USFP, Istiqlal, MP, PJD et RNI seront les principaux acteurs du jeu. Un gouvernement PJD rencontrerait trop de contraintes. L'émergence d'une coalition est plus que probable. Le MP et le RNI charnières de toute alliance. Quel gouvernement succédera à celui de Driss Jettou à l'issue des législatives de 2007 ? Au fur et à mesure que les élections approchent, la tension monte dans les partis, et, avec elle, son lot d'interrogations chez le citoyen qui se demande à quel parti accorder sa confiance dans un champ politique largement décrédibilisé, souvent victime de préjugés également. Mais il n'y a pas qu'à l'intérieur du pays que l'on s'inquiète. En France, pays avec lequel le Royaume entretient des relations économiques étroites, et dont 38 entreprises du CAC 40 ont des intérêts au Maroc, la question est incontournable, aussi bien lors des rencontres officielles que dans les entretiens privés. Contexte mondial oblige, c'est l'éventuelle victoire islamiste et ses effets sur les orientations économiques du pays qui constituent l'essentiel des interrogations. Il n'est donc pas étonnant que le 12 décembre 2006, au cours d'une rencontre avec le patronat français, le Premier ministre, Driss Jettou, ait été directement interrogé sur ce sujet. La victoire prêtée au PJD avant terme fait également réagir les autres partis politiques marocains. Dans son édition du 4 janvier courant, le quotidien de l'USFP Libération appelait les partis à donner de la visibilité sur leurs futures alliances de manière à permettre aux électeurs de choisir entre ceux «qui défendent la continuité des réformes politiques, économiques et sociales et plaident pour la poursuite de l'expérience actuelle, et ceux qui sont absolument opposés au chantier des réformes». La démarche peut se comprendre, le scrutin de liste au plus «fort reste» n'étant pas en faveur des candidatures communes. «Si nous présentons une liste commune dans une circonscription où il y a trois sièges, nous en obtiendrons un seul, alors que si chacun d'entre nous se présente séparément, les Ittihadis pourraient remporter un siège et les Istiqlaliens un autre, ce qui fait que nous gagnerions deux sièges», explique Driss Lachgar, président du groupe USFP à la Chambre des représentants. Pas étonnant alors que le parti cherche à clarifier les choses en matière d'alliances… 80 sièges tout au plus pour le PJD, et un gouvernement multicolore dans tous les cas de figure Toutefois, de tels engagements auront-ils encore cours au moment de la constitution du prochain gouvernement ? Quelles sont les alliances politiques qui le détermineront? Quelle sera sa nature ? Et si le PJD venait en tête ? Quelle serait l'ampleur de sa victoire ? Quel en serait l'impact au niveau du gouvernement? Qui sera Premier ministre ? Pour tenter de répondre à ces questions, La Vie éco a demandé à trois politologues d'étudier les différents scénarios d'alliances au lendemain des élections, en laissant de côté leurs sensibilités politiques. Premier constat. S'il appartient au Souverain de désigner le Premier ministre, partisan ou non, il a cependant, dans son discours du 14 octobre 2005, implicitement affiché sa volonté de voir succéder à Driss Jettou, technocrate, un Premier ministre politique issu d'un des partis ayant eu la faveur des électeurs. Deuxième constat, il est certain qu'aucune force politique ne pourra dominer la scène au point de former un gouvernement à elle seule ou avec une minorité de partis idéologiquement proches. Quid du raz de marée PJD, que l'on ne cesse de prédire depuis les législatives de 2002 ? «Le paysage politique ne peut pas, du jour au lendemain, se métamorphoser en faisant émerger un parti hégémonique sur la scène», explique Larabi Jaïdi, président de la Fondation Abderrahim Bouabid, selon qui l'apparition d'une telle force devra être issue d'un processus progressif. Pour lui, l'idée d'un parti qui remporterait 40% des voix reste difficile à réaliser, d'autant plus que d'autres partis continuent de jouer un rôle clé sur la scène politique, parfois depuis l'Indépendance. «Au lieu que le PJD arrive en quatrième position, il peut se retrouver en deuxième ou en première position. Peut-être que l'USFP peut arriver devant l'Istiqlal ou l'inverse, ce sont seulement les places qui vont changer, mais pas la totalité de l'équilibre», détaille le politologue Mohamed Ayadi. «Une victoire de la Mouvance populaire ou du PJD ne changerait rien à l'équilibre des forces. Il y aurait seulement une hiérarchisation différente. Il faut exclure toute victoire donnant la majorité absolue à un parti», ajoute-t-il. L'on retrouvera (candeur ou calcul politique ?) un écho similaire au sein du PJD lui-même (voir encadré en p. 41). «Il peut y avoir, au niveau des voix, un vote accentué en faveur du PJD, mais, converti en nombre de sièges, ce dernier ne sera pas proportionnel car le mode de scrutin n'est pas en faveur de la concentration des sièges chez celui qui reçoit le plus de votes», explique-t-on au sein du parti. Dans les faits, le parti islamiste table en interne sur un maximum de 80 sièges sur les 325 que compte le Parlement, soit une part de 24,6%. «Nous allons certainement aboutir à un paysage politique où la grande majorité des voix va se répartir entre quatre ou cinq composantes du champ politique, je ne dirai pas à parts égales, mais dans des proportions qui se rapprochent, avec de légères avancées de l'un par rapport à l'autre, et pas un hégémonisme, une polarisation vers un parti et un émiettement des voix qui se distribue sur les autres», explique Larabi Jaïdi. Au final, et sauf chamboulement de dernière minute, le prochain gouvernement devrait être le fruit de l'interaction entre les cinq principales formations de la place, notamment, l'USFP, l'Istiqlal, le PJD, le MP et le RNI. Ce dernier, qui peut s'allier à n'importe quelle composante, devrait jouer un rôle de «joker» dans la mesure où il viendrait compléter l'échiquier, quelle que soit l'orientation du gouvernement formé, conformément à ce qui a été le cas tout au long de l'histoire du parti d'Ahmed Osmane. Quant aux autres formations, elles pourront accéder au gouvernement selon l'orientation choisie par le parti arrivé en tête. «Tout gouvernement constitué pourra compléter ses rangs, s'il est de droite, avec l'UC et le PND, s'il est de gauche avec le PPS, le FFD, etc.», explique le politologue Mohamed Darif. Mouvement populaire et RNI : faiseurs de gouvernements Ainsi, si le Roi nomme un Premier ministre relevant du parti arrivé en tête de course, la combinaison de partis au gouvernement devrait être déterminée par la courte avance que saura prendre le MP, le PJD, l'USFP ou l'Istiqlal par rapport au reste du peloton. Du coup, si le Mouvement populaire arrive en tête, il pourrait choisir une alliance avec le RNI et la Koutla, entraînant la mise en place d'un gouvernement de coalition semblable à celui qui se trouve actuellement au pouvoir. Une option qui garde son intérêt dans la mesure où plusieurs chantiers lancés aujourd'hui restent à poursuivre mais aussi parce que «nous sommes, par principe, fidèles à la majorité actuelle», indique-t-on de source autorisée au sein du parti haraki. Toutefois, le MP pourrait également choisir de s'allier au PJD. «L'hypothèse n'est pas à exclure», ajoute la même source, «tout dépend du résultat, il n'y a pas de préférence». En somme, entre «fidélité de principe» et «pas de préférence» on se ménage une marge de manœuvre sans fâcher qui que ce soit. Par ailleurs, une telle combinaison comporterait une certaine logique politique dans la mesure où le PJD n'est ni plus ni moins que l'ancien MPDC, une branche du Mouvement populaire qui s'en était séparée en 1967. Elle comporterait également un avantage non négligeable, dans la mesure où les deux partis se compléteraient au niveau géographique, l'un dominant les campagnes et l'autre les grandes villes du Maroc. Soulignons que ce schéma exclurait l'USFP de facto. «Celui qui choisit le PJD choisit que nous soyons dans l'opposition. Si le Mouvement populaire constitue une majorité avec le PJD, alors il n'a pas besoin de nous», indique Driss Lachgar. Toutefois, il reste à savoir si l'Istiqlal, lui, serait effectivement prêt à accompagner l'USFP dans l'opposition, laissant le soin à l'UC et au PND de compléter le gouvernement. En effet, au-delà des promesses de fidélité que se font les deux blocs de la Koutla, le parti de Allal El Fassi reste étiqueté «conservateur», ce qui ne le rend pas trop incompatible avec le PJD. «Dans cette situation, l'Istiqlal va voir ce qu'il va gagner de cette participation, quels sont les ministères qui vont lui être attribués, s'il peut imposer ses conditions et si elles sont satisfaites. Si ce n'est pas le cas, il peut aller à l'opposition aux côtés de l'USFP», explique M. Darif qui considère que le poids du Mouvement populaire pourrait suffire à détacher le parti de l'Istiqlal de son allié. Vers un jeu de balancier entre l'USFP et le PJD ? Et que se passerait-il si le PJD arrivait en tête ? Logiquement, dans cette situation, ce dernier verrait dans le Mouvement populaire son premier allié, lequel serait automatiquement suivi par le RNI, ainsi que le PND et l'UC, à moins que l'Istiqlal n'accepte l'invitation du nouveau gouvernement. «L'Istiqlal pourrait participer au gouvernement avec le PJD. Ce dernier aimerait que ce soit le cas, car il le considère aussi comme un parti conservateur. Dans cette situation, il se peut que l'USFP aille seul à l'opposition, et que se réalise une chose importante que cherchent aujourd'hui les autorités : une opposition efficace», explique Mohamed Darif qui prédit que l'USFP rassemblerait tous les partis de gauche dans l'opposition, face à un gouvernement de centre droit et que «nous nous retrouverons par conséquent avec une opposition dotée d'une identité idéologique». Toutefois, il reste une possibilité qui est tout sauf négligeable : le parti islamiste pourrait aussi tout simplement ne pas trouver d'alliés pour monter avec lui au gouvernement ou qui refuseraient de se retrouver sous la tutelle d'un Premier ministre PJD. «Lorsque le Roi désigne un Premier ministre, il lui donne pour mission de constituer un gouvernement dans un délai de un à deux mois. S'il n'y arrive pas, il devra démissionner, auquel cas le Roi sera peut-être enclin à confier la mission au parti arrivé deuxième. Nous avons déjà assisté à un cas de ce genre en Turquie, à l'époque de Hizb Arrafah de Necmettin Erbakan», explique M. Darif. Ironie du sort, un PJD arrivé en tête de course se retrouverait ainsi relégué dans l'opposition… Tous derrière l'USFP… et un strapontin pour le PJD ? Qu'en serait-il si l'USFP arrivait en tête des votes ? Pas de surprise : ce dernier chercherait à reconduire le gouvernement de coalition actuel. Ainsi, l'USFP, soutenu par ses alliés de gauche, voire de la gauche radicale comme le souhaiteraient certains, s'allierait tout d'abord à l'Istiqlal, puis au MP et au RNI. Le PJD serait-il banni du gouvernement pour autant? «Il n'est pas exclu qu'ils aient des postes sans poids significatif dans le gouvernement. Ce qui est à exclure, c'est de les avoir comme parti dirigeant le gouvernement», indique Mohamed Ayadi. Toutefois, même ce strapontin devrait avoir ses conditions : «Je pense que, jusqu'à présent, les référentiels des deux partis sont des référentiels qui n'ont pas de point de convergence», explique M. Jaïdi. «Le PJD est un parti à référentiel islamiste même s'il ne le dit pas, fait-il observer. Et, en même temps, il est confus dans son contenu et dans sa programmation». Istiqlal, USFP, ensemble pour toujours Dernière option, l'arrivée de l'Istiqlal en tête. A priori, ce schéma devrait impliquer automatiquement la mise en place d'un gouvernement semblable à celui actuellement au pouvoir. Toutefois, l'USFP accepterait-il de marcher derrière l'Istiqlal ? Pas si sûr. «Au niveau des principes, l'Istiqlal va vouloir s'allier à l'USFP. Mais le choix sera celui de l'USFP et non pas du parti vainqueur», explique Mohamed Darif qui indique que tout se décidera au moment des négociations. L'Istiqlal acceptera-t-il de faire à son allié les concessions qu'il ne manquera pas d'exiger ? «Ce sont des frères ennemis, ils peuvent s'allier contre le diable, mais quand il s'agit de la Primature, c'est la pagaille», explique ce militant d'un parti concurrent. Dans le cas contraire, l'Istiqlal serait obligé d'aller voir du côté du MP, du RNI… et du PJD. Ainsi, à moins d'un renversement de situation, le prochain gouvernement devrait recouvrir un spectre allant d'une coalition «panachée» à un rassemblement de droite, en passant par un autre de centre droit, et dont les principales composantes devraient être plus ou moins renforcées selon l'efficacité des seuils à l'entrée du Parlement dans le cadre de la loi organique organisant la première Chambre du Parlement. Une chose est sûre, aucun parti ne devrait pouvoir dominer la scène politique, y compris le PJD. Car même si le raz-de-marée annoncé venait à se produire, le PJD devra compter avec la deuxième Chambre où il ne détient qu'un siège sur 275. Le parti sera donc obligé de s'appuyer sur des alliés pour faire passer ses lois, et cela d'autant plus qu'il aurait en face de lui une opposition de gauche, idéologiquement homogène, centrée sur au moins deux puissantes machines, l'USFP et son allié le PPS, voire également l'Istiqlal. Dans ce cas de figure, le parti islamiste aurait-il vraiment intérêt à entrer au gouvernement dès cette année-là ? Les concessions qui s'imposeraient alors ne risqueraient-elles pas de lui faire perdre sa «virginité politique» vis-à-vis des électeurs sans gagner grand-chose en retour ? Dans cette situation, le PJD gagnerait plutôt à attendre les prochaines élections communales, puis le prochain renouvellement du tiers de la deuxième Chambre pour y faire son entrée, et espérer diriger le gouvernement sans trop se faire chahuter par l'opposition. En tout état de cause, que l'un ou l'autre des quatre partis les plus puissants arrive en tête, il est certain que les tractations pour la composition du prochain gouvernement seront ardues. Elles devraient tenir compte à la fois du facteur PJD, de la solidité de la Koutla et de la performance d'une Haraka qui, quoique première force politique du pays au Parlement, risque d'être affaiblie au niveau du scrutin par son regroupement en un seul parti. Espérons juste que la bataille entre états-majors politiques qui a suivi les législatives de 2002 ne soit pas rééditée, donnant lieu à la désignation d'un Jettou bis… pour que la démocratie aille jusqu'au bout. Alliances Du renfort pour le Mouvement populaire Le MP dirigera-t-il le prochain gouvernement ? L'option est présentée comme très probable, mais elle a une condition, capitale : reprendre des forces après la fusion. En effet, alors que la fusion du Mouvement populaire, du Mouvement national populaire et de l'Union démocratique a fait des Harakis la première force au Parlement, elle risque aussi d'avoir un impact négatif sur la performance du parti. Et pour cause : pour un parti qui table essentiellement sur les candidatures des notables, la réduction du nombre d'accréditations disponibles risque d'entraîner la migration des mécontents vers d'autres cieux, et, par conséquent, de favoriser la concurrence… y compris à gauche où le recours aux candidatures de notables se renforce. Dans cette situation, le parti se cherche des alliés pour former des coalitions tels que l'UC, le PND, l'Alliance des libertés et Al Ahd, mais aussi et surtout des partenaires comme le Parti de l'environnement et du développement d'Ahmed El Alami, ou encore le Parti du renouveau et de l'équité de Chaquir Achehbar, qui compenseraient la disparition du MNP et de l'UD en acceptant de présenter des transfuges du MP, quitte à former des groupes parlementaires ensemble par la suite.