Etre professeur de philosophie au lycée ou à l'université ne fait pas nécessairement de vous ce sage dont la vocation première est «de promouvoir en l'homme, comme l'écrit Jerphagnon dans un livre d'entretiens, la conscience de lui-même et du monde, afin de réaliser en lui et autour de lui, ce que les grecs appelaient Eudaimonia et les romains Beata vita, autrement dit, une vie harmonieuse parce que conforme à sa destinée, et heureuse parce qu'harmonieuse». Qu'est-ce que la philosophie ? Cette question dont l'énoncé bref et scolaire relèverait d'un devoir pour classes terminales, le philosophe français, Lucien Jerphagnon, se la pose, puis tente d'y répondre dès l'introduction de son ouvrage «Histoire de la pensée» (Editions Tallandier 1989) «La philosophie ? Le mot, déjà, inquiète, et la chose, pour autant qu'on en ait l'expérience, ne rassure pas. Cela ressemble bien à une science, encore qu'au sens large, mais qui s'occupe de... ? Et quant aux gens qui en font profession, de nos jours presque exclusivement des professeurs, on leur assigne auprès du commun des mortels un ministère à part, dont le prestige fascine et agace. Il s'agirait de quelque chose comme une assistance intellectuelle, une obstétrique de l'esprit». Mais il y aurait, de cette «science au sens large», autant de définitions et d'approches que l'on aurait de philosophes ou prétendument tels. Et l'histoire de la philosophie n'en finit pas d'en voir défiler les théories ou les points de vue plus ou moins ésotériques. Si certains d'entre eux sont restés fidèles à la Raison dans leur quête de la Vérité, d'autres ont pris des chemins de traverse (ou de travers) et des voies obliques pour, ensemble et finalement, arriver à la même conclusion, celle-là même que rappelle Jerphagnon dans la conclusion de l'ouvrage cité : «Il n'y a de pensée définitive que pour ceux qui ne pensent plus». Quant à ceux qui disent vouloir aller au fond des choses, on pourrait leur rétorquer par cette réplique agacée et moqueuse de Cocteau: «A force d'aller au fond des choses, on risque d'y rester». Mais existe-t-il encore des philosophes (au sens de concepteur d'un système philosophique, après l'«extinction» de la dernière espèce dès la fin du siècle dernier, soit après la disparition de Bergson, Bachelard, Sartre, Camus, (qui, lui, ne se définissait pas comme tel), Deleuze, Husserl, Adorno, Heidegger et bien d'autres producteurs et pourvoyeurs de concepts à travers le monde ? Aujourd'hui, le mot philosophe a pris une acception plus large et le statut du philosophe, si tant est qu'il y en eût un, désigne une profession, un exercice et parfois même une posture. Être professeur de philosophie au lycée ou à l'université ne fait pas nécessairement de vous ce sage dont la vocation première est «de promouvoir en l'homme, comme l'écrit Jerphagnon dans un livre d'entretiens, la conscience de lui-même et du monde, afin de réaliser en lui et autour de lui, ce que les Grecs appelaient eudaimonia et les Romains beata vita, autrement dit, une vie harmonieuse parce que conforme à sa destinée, et heureuse parce qu'harmonieuse». En écrivant cela, ici et maintenant, on ne peut s'empêcher de penser à la présence du philosophe parmi eux en ces temps d'incertitude et de doute. Mais surtout aux années où son enseignement a été suspendu avant d'être éclipsé au profit d'une matière improbable, puisée dans un mélange de pensée magique et d'une fausse théologie déguisée en «pensée islamique». Dans la foulée, tout cela sera porté par une politique d'arabisation échevelée, mal préparée et mal digérée. Finalement, c'est à la faveur de la vacuité de l'esprit critique que se propagera la désertification de l'esprit qui portera les vents mauvais d'un obscurantisme implacable avec les dégâts que l'on sait. Mais pour rester positif, on dira que ce fut là une parenthèse malheureuse dans le système éducatif. Une parenthèse qui aura duré tout de même le temps d'une génération. Mais, maintenant que l'enseignement de la philo a retrouvé sa place dans l'éducation, quelle sera celle de la philosophie et des philosophes dans notre cité ? Une question digne d'un sujet du baccalauréat ? Restons dans la philosophie, mais pour en rire car on peut rire de tout, même des philosophes. Ou avec eux. C'est plutôt avec eux qu'un professeur de philosophie à la Sorbonne, Philippe Arnaud, nous invite à partager ces moments privilégiés où «ils lâchent prise» et se mettent à rire. L'auteur a rassemblé les propos d'une trentaine de philosophes, de Platon à Foucault, en passant par Spinoza ou Kant qui n'avait pas la réputation d'un joyeux drille. En exergue de ce petit livre intitulé justement «Le rire des Philosophes» (Editions Arléa), l'auteur a mis cette citation tirée de «Par-delà le bien et le mal» de Nietzsche : «J'oserai même établir une hiérarchie des philosophes d'après la qualité de leur rire». Certes, l'ouvrage n'établit pas le palmarès des propos les plus rigolos de l'histoire de la pensée, mais il en a toutefois sélectionné un certain nombre, pour mieux rire et pour bien réfléchir. Spinoza n'a-t-il pas conseillé de ne pas rire, mais de comprendre ?