Les huissiers se plaignent des aberrations et de l'anarchie qui caractérisent les procédures d'exécution. n Les avocats évoquent le manque de moyens des secrétariats de greffe. Mercredi 4 juillet. Nous sommes au tribunal de commerce de Casablanca. A l'entrée de la bâtisse, le visiteur ne peut pas rater les trois bornes informatiques installées pour la consultation des dossiers. Ce matin-là, trois personnes, dont une avocate en toge, plongées dans les fichiers, pianotent sur les claviers à la recherche d'informations les concernant. Assurément, c'est là une scène qui illustre bien la révolution informatique réalisée dans notre justice. Seulement, à quelques mètres de là, dès que le visiteur franchit la porte du bureau au fond, il est instantanément transporté des années en arrière. Bienvenue au bureau des notifications et des exécutions. Ici, il n'y a pas de bornes mais des registres et de la paperasse, beaucoup de paperasse. Derrière le comptoir, cinq fonctionnaires, en majorité des femmes, tentent de répondre aux requêtes des demandeurs. Ce matin-là, il n'est encore que 9 heures et demie et la queue est déjà longue. Pour Abdelaziz Fouganni, président de l'Association nationale des huissiers de justice du Maroc (ANHJM), «l'informatisation n'a strictement rien apporté en matière de procédures de notification et d'exécution. La preuve, poursuit-il, on continue de fonctionner avec les registres et au bureau des notifications du tribunal de commerce de Casablanca, par exemple, il y a cinq personnes qui travaillent pour 130 huissiers et plus de 2 200 avocats, sans compter les justiciables». Mais en réalité, ce n'est là que la partie visible de l'iceberg car la problématique de l'exécution et de la notification, plus profonde et plus compliquée, est aujourd'hui le point noir du système judiciaire. Si la justice n'est pas crédible, c'est en partie dû aux problèmes de lenteur dans l'exécution des jugements. Le bâtonnier de Rabat, Mohamed Akdime, abonde, lui aussi, dans ce sens. «Un petit différend au sujet d'un loyer peut facilement s'étaler sur 18 mois à trois ans», explique-t-il. Autre exemple de cette lenteur : les accidents du travail qui donnent lieu à des indemnisations versées par les compagnies d'assurances. Quatre à cinq ans pour exécuter un jugement dans une affaire d'accident du travail «Nous sommes en 2004 et les compagnies d'assurances sont à peine en train d'apurer les dossiers de 1999, 2000 et 2001». Si pour Me Akdime, le retard des exécutions et, de manière générale, la lenteur de la justice trouvent leur origine dans le manque de moyens humains et matériels, pour son collègue huissier, d'autres facteurs de fond viennent s'y ajouter. Pour M. Fouganni, l'exécution et la notification des jugements au Maroc doivent être revues dans le fond et la forme. «Selon la procédure, explique-t-il, l'huissier de justice est obligé de se déplacer chaque jour au secrétariat greffe pour savoir s'il a été désigné pour effectuer une notification ou une exécution». Pour éviter ce passage obligé par le greffe, les huissiers de justice ont proposé à maintes reprises au ministère de la Justice que le justiciable prenne lui-même une copie de son jugement et s'adresse directement à l'huissier de son choix. «On éliminera cinq étapes d'un coup», argumente le président de l'association. Mais apparemment, le ministère n'est pas convaincu du bien fondé de la proposition. Abdelmajid Rhomija, directeur des études et de la modernisation au ministère de tutelle, explique qu'un projet de modification de ces textes est actuellement au Secrétariat général du gouvernement. Pour les huissiers de justice, l'exécution souffre également d'un problème de taille : le manque d'unification des procédures. «Aujourd'hui, à Casablanca, par exemple, où il y a neuf tribunaux, nous sommes en face de neuf procédures d'exécution différentes les unes des autres», ironise Abdelaziz Fouganni qui donne, à titre d'illustration, l'exemple de ce président du tribunal de commerce d'une grande ville qui, «de son propre chef, oblige les huissiers à rendre les dossiers au bout de quinze jours, alors que la loi donne au justiciable un délai d'un mois pour se prononcer sur le sort d'une notification ou d'une exécution». La solution pour lui est très simple. «Il faut créer un code d'exécution des jugements et instaurer un corps de magistrats à part entière, dédiés exclusivement à l'exécution»