Ce référentiel universel vise à traduire l'image la plus fidèle de l'entreprise à ses partenaires. Pour le moment, les états de synthèse de 2017 et 2018 sont très évasifs sur certains points importants. Les financiers se contentent d'une petite phrase pour expliquer la non-conformité à la norme IFRS. La rétention de l'information financière n'est pas près de disparaître ! Le constat est d'autant plus inquiétant qu'il concerne des structures censées être transparentes et disposant d'organes de gouvernance bien établis. Il s'agit en particulier des entreprises qui consolident leurs comptes via les normes IFRS (International financial reporting standards ou normes internationales de reporting financier). Alors que ce référentiel universel, le plus abouti en matière comptable, vise à traduire l'image la plus fidèle de l'entreprise à ses partenaires, chacun selon sa qualité (investisseur, banquier, fournisseur, créancier...) et avec une abondance d'indicateurs et d'explications, les publications financières des entreprises ne respectent pas le gros des normes exigées. Représentants des consolideurs financiers, commissaires aux comptes, managers senior dans de grands cabinets d'audit, directeurs financiers de grands groupes et banquiers s'accordent à dire que l'on est encore loin du degré d'ouverture et de précision de l'information financière recherché à travers les normes IFRS. Les derniers comptes publiés, en l'occurrence ceux de 2017 et 2018, en sont des exemples parfaits. Un manager de chez Deloitte confie que les états de synthèse de son portefeuille sont restés très évasifs sur des détails pertinents et les explications devant être fournies, notamment pour se conformer aux dernières normes IFRS 15 et IFRS9. Anass Radi, président de l'Association marocaine des consolideurs financiers (AMCF), parmi les mieux placés pour juger de la situation, rapporte que les entreprises n'ont pas opté pour l'application par anticipation des normes récentes en vigueur depuis le 1er janvier 2018 et que les chiffres de cet exercice ont été publiées selon le nouveau référentiel mais en se contentant du minimum légal des informations à fournir. «Souvent, c'est un passage très laconique fait pour la forme et qui informe que l'analyse de l'impact de la norme en question est en cours d'étude», explique M.Radi. Un commissaire aux comptes investi dans de gros dossiers confirme : «Parfois, les financiers se contentent d'une petite phrase pour se soustraire à l'obligation de se conformer à la norme IFRS dont le contenu ne fournit aucun détail additionnel qui peut informer le lecteur de la publication financière». Pour lui, à en juger par les dossiers audités, la majorité des entreprises qui consolident les comptes ne respectent pas comme il se doit l'impératif de communication imposé par l'esprit des IFRS. Impact sur le chiffre d'affaires «Ce manque d'information est commun aux publications des opérateurs sur l'ensemble des normes aujourd'hui en vigueur, notamment l'IFRS 15, l'IFRS 9 et l'IFRS 16», observe le président de l'AMCF qui regroupe des auditeurs, normalisateurs, régulateurs, analystes, experts IT, universitaires et chercheurs. La norme IFRS 15 instaure, depuis janvier 2018, une nouvelle philosophie quant à la mesure et la comptabilisation du chiffre d'affaires. Elle concerne donc l'indicateur de performance le plus pertinent de l'activité d'une entreprise, qui, par ailleurs, impacte la mesure de la performance à tous les niveaux : Ebitda, Rex, Rnpg, etc. «La norme est venue unifier à l'échelle mondiale et pour tous les secteurs d'activité, le processus de reconnaissance du chiffre d'affaires qui est désormais calculé selon une démarche normalisée en cinq étapes», explique M.Radi, également responsable consolidation du groupe Maroc Telecom. Selon des auditeurs, les entreprises qui consolident aujourd'hui leurs comptes n'ont pas trop communiqué d'éléments financiers sur l'IFRS15 parce qu'elles jugent que l'impact quantitatif -sur les produits- et qualitatif -sur l'information financière en annexe, bilancielle, et sur le compte des produits et des charges- n'est pas énorme. Autrement, le chiffre d'affaires calculé de l'ancienne manière ne s'écarte pas trop de celui calculé selon l'IFRS15. Cependant, «il doit y avoir au préalable des études d'impact bien étayées pour attester de la non-significativité de l'impact», remarque ce manager de Deloitte. Pour la norme IFRS9, également en vigueur depuis janvier 2018, l'impact était plus ressenti à la fois sur les comptes que sur la consistance de la communication financière (en annexes et dans les bilans). «Ce sont les banques et les établissements assimilés qui ont été les plus impactés par l'implémentation de cette norme qui est venue simplifier les règles de classement et d'évaluation des actifs financiers en limitant les critères de classification au coût amorti ou à la juste valeur», affirme M.Radi. Approche fondée sur les pertes attendues A noter que l'IFRS9 instaure un modèle de provisionnement modernisé qui remplace le principe basé sur les pertes avérées par une nouvelle approche fondée sur les pertes attendues. Ainsi, les pertes de crédits prévisibles sont prises en compte dès la comptabilisation des instruments financiers, même en l'absence d'un événement de crédit. «Les banques ont fait des efforts très visibles pour se conformer aux normes IFRS de la manière la plus idéale et pour produire de l'information pertinente aux lecteurs de leurs publications. D'autant plus que l'impact est significatif étant donné l'exposition des banques en matière de créances difficiles et le volume des actifs financiers», commente le DGA d'une grande banque. Enfin, pour l'IFRS 16, entrée en vigueur en début d'année, «le marché a essuyé une petite déception au vu de ce qui a été publié jusqu'ici», soutient le président de l'AMCF. La publication selon cette norme, qui introduit la distinction entre contrat de location simple et contrat de location financement, devrait se faire en avril pour le premier trimestre. «Il y a eu quelques paragraphes narratifs très superficiels qui se sont limités à informer que l'impact de l'IFRS16 sur les comptes est en cours d'analyse», estime le manager du cabinet d'audit. Pourtant, le marché était très en attente d'éléments d'explication pertinents pour un jeu d'impact prévisionnel et pour mieux apprécier le déploiement sur le marché de cette nouvelle norme. Lire aussi : IFRS : Trois questions à Anass Radi, Président de l'Association marocaine des consolideurs financiers