La déclaration tendue du Haut-commissaire au plan sur le bilan et l'évolution de l'économie marocaine en dit long sur l'état du débat économique dans ce pays. Après avoir sévèrement critiqué les choix économiques des décideurs actuels, M. Lahlimi a proposé une politique économique radicale qui consiste à continuer sur la même voie ! À l'opposé du wali de Bank-Al-Maghrib qui ne cesse de mettre en garde contre les risques d'un dérapage macroéconomique dont il avait vécu les affres avec le programme d'ajustement structurel, M. Lahlimi fustige ce conservatisme. Il appelle à une politique économique plus offensive, quitte à laisse «filer» l'inflation qu'il considère comme étant scandaleusement faible. L'efficacité de cette politique keynésienne de relance par la demande en mobilisant les dépenses publiques, est toujours sujette à débat entre économistes. Sa recommandation de supporter un peu d'inflation pour doper la croissance repose sur la fameuse courbe de Phillips qui établit une relation empirique inversée entre les taux d'inflation et les taux de chômage (plus le taux d'inflation augmente, plus le taux chômage baisse et vice versa) et sur l'observation d'Okun, qui décrit une relation empirique également négative entre la variation du PIB et la variation du taux de chômage (la croissance économique est créatrice d'emplois). En prenant le contre-pied du prudent Jouahri, le Haut-commissaire au plan émet deux hypothèses qui constituent le fondement de ses propositions. La première est que le problème au Maroc est celui de l'insuffisance de la demande et le second est l'adaptation des courbes de Phillips et d'Okun à notre contexte. Précisons d'emblée que, même si son discours semble conservateur, Bank-Al-Maghrib applique depuis plusieurs années une politique qui va dans la voie recommandée par le Haut-commissariat au plan. En baissant continuellement les taux directeurs (passés de 7% en 1995 à 2,25% en 2019), la banque centrale a agi dans le sens d'une relance par le crédit. Or, celle-ci (relance) n'eut pas lieu, car les déterminants de la demande de crédit ne se limitent pas au taux d'intérêt uniquement. Nos responsables économiques ne semblent pas vouloir intégrer qu'un entrepreneur qui n'a pas de commandes n'investira pas et n'aura donc pas besoin de crédit, même s'il est à 0 %. Ce sont pourtant des enseignements élémentaires de l'école keynésienne dont le HCP se réclame aujourd'hui. Penser qu'il suffit d'ouvrir les vannes du crédit pour relancer l'économie, c'est faire preuve d'un optimisme béat. Les banques au Maroc sont à la recherche quasi désespérée de dossiers de crédit bancables (car il y va de leur croissance et de leur profitabilité), mais tout ce qu'elles ont, compte tenu des lacunes structurelles du tissu productif national, c'est une hausse inquiétante des impayés et une baisse de la profitabilité (en partie due à la politique de diminution des taux directeurs). Les recettes proposées par M.Lahlimi partent du mauvais diagnostic, à savoir l'insuffisance de la demande au Maroc, qu'il faut stimuler par un «peu» d'inflation. Or, la demande interne satisfaite par les importations demeure le principal moteur de l'activité économique. La stimuler davantage par de la dépense publique (intervention de l'Etat) risque d'aggraver les déficits jumeaux (budgétaire et extérieur) sans générer la croissance escomptée. Et pour cause, le Maroc investit déjà fortement (plus de 30% de son PIB), mais compte tenu de la faiblesse des rendements des investissements en général et publics en particulier, toute politique de relance par la dépense publique devient suicidaire. M. Lahlimi estime que l'inflation «anormalement faible par rapport à d'autres pays» est un problème de politique économique. Comment explique-t-il alors qu'elle le soit ainsi, en dépit des taux directeurs très bas et des niveaux de déficits élevés, censés pourtant générer une inflation plus forte ? M. Lahlimi pense également que l'inflation générera de la croissance et que celle-ci créera des emplois. C'est un pari hasardeux et pour le moins fort risqué. Car si le taux de croissance, issu de cette politique, est inférieur au coût de la dette, tout ce que nous aurons c'est de la stagflation et une hausse du taux d'endettement. Ce qui est cependant certain, c'est que cette inflation spoliera tous les créanciers de l'Etat (le taux d'intérêt réel étant égal au taux nominal diminué du taux d'inflation). La croissance au Maroc, faut-il le rappeler, est décorrélée de la politique économique, elle est davantage déterminée par des variables exogènes (pluviométrie principalement). Par conséquent, les structures productives compétitives pouvant tirer profit de la politique voulue par M. Lahlimi sont quasi inexistantes au Maroc. Celle-ci (relance) profitera davantage à nos partenaires étrangers. Le niveau de mortalité des entreprises et le faible niveau d'accès de la PME marocaine aux marchés publics situent le problème du côté de l'offre et non de la demande. L'un des grands problèmes de la montée en gamme du secteur automobile (sur lequel M. Lahlimi a tiré à boulets rouges) est l'inexistence d'une offre de sous-traitance locale, à même de faire face à la demande en composants des constructeurs étrangers installés au Maroc ; l'essentiel des sous-traitants étant de nationalité étrangère. Le triste constat est que nous importons tout, même les entrepreneurs, car nous n'en formons pas assez. Pis encore, nous nous arrangeons pour «tuer dans l'œuf» une bonne partie d'entre eux. Les cas particuliers où la politique de relance fonctionne nécessitent bien des préalables que l'économie marocaine ne possède pas encore. Il s'agit principalement de l'existence d'un appareil de production, sous-employé, dans une économie fermée et sans anticipations par les agents économiques, car ils pourraient neutraliser les effets de cette politique. L'incompréhension des méthodes d'élaboration des théories économiques et de leurs limites peut conduire à des catastrophes. Aucune théorie, aussi sophistiquée soit-elle, ne résout tous les problèmes, tout le temps et partout. Le HCP devrait d'abord fournir les données et les outils de contextualisation de ces théories, au lieu de s'ériger en donneur de leçons n