Il n'est un secret pour personne que le Maroc n'est pas un champion de la croissance. Le dynamisme économique n'est pas dans les gènes des Marocains. Nous avons certainement beaucoup de qualités, mais pas celle-là. Il y a un biais culturel profond qui fait des Marocains des amoureux inconditionnels de la fonction publique avec tout ce qu'elle projette comme prestige social, stabilité de l'emploi et accès rapide à l'enrichissement par la corruption, pour les moins vertueux. Ces aspirations sont légitimes (les deux premières en tout cas) si elles sont limitées à une frange de la population. Elles deviennent, en revanche, dangereuses pour l'économie d'un pays quand elles se transforment en horizon indépassable pour toute sa jeunesse. Or, le dynamisme économique est déterminé par deux paramètres paradoxalement non économiques. Le premier paramètre tient à la source du prestige social dans un pays (service public, arts et sciences ou commerce et affaires) et le second à la destination des esprits les plus brillants de ce pays (fonctionnariat et salariat, université ou entrepreneuriat). En d'autres termes, quel est le modèle de réussite dont parlent les parents à leurs enfants : un ministre ou un cadre dirigeant d'entreprise, un artiste, un intellectuel ou un commerçant ? Plus le prestige social est lié à la prise de risque et à l'entrepreneuriat, plus le pays est prospère économiquement. Au Maroc, on peut facilement constater que les hauts profils ayant fait les études les plus brillantes préfèrent soit le prestige de la fonction publique, soit le confort matériel du salariat dans le secteur privé. L'effondrement des chiffres de création nette d'entreprises dans ce pays (rapport entre entreprises créées et entreprises défaillantes) nous fournit à ce titre une excellente illustration. Prenons l'annuaire de n'importe quelle grande école ou université prestigieuse et on trouvera que la majorité de ses lauréats sont soit des fonctionnaires, soit des salariés. Très peu sont devenus entrepreneurs. Dans ce pays, quand on a fait de grandes études, ce n'est pas pour commencer à zéro dans la création d'entreprise. D'ailleurs, l'échec des programmes de financement des créations d'entreprises (Crédit jeunes promoteurs ou Moukawalati) s'explique, entre autres, par le fait que les promoteurs l'ont été par défaut et non par vocation. Cette explication est en partie valable pour le nombre élevé de défaillances d'entreprises au Maroc. On ne naît pas forcément entrepreneur, c'est la société à laquelle on appartient qui fait qu'on le devient ou pas. Et quand on le devient, c'est l'environnement des affaires qu'elle met en place qui fait qu'on réussit ou pas. En plein débat sur le modèle de développement (qui est une conséquence observée a posteriori et non une construction élaborée a priori), la centralité du rôle de l'entrepreneur dans notre société doit être érigée en priorité. En économie, c'est le personnage le plus important, car il porte tout le pays sur ses épaules; c'est lui qui paye tout le monde. C'est aussi simple que cela. Beaucoup de recherches ont été rédigées sur les qualités personnelles de l'entrepreneur (goût du risque, autonomie, résistance à la pression, détermination, etc.) et sur les déterminants de sa réussite dans les affaires (créativité et innovation, talents de vente et de communication, négociation, capacités de gestion et de décision, management des hommes et des situations complexes, etc.). Pour nous, ce qui caractérise l'entrepreneur, c'est sa capacité à gérer l'incertitude pour que les autres membres de la société vivent dans la certitude. En termes plus simples, l'entrepreneur est le seul acteur dans l'économie dont le revenu (le profit) n'est pas contractuel, mais aléatoire. La rémunération des autres agents est garantie par un contrat (travail, location, etc.). Il est le seul à accepter de soumettre sa rémunération aux aléas pour qu'elle soit maximale, mais avec le risque de perdre sa mise initiale. Les autres acteurs préfèrent une part fixe et immédiate du gâteau (valeur créée), même si elle est petite. L'entrepreneur récupère le reste de ce gâteau, s'il en reste. Il est donc le pont entre la certitude du présent et l'incertitude de l'avenir. Un tel profil est tellement rare qu'il ne peut l'être par défaut (on ne lance pas une entreprise parce qu'on n'a pas trouvé du travail). Si les qualités personnelles de l'entrepreneur lui font prendre le risque, ce sont ses qualités professionnelles et l'environnement dans lequel il évolue qui lui font réussir ou perdre ce pari. Une entreprise est créée parce que quelqu'un accepte de sacrifier ses revenus présents pour de plus importants revenus futurs. La création d'entreprise est une condition nécessaire à la croissance économique, à la création d'emplois et à la prospérité de la société. Mais elle n'est pas suffisante. Pour que l'entreprise survive et se développe, le promoteur doit user de qualités professionnelles qui relèvent plus de la science que de l'art. Et c'est là une seconde lacune du modèle marocain de l'entreprise, à savoir la faible pratique des outils modernes de management. Ainsi, quels que soient les talents personnels de l'entrepreneur, sans une gestion rationnelle de l'entreprise, celle-ci est vouée à l'échec. Confondre entrepreneur et entreprise est une erreur fatale dans les affaires. Même s'il en est le créateur, l'entrepreneur devient une partie prenante parmi tant d'autres dans un réseau complexe aux interactions multiples (salariés, fournisseurs, clients, Etat, communauté, etc.). Si la création d'entreprise est une initiative d'abord individuelle, elle devient rapidement l'épicentre de plusieurs connexions qui impliquent toute la société (ne serait-ce que par les impôts qu'elle paye à la communauté). Alors, donnons à ces véritables héros des temps modernes l'estime, et surtout l'aide, qu'ils méritent n