La valeur du dirham est toujours adossée à l'euro et au dollar, tout en variant à l'intérieur d'une bande de fluctuation de + ou – 5% contre + ou – 0,6% avant janvier 2018. Ce système est-il de nature à résorber les problèmes pour lesquels il a été mis en place ? Omar Bakkou, docteur en économie, revisite en profondeur la question du régime de taux de change au Maroc. Le Maroc a lancé, à partir du 15 janvier 2018, la première étape de la flexibilisation du dirham. Depuis, le sujet est sur toutes les langues. Technologies de l'information aidant, les opinions sur cette réforme fusent de partout, et à peu près tout et son contraire ont été dits ou écrits à son propos. C'est que les questions monétaires, ici comme ailleurs, sont, dans une large mesure, rebelles à la compréhension. En dehors de quelques rares spécialistes, qui peut en effet se targuer d'avoir saisi, comme il se doit, les tenants et aboutissants de la réforme du régime de change, lancée voici bientôt deux ans? Il y a quelques semaines, à Washington, participant aux assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, le gouverneur de la banque centrale du Maroc, Abdellatif Jouahri, interrogé sur le sujet, déclarait, en substance, que la cotation du dirham continuera d'être ancrée à l'euro (60%) et au dollar (40%), tout en fluctuant à l'intérieur d'une bande élargie à + ou – 2,5%, au lieu de + ou – 0,3% avant la réforme. Il précisera ensuite que c'est seulement après la deuxième phase de la réforme, dont on ignore le calendrier, que la valeur du dirham sera en quelque sorte "décrochée" du panier de référence (l'euro et le dollar) pour être laissée au jeu de l'offre et de la demande qui s'exprimeront sur le marché. Ainsi donc, la flexibilisation entamée en janvier 2018 ne concerne pas le taux de change, mais les mécanismes agissant sur ce dernier. La différence est de taille, encore fallait-il la saisir ! Décidément, le discours sur cette matière, malgré les campagnes d'explication et de sensibilisation menées par Bank Al-Maghrib (BAM) avant le lancement de la réforme, relève presque de...l'ésotérisme. La volatilité génère des coûts élevés C'est justement pour permettre au grand public, visiblement passionné par ce que la "rue" appelle «taâwim addirham», que Omar Bakkou, docteur en économie, a consacré un ouvrage à cette question, intitulé «Pour mieux comprendre la flexibilité du dirham». Le livre, paru il y a quelques jours, est disponible dans les bonnes librairies du pays. Pour ceux qui voudraient s'initier aux questions monétaires, aux comptes extérieurs et aux liens entre les deux, ou simplement compléter et affiner leurs connaissances sur ces thèmes, cette publication est d'un apport certain. Très pédagogue, Omar Bakkou explique les concepts, disons-le, abscons, en usage dans cette matière, éclaire les enjeux liés à l'opération de flexibilisation du régime de taux de change, et rappelle les expériences menées ailleurs dans ce domaine. Richement documenté, le livre est de surcroît nourri par une longue expérience professionnelle de l'auteur à l'Office des changes. Mais attention, le livre n'a pas qu'une valeur académique : sans doute aidé par son vécu professionnel, l'auteur a son point de vue sur cette problématique, et il ne s'est pas privé de le livrer. En gros, M. Bakkou considère que la flexibilisation du dirham, à elle seule, ne pourra pas résoudre les problèmes pour lesquels elle a été conçue. Et ces problèmes, qui viennent de sources diverses, mais parfaitement identifiées, apparaissent de manière concentrée dans les déficits du compte courant qui se sont fortement dégradés entre 2008 et 2012. Soit dit en passant, la situation s'est améliorée entre 2013 et 2015, mais la dégradation a repris de nouveau, notamment en 2018. Sur ce point, on peut dire que M. Bakkou est sur la même ligne que la banque centrale, puisque celle-ci a toujours déclaré que la flexibilité n'était pas un remède absolu à la compétitivité de l'économie et donc à la résorption des déséquilibres extérieurs. Mais Omar Bakkou ne s'est pas arrêté là, il a estimé, en outre, que la volatilité inhérente au système de flottement «génère des coûts pour les importateurs, les exportateurs, les investisseurs directs étrangers et les entités qui contractent la dette extérieure, sous forme de coûts de couverture pour se prémunir contre l'incertitude engendrée par ladite volatilité». Et ces coûts, écrit-il, «sont importants, vu le degré d'ouverture relativement élevé de l'économie marocaine». Moyennant quoi, il suggère une autre formule de flexibilisation de la politique de taux de change : «L'adoption d'un régime de bandes glissantes dans lequel le taux de change pourra varier au sein d'une certaine marge de fluctuation autour d'un taux fixe, lequel peut faire l'objet de corrections ponctuelles en fonction de la situation du compte courant». Ce système, explique-t-il, permet au taux de change de se déprécier en cas de déficits du compte courant, mais pas de s'apprécier en cas d'excédents. Dans le système actuel, justement, l'appréciation du dirham est une éventualité sur laquelle il faut compter, puisque les acteurs concernés par les opérations à l'extérieur sont priés de souscrire des contrats de couverture... Flexibilité du dirham : Questions à Omar Bakkou, Economiste [tabs] [tab title="La flexibilité n'est pas la convertibilité" id=""]Stricto sensu, la flexibilité n'a rien à voir avec la convertibilité d'une monnaie. Dans le premier cas, il s'agit en gros du mode, fixe ou flottant, de détermination de la parité d'une monnaie ; dans le second, de la possibilité d'échanger librement une monnaie contre une autre. Néanmoins, entre les deux concepts existent des liens évidents mais «subtils» pour reprendre le qualificatif de Omar Bakkou. En régime de taux de change flexible, le contrôle de change, en principe, ne se justifie plus, et la monnaie devrait être totalement convertible. Ceci est la théorie. Dans la pratique, cela dépend du degré de flexibilité ainsi que d'autres paramètres. En tout état de cause, estime l'auteur de l'ouvrage, si «la flexibilité n'implique pas automatiquement la convertibilité totale (...), elle exigerait néanmoins certaines mesures de libéralisation du contrôle des changes touchant les opérations courantes» et celles de nature financière.[/tab] [/tabs]