Contrairement à une dynamique de la politique étrangère, sur le plan interne la situation est inquiétante. L'approche des élections et le retard de plusieurs chantiers de réforme nécessitent une équipe très soudée formée de profils pointus. Avec le départ de Mbarka Bouaida, le nombre des femmes membres du gouvernement passe à 7 au lieu de 9 initialement. Depuis son investiture en avril 2017, le gouvernement a connu plusieurs changements. Mais on attend toujours, et depuis quelques mois déjà, «Le» remaniement. Cela date du début de l'année où il était question alors de revoir les secrétariats d'Etat. Le débat sur la question s'est intensifié un peu plus tard, à mesure que soufflait un vent de froid sur les relations entre les deux alliés stratégiques, le PJD et le PPS. Ce dernier avait même menacé de claquer la porte et quitter le gouvernement. Fin avril, le ministre de l'intérieur a été victime d'un malaise qui a nécessité son hospitalisation à l'étranger, en même temps le débat du remaniement ministériel reprend de plus belle. Mais si pendant tout ce temps la question d'un changement majeur au sein du gouvernement reposait plutôt sur des questions conjoncturelles, aujourd'hui ce n'est pas le cas. L'alibi mis en avant est cette fois d'ordre constitutionnel. Un membre du gouvernement, Mbarka Bouaida, secrétaire d'Etat chargée de la pêche maritime en l'occurrence, est, en effet, sur le point de départ dans le cadre d'un arrangement au niveau du Conseil de la région de Guelmim-Oued Noun. Son remplacement serait, ainsi, une occasion pour un remaniement élargi. Il se pourrait toutefois que le chef du gouvernement décide de supprimer ce poste comme il l'a déjà fait pour celui du secrétariat d'Etat chargé de l'eau. Mais, estiment certains analystes politiques, cela aurait pour conséquence d'altérer l'équilibre difficilement obtenu par le chef du gouvernement entre les six partis formant sa majorité. D'autant que, cette fois, il est question d'un portefeuille détenu par son allié principal, le RNI. De plus, cette option mettrait le chef de l'Exécutif dans l'embarras puisqu'elle revient à réduire davantage la représentativité féminine dans son équipe. Avec le départ de Mbarka Bouaida, elles ne seront plus que 7 femmes à sièges au gouvernement. Soit deux femmes de moins que dans la composition initiale. Lors de sa formation, le gouvernement comptait 9 femmes sur 38 membres, soit moins d'un quart des portefeuilles. Leur présence est, certes, renforcée par rapport au gouvernement Benkirane, mais elles restent cantonnées, dans leur écrasante majorité, aux postes secondaires de secrétaire d'Etat. L'Exécutif compte une seule ministre, Bassima Hakkaoui, du PJD, en charge, pour un deuxième mandat, du portefeuille de la famille, de la femme et de la solidarité sociale, qui est par la même occasion la seule femme membre du gouvernement à siéger au conseil des ministres. Une pratique installée dans le temps Bref, cette question de représentativité féminine a d'ailleurs empêché l'aboutissement d'un projet de resserrement de l'équipe gouvernementale avec la suppression de certains secrétariats d'Etat, initié par le chef du gouvernement, il y a quelques mois, mais qu'il a fini par abandonner peu après. La majorité de ces postes sont, en effet, détenus par des femmes, et leur suppression risquerait de porter un sérieux coup à la question du genre dans le gouvernement et au principe constitutionnel de l'égalité entre hommes et femmes consacré par l'article 19 de la loi suprême. En conséquence, le chef du gouvernement ne pourrait se permettre de ne pas remplacer la secrétaire d'Etat sortante. N'oublions pas, non plus, que certains ministres PJD avaient annoncé, à plusieurs reprises, leur intention de quitter le gouvernement. C'est le cas notamment du ministre chargé des affaires générales du gouvernement, Lahcen Daoudi, qui avait annoncé sa démission qu'il avait d'ailleurs présentée, non pas au chef du gouvernement, mais au secrétariat général de son parti, il y a près d'une année. Le ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme, Mustapha Ramid, a lui aussi menacé de partir, à de nombreuses occasions. Dans tous les cas, d'après les promoteurs du scénario d'un vaste remaniement ministériel, le chef du gouvernement Saad-Eddine El Othmani ne saurait trouver meilleure occasion pour, non seulement relifter, mais donner une nouvelle dynamique a son équipe. Cela d'autant que le timing s'y prête particulièrement, puisque l'équipe au pouvoir vient tout juste de boucler la première moitié de son mandat. Depuis le gouvernement El Youssoufi, cette période a connu un changement drastique dans l'équipe gouvernementale. C'est ainsi que le gouvernement d'alternance, nommé en mars 1998, a subi un remaniement élargi en 2000. L'architecture du gouvernement a été revue, certains départements ont été regroupés en pôles, d'autres ont éclaté, l'effectif du gouvernement est, cependant passé de 33 à 41 ministres et secrétaires d'Etat. Le gouvernement de Driss Jettou a également connu un relifting important à la mi-mandat, en 2004. C'est le cas également pour l'équipe d'Abbas El Fassi en poste en 2007 qui a connu son remaniement de mi-mandat en juillet 2009 suivi d'un autre en janvier 2010. Pour le gouvernement El Fassi, qui, rappelons-le, n'a pas fini son mandat en raison de la réforme constitutionnelle de 2011 suivie des élections anticipées, a ceci de particulier qu'il a connu un changement de majorité en cours de chemin, tout comme son successeur, le gouvernement Benkirane. Dans le premier cas, le PAM a quitté la coalition gouvernementale en mai 2009. Il a été remplacé par le MP. Dans le deuxième cas, le PJD qui dirigeait l'Exécutif a perdu son principal allié, l'Istiqlal, juste après la première année de son mandat. Ce fut le 10 octobre 2013, pour être plus précis. Il lui a fallu donc trouver un autre partenaire de référence, rôle que le RNI a d'ailleurs rempli pendant le restant du mandat du gouvernement et continue à remplir dans l'actuel Exécutif. Notons au passage que le changement du gouvernement Benkirane, et de la majorité, a donné lieu à un débat constitutionnel inédit. Il était question alors de trancher si le gouvernement, profondément remanié avec le changement dans la coalition gouvernementale, allait donner lieu à un nouveau vote de confiance au Parlement ou non. C'est finalement le «non» qui l'a emporté. PJD, motus et bouche cousue Nous sommes, aujourd'hui, loin de ce cas, bien que certains observateurs mettent en avant l'éventualité du départ du PPS mais sans avoir à le replacer par une autre formation. Auquel cas, notent nos sources, les portefeuilles qu'il gère seraient confinés, sinon dans leur totalité du moins dans leur majorité, à l'USFP qui se verra ainsi «upgradé». Ce qui est sûr c'est qu'alors que les quatre autres partis de la coalition gouvernementale sont tout à fait capables, ils l'ont d'ailleurs toujours montré, de présenter de nouveaux profils pour le gouvernement, ce n'est manifestement pas le cas pour le PJD. En deux gouvernements et plusieurs remaniements, le parti islamiste s'est limité à une permutation des portefeuilles ministériels changeant de postes pour pratiquement les mêmes personnes. Il faut le dire aussi, le parti islamiste craint d'être affaibli davantage par un remaniement élargi de son gouvernement comme ce fut le cas un autre temps pour l'USFP du temps du gouvernement de l'alternance. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui pousse les dirigeants du parti islamiste, habituellement très prolixes dans de pareilles situations, à garder le silence depuis que ce débat a été soulevé. Seul le chef du gouvernement, principal concerné, a fait quelques déclarations succinctes à ce sujet en réponse aux nombreuses interpellations par les médias. Il a notamment soutenu que «le remaniement ministériel pourrait être un des facteurs capables de donner une nouvelle impulsion au gouvernement». Cela en précisant ne pas avoir évoqué le sujet avec aucun parti membre de la majorité. Généralement, a-t-il ajouté dans une récente déclaration, «il y a toujours un remaniement à la mi-mandat du gouvernement. C'est une éventualité. De toutes les manières ce n'est pas la fin du monde. Mais le sujet n'est pas encore mis sur la table». Dans tous les cas, laisse-t-on entendre, la situation du pays s'y prête aujourd'hui plus que demain. En effet, entre autres arguments en faveur d'un vaste remaniement, ce constat relevé par plusieurs observateurs. La diplomatie marocaine, notent-ils, vient de rentrer d'une sortie triomphante en Amérique Latine qui s'est soldée par la révision de plusieurs pays de leurs positions sur le Sahara. En même temps, le Maroc accueille, à Skhirate, une importante réunion du Conseil de paix et de sécurité de l'UA, dominé depuis longtemps par l'Algérie. Cela alors que le Royaume, représenté par une fonctionnaire du ministère des finances, a participé, sur invitation du Bahreïn et des Etats-Unis, à un «atelier économique» crucial pour le conflit du Moyen-Orient. Une question de temps Pendant ce temps, le chef du gouvernement assistait, à la tête d'une délégation gouvernementale, à une réunion importante de l'OCDE. C'est juste un «topo» de l'action diplomatique du Maroc pendant ces derniers temps. C'est pour dire qu'autant le Maroc bouge au niveau international, et récolte les fruits de cette dynamique, autant sur le plan intérieur la situation sombre dans l'inertie et l'avenir immédiat est peu lisible pour ne pas dire incertain. Pour preuve, l'année scolaire vient de se terminer sur deux mouvements sociaux d'une rare intensité. Les enseignants, cadres des académies régionales de l'éducation et de la formation, ont tenu face au gouvernement pendant des mois dont plus de quatre semaines de grève. Leur dossier n'est pas pour autant résolu. Les étudiants des facultés de médecine ont fait de même, au risque de déboucher sur une année blanche aux conséquences très fâcheuses. Les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les opticiens et d'autres corps professionnels ont protesté et continuent de le faire. Cela sans compter les manifestations à caractère social qui se sont déclenchées un peu partout. Le déploiement imminent de la déconcentration administrative, avec à la clé un transfert des compétences et des attributions, pourrait également avoir pour corollaire la réorganisation et la réduction des portefeuilles ministériels, avance-t-on. De même, un remaniement avec à la clé la nomination de profils pointus, en mettant de côté des considérations politiques, pourrait non seulement ressouder le gouvernement, mais, surtout, lui permettre de relancer les grands chantiers de réforme dans une perspective saine et dépolitisée et dans une atmosphère qui ne doit pas être dominée par le souci électoral. Autant d'arguments qui incitent à redonner un nouvel élan à l'action du gouvernement et donc la nécessité de revoir sa composition. Si de nombreux analystes politiques et observateurs s'accordent sur l'impératif de mener ce remaniement, ils restent évasifs quant à sa date. Tout ce que l'on sait, à ce propros, c'est que, dans les faits, le président en exercice, mais dont les fonctions ont été gelées par le ministère de l'intérieur, de la région de Guelmim-Oued Noun a été remise aux autorités de tutelle le 13 juin. Aucune opposition n'a officiellement été déposée comme le prévoit la loi. Elle doit être entérinée par un arrêté du ministère de l'intérieur. Une fois publié cet arrêté au BO, un délai de 15 jours sera fixé pour organiser les élections du président et du bureau du Conseil régional. Entre-temps, étant la seule candidate potentielle à la présidence de la région, la secrétaire d'Etat doit déposer sa démission au chef du gouvernement. Les deux mandats étant par la force de la loi incompatibles. A coup sûr, elle aura quitté son poste dans moins de deux semaines. Mais son remplacement ne devrait certainement pas intervenir tout de suite après. Le remplacement d'un membre du gouvernement démissionnaire prend généralement du temps. Cela dit, d'après les pronostics, le remaniement ministériel, s'il a lieu, devrait probablement intervenir à la prochaine rentrée. [tabs] [tab title="Qui propose le remaniement ?" id=""]Les membres du gouvernement peuvent être démis par le Roi, soit à son initiative ou sur demande du chef du gouvernement. C'est le cas lors des remaniements et des ajustements du gouvernement lors de ces dernières années. L'article 47 de la Constitution est d'ailleurs clair sur ce point. D'après cet article, «le Roi peut, à son initiative, et après consultation du chef du gouvernement, mettre fin aux fonctions d'un ou de plusieurs membres du gouvernement. Le chef du gouvernement peut demander au Roi de mettre fin aux fonctions d'un ou de plusieurs membres du gouvernement». De même, «le chef du gouvernement peut demander au Roi de mettre fin aux fonctions d'un ou de plusieurs membres du gouvernement du fait de leur démission individuelle ou collective». En outre, «à la suite de la démission du chef du gouvernement, le Roi met fin aux fonctions de l'ensemble du gouvernement». Le gouvernement démissionnaire continue, néanmoins, d'expédier les affaires courantes jusqu'à la constitution du nouveau gouvernement. Cela peut être également le cas lorsque plusieurs membres du gouvernement déposent en même temps leur démission. Cela est notamment arrivé lorsque le Parti de l'Istiqlal a décidé de quitter la coalition gouvernementale en octobre 2013. Les ministres démissionnaires sont restés en place jusqu'à la nomination de leurs remplaçants. Il se peut également que les ministres en exercice prennent en charge pour un certain temps, par intérim, les fonctions des ministres démissionnaires.[/tab] [/tabs]
[tabs] [tab title="Le cas particulier de la région Guelmim-Oued Noun" id=""]A l'issue des élections régionales du 4septembre 2015, l'USFP a été déclaré vainqueur dans la région Guelmim-Oued Noun où il a remporté 12 sièges sur les 39 qui composent le conseil régional. Il est suivi du RNI avec 8 sièges et du PAM avec 6 sièges. Après moult tractations, la présidence de la région est revenue au RNI, en la personne d'Abderrahim Ben Bouaida, qui l'a dirigée à la tête une coalition composée, outre son parti, du PJD, PAM, MP et PRD. L'USFP et l'Istiqlal sont passés à l'opposition. Le conseil a connu des couacs dès ses premières réunions, le vote du budget de la région a été retardé pour finir par être bloqué à la deuxième année. En mai 2018, suite à une série de blocages, le ministère de l'intérieur a décidé d'intervenir, usant des prérogatives qui lui sont confiées par l'article 77 de la loi organique 111-14 relative aux régions, en suspendant le conseil de la région. Une délégation spéciale, nommée par le ministère, a été chargée de l'expédition des affaires courantes du conseil durant la période de suspension qui a été fixée dans un premier temps à six mois. Passé ce délai et les membres du conseil n'ayant toujours pas trouvé un terrain d'entente, cette période a été prorogée pour une durée similaire. Pendant ce temps, de nouvelles négociations ont été menées et les parties adverses sont finalement arrivées à un accord. Selon les termes de cet accord, le président en exercice allait présenter sa démission, la secrétaire d'Etat allait se présenter comme candidate de consensus soutenue par son parti mais aussi par la principale force de l'opposition, l'USFP. Ce scénario de crise a été finalement mis à exécution avec la démission du président et de son bureau, déposée le 13 juin, aux services du ministère de l'intérieur.[/tab] [/tabs]