 milliards de DH, un montant certes en baisse par rapport aux 127,9 milliards de DH payés l'exercice précédent. A cela, il faut bien sûr ajouter les charges de la dette des entreprises et établissements publics, des collectivités locales, etc., et qui est globalement due à des créanciers étrangers.