Les 365 jours de cette année s'inscriront dans les annales de l'Histoire comme ceux de la haine et de la fureur, fureur des hommes comme des éléments. Aussi est-ce avec une certaine appréhension que l'on reçoit la nouvelle du crash d'un avion en Mer Rouge. Accident ou attentat ? En ce premier week-end de 2004, une information nous cueille au réveil : un avion charter s'est âbimé en Mer Rouge, sept minutes à peine après son décollage de l'aéroport du Caire. Cent quarante-huit passagers se trouvaient à son bord, dont cent trente-cinq touristes français de retour des vacances de fin d'année. On ne dénombre aucun survivant. Les autorités égyptiennes parlent d'un probable accident. Mais l'hypothèse criminelle hante naturellement les esprits. La page 2003 vient juste d'être tournée avec son lot de traumatismes en tout genre. Close sur une ultime tragédie, le tremblement de terre de Bam en Iran avec ses 40 000 morts, elle aura été, pour paraphraser la Reine d'Angleterre, une «annus horribilis». Guerres, attentats, épidémies, catastrophes naturelles, rien n'aura été épargné au monde. Les 365 jours de cette année s'inscriront dans les annales de l'Histoire comme ceux de la haine et de la fureur, fureur des hommes comme des éléments. Aussi est-ce avec une certaine appréhension – pour ne pas dire une appréhension certaine – que l'on reçoit la nouvelle de ce crash. Accident ou attentat ? Les vœux de paix et de sérénité en sont encore à s'échanger que l'angoisse refait surface. En vérité, elle n'aura pas eu à desserrer son étreinte. Pendant tous les jours précédant la célébration de la fin de l'année, il n'a été question que d'alertes maximales avec des dispositifs de sécurité sans précédent dans les différents points sensibles de la planète. En ce début 2004, les 145 victimes du charter égyptien ne sont pas les seules à avoir connu une mort que l'on peut qualifier de tragique, qu'elle soit ou non le fruit d'un acte terroriste. Qu'il s'agisse de la Palestine, de l'Irak ou de tout autre coin de la planète marqué par le fracas des armes, les douze coups de minuit, qui nous ont fait basculer de 2003 à 2004, n'ont marqué aucune trêve de la violence. Mais y a-t-il jamais eu trêve de la violence ? A y réfléchir, la nouveauté n'est pas dans la persistance de celle-ci mais dans cette diffusion du sentiment d'angoisse et d'insécurité qui étreint pareillement que l'on soit du Nord ou du Sud de la planète. «Ennass khayfin», confie cette femme de ménage en parlant de l'atmosphère régnant lors de ce réveillon-ci dans son quartier, pourtant populaire, du Hay Hassani. «Avant, les gens se réunissaient les uns chez les autres pour fêter ras el aâm. Cette année, chacun est resté chez soi par peur des bombes». Le 16 mai a mis tout le monde au diapason, que l'on habite Anfa ou Sidi Othman et, plus largement encore, que l'on vive à Casablanca, Paris ou New York. Une angoisse diffuse étreint les habitants du monde. La donne terroriste actuelle y est pour quelque chose certes, mais elle n'est qu'un des éléments qui nourrissent cet état latent d'insécurité. En fait, la responsabilité première en incombe aux médias. Il n'est pas un jour où l'on ne nous parle pas de violence, de drame et d'injustice. A ceux qui souffrent ou meurent ici – et- là, on s'identifie soit en tant que frères soit en tant qu'ennemis. Du coup, les problèmes de la quotidienneté propre sont appréhendés dans un ensemble plus large et donc vécus avec une acuité plus forte. Le jeune beur victime d'exclusion dans la société française va «casser du juif» sur le chemin de l'école en raison des exactions israéliennes à l'égard des Palestiniens. On débat de l'affaire du voile en France au fin fond de la chaumière arabe, et le ressentiment musulman à l'égard de l'Occident judéo-chrétien trouve matière supplémentaire à se renforcer. D'un autre côté, la lapidation encourue par ces Nigérianes poursuivies pour adultère fait frémir d'indignation et voit se tisser une immense chaîne de solidarité féminine à travers le monde. On pourrait ainsi décliner à l'infini les situations qui, se déroulant ici, suscitent émoi là, au fi de la distance géographique. Et comme, bien entendu, ce n'est que très rarement de joie et de bonheur qu'on nous entretient mais de maux et de tragédies à répétition, la vie de ces milliards d'êtres humains que nous sommes nous est renvoyée sous des jours fort peu joyeux. Etat de la planète ou du devenir des hommes, l'avenir n'est que sombres prévisions. Quand le monde se limitait aux confins du village et que celui-ci ne bruissait que de son seul souffle, la sérénité avait-elle davantage droit de cité ? Cette question-là, on voudrait remonter le temps pour la poser à nos aïeux. Mais est-ce bien nécessaire ? Il suffit de quitter l'autoroute et de gravir la montagne. L'horizon redevient alors immensité et le temps éternité.