La discussion annuelle du projet de Loi de finances est le moment où le gouvernement présente son «bulletin de notes» au peuple et à ses représentants. Les enjeux sont clairs et la question des citoyens, à laquelle doit répondre l'Exécutif, est simple et directe : Qu'avez-vous fait de notre argent ? La première partie de la question renvoie aux dépenses de l'Etat, tandis que la seconde questionne ses recettes. Entre efficacité économique et justice sociale, la lecture du budget de l'Etat donne le ton des orientations de l'équipe aux commandes et ses priorités. Si à long terme les deux soucis sont fortement corrélés, à court terme, les échéances électorales et le positionnement sur l'échiquier politique (droite, gauche, centre ou extrêmes) peuvent peser davantage dans un sens que dans l'autre. Si le Parlement est l'expression de la volonté populaire ; et que le gouvernement, qui en est issu, est l'architecte de la politique du pays, notamment dans le domaine économique, l'Administration est l'instrument principal de mise en œuvre de celle-ci. De son efficacité résulte l'accélération ou le ralentissement, voire l'arrêt du processus de développement. Et c'est sur cet aspect que la réforme tarde à voir le jour. Le Maroc est en plein débat sur un nouveau modèle de développement (avec toutes les réserves que nous pouvons émettre sur le concept, tant celui-ci est un résultat et non une action). Dans ce débat, la réforme du fonctionnement de l'Etat en matière de qualité de service public et de reddition des comptes est quasi absente. Ainsi, les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent, sans qu'une action minimale soit menée pour sanctionner les débordements. Le gouvernement et la Cour se refilent ainsi «la patate chaude». Au sommet de sa puissance coloniale dans les années 20 du siècle dernier, l'Empire britannique contrôlait le quart de la population mondiale (environ 400 millions d'âmes) et s'étendait sur 29,8 millions de km2 (environ 22 % des terres émergées). La population de ce pays était, pourtant, inférieure à 40 millions d'habitants ! Outre sa supériorité industrielle et financière, c'est grâce à une administration redoutable que cet empire a pu s'étendre sur toutes les parts du globe. La Grande-Bretagne contrôlait, par sa machine bureaucratique, un pays continent comme l'Inde (population supérieure à 300 millions d'habitants, à l'époque) avec seulement 1 000 fonctionnaires civils ! Dans tout processus d'émergence économique et d'expansion commerciale extraterritoriale, la mise en œuvre d'une bureaucratie efficace est la priorité parmi les priorités. La croissance est, on ne le dira jamais assez, consubstantielle à une administration aux rouages bien huilés. Prenez un pays des moins avancés et mettez-y l'administration de la Suède ou celle des Etats-Unis et voyez le bond spectaculaire en moins d'une décennie. Il n'y a pas de pays sous-développés, disait Peter Drucker, mais des pays mal gérés. Mettez la mairie de Paris à Casablanca et vous aurez une ville propre au bout de quelques années ; et mettez la mairie de Casablanca à Paris et elle sera sale au bout de quelques semaines. Et ce résultat peut être attribué, dans une large mesure, à la bureaucratie dans le sens noble du terme. Ainsi, à l'instar d'une entreprise dont la stratégie ne saurait se déployer sans organisation opérante, un pays ne peut voir sa politique réussir, sans une administration qui fonctionne d'une manière optimale. Or, chez nous, la discussion sur la réforme de l'Administration se borne à en décrier le coût sur le budget public, sans en aborder la substance. Ce fut, malheureusement, le cas de la fâcheuse opération de départ volontaire, dans le secteur public, où nous avons payé pour vider l'administration de ses meilleurs cadres. Et pour cause, dans ce genre d'initiatives, ce sont les meilleurs qui partent, car ils peuvent facilement trouver ailleurs, tout en ayant touché un joli pactole. Nous abordons mal le sujet en le limitant à une question purement budgétaire. Il s'agit dans le fond de réfléchir à notre modèle d'administration. Sans bureaucratie efficace, il ne peut y avoir de croissance durable. Nous n'avons pas réussi à développer l'administration héritée du Protectorat. Pire encore, nous l'avons utilisée pendant longtemps pour absorber les tensions sociales et «caser» les trublions pour acheter leur loyauté et leur silence. Toute politique, aussi créative soit-elle, restera lettre morte, faute de culture de performance de l'action publique qui assure une bonne coordination entre le gouvernement, l'administration centrale et l'administration territoriale. La réforme doit s'appuyer sur un corpus doctrinal fort. Ce dernier doit définir le mode de dotation de l'administration en compétences (formation, encadrement, rémunération et épanouissement personnel), les modalités d'exercice de la mission de service public ainsi que les règles de gouvernance encadrant et contrôlant son action. Cette réflexion est d'autant plus d'actualité que nous nous engageons dans le processus de régionalisation avancée. D'année en année, le solde de l'action publique (recettes – dépenses) continue d'afficher des déficits importants, même s'ils ont tendance à se réduire. Si cette trajectoire est à saluer, elle ne doit pas nous faire oublier que la raison d'être de l'administration est d'abord dans son action qualitative. Dans l'absolu, il n'y a pas des fonctionnaires vertueux dans certains pays et corrompus dans d'autres. Il y a des pays qui appliquent strictement la loi à tous et d'autres non. Nous faisons malheureusement partie de la deuxième catégorie.