Comme sur un échiquier, le verbe haut et le regard oblique, Salim Jay arpente le champ littéraire marocain en suivant la diagonale d'un fou de lecture. On ne peut tout approuver dans son inventaire mais lorsqu'on partage son enthousiasme ou sa contrariété à propos de tel ou tel auteur, on ne peut que se réjouir qu'un tel ouvrage vienne enrichir la critique littéraire marocaine. «L'oiseau vide son calame» et le calame ici signifie «plume» mais pourrait tout aussi bien dire «kalam» à savoir «paroles» en arabe. Mais quand on sait que l'auteur avait déjà publié un ouvrage sous ce titre alimentaire : L'oiseau vit de sa plume, on devine dans ce subtil calembour la malice de cet écrivain hors norme qu'est Salim Jay. D'emblée, l'introduction de son drôle et excellent dictionnaire consacré à des écrivains marocains laisse quelque doute sur le traitement réservé à nombre de ses pairs. Mais l'incipit n'est qu'une illusion car ce n'est qu'en parcourant la galerie d'auteurs toutes générations, toutes langues et tous genres confondus que l'on devine la sauce à laquelle certains seront mangés. Et encore, Salim Jay ne vide pas tout son sac. Salim Jay, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un écrivain marocain vivant à Paris depuis plus de trente ans. Mais attention ! il n'appartient ni à la mouvance des auteurs maghrébins de langue française, ni encore moins à cette génération de la «beuritude» littéraire née dans les années 80. Il n'est pas non plus un auteur français «assimilé» et adoubé par le landernau germanopratin, qu'il connaît pourtant comme personne. C'est un drôle d'oiseau littéraire qui picore librement, lit énormément, écrit beaucoup et ne hante ni les plateaux de télévision, ni les coteries de la branchouille éditoriale parisienne. Après une longue «fâcherie» avec le pays et une vingtaine de livres, dont un roman, des essais et quelques pamphlets, genre où il excelle, Salim Jay a entamé peu à peu un «retour à la mémoire» et renoué physiquement avec son pays en multipliant les séjours au Maroc. En fait, Salim Jay a toujours suivi de très près toutes les activités littéraires et s'est montré curieux des publications dont il a souvent été un des premiers lecteurs à la faveur de sa fréquentation assidue de l'Institut du monde arabe, à Paris. Cette immense curiosité, nourrie par son dévorant appétit de lecture et le ton libre qui caractérise depuis toujours le personnage, ont aidé à la naissance de ce Dictionnaire des écrivains marocains (Eddif et Paris Méditerranée). Mais parce que Salim Jay ne fait rien comme les autres, son dictionnaire a cette double particularité : il ne contient pas d'index par ordre alphabétique des auteurs cités et livre des appréciations totalement subjectives, en bien comme en mal, sur les romanciers et poètes sélectionnés. Bien entendu, avant de savoir si on en est, geste humain de tout impétrant, il faut bien passer en revue toute la galerie des auteurs disséqués par la plume acérée de ce «fou de lecture». En vérité – et c'est là l'intérêt de cet ouvrage malicieusement et faussement didactique -, le tout n'est pas de retrouver son nom gravé dans le petit panthéon de Salim Jay, mais de s'en sortir indemne. Par charité journalistique, on ne citera pas certains auteurs flingués d'une phrase dans le texte. Il est vrai, même si la lecture du titre par un mauvais esprit peut le suggérer, que ce n'est pas «le dictionnaire des écrits vains.» Il en a épinglé quelques-uns, mais ils ne sont pas nombreux, car le critique n'est pas un sniper qui tire sur tout ce qui déambule sur la voie littéraire marocaine, pourtant encombrée de badauds. Comme sur un échiquier, le verbe haut et le regard oblique, Salim Jay arpente le champs littéraire marocain en suivant la diagonale d'un fou de lecture. Certes, on ne peut tout approuver dans cet inventaire que Jay a dressé et qui a dû lui prendre, en plus de la tête, bien des nuits blanches, mais lorsqu'on partage son enthousiasme et parfois sa contrariété à propos de tel ou tel auteur, on ne peut que se réjouir qu'un tel ouvrage vienne enrichir la critique littéraire marocaine. Cette dernière en avait bien besoin en ce temps des loges (et de l'éloge) de la «fraternité littéraire» où, souvent, le moindre opuscule est hissé au firmament par un chœur halluciné de potes abonnés chez le même opérateur politico-médiatique. Ce sont du reste les mêmes qui vouent aux gémonies les rares ouvrages de qualité qui voient le jour en dehors du réseau et de l'ISO éditoriale dont on affuble certains poncifs.