Les émotions sont en rapport étroit et permanent avec nos décisions et nos actions et agissent sur nos comportements quotidiens. Il n'y a pas de bonnes ou mauvaises émotions, toutes sont nécessaires pour faire passer un message. Loin de l'ère de la rationalité oà1 la logique intellectuelle était le seul moteur de progression, les émotions ont aujourd'hui leur place dans la performance de l'entreprise. Pourquoi cette évolution ? Tout simplement parce que les émotions sont fondamentales dans les processus de prise de décision et parce qu'elles fournissent des informations pour nourrir les relations avec les autres et qu'elles favorisent la motivation ou encore facilitent la créativité. Ghita Mseffer, psychologue, nous explique comment. La Vie éco : Comment définissez-vous une émotion ? Comment naà®t-elle ? Ghita Mseffer : En psychologie, l'émotion est définie comme un ensemble spécifique d'éprouvés psychiques plus ou moins accompagnés de manifestations psychologiques et comportementales d'intensité variable, perceptibles ou non par soi et par les autres. Il existe ce qu'on appelle les émotions de base : peur, joie, colère, amour, dégoût… Il y a ensuite les émotions secondaires qui sont des mélanges des émotions de base. Par exemple, la honte est une émotion mixte, à la base un mélange de peur et de colère. D'après les psychologues, les émotions sont essentielles pour la connaissance de soi, d'autrui et de l'environnement. Elles sont en rapport étroit et permanent avec nos décisions et nos actions et agissent sur nos comportements quotidiens, sur nos choix et nos perceptions. Elles rendent la communication plus efficace. C'est aussi quelque chose d'inné en nous. Une émotion existe à la fois dans la dimension personnelle et sociale de l'individu. Elle serait cette capacité d'adaptation et de changement, ce lien qui forme nos relations et nous met en interaction avec l'autre. Par exemple, dans certaines cultures, on arrive à exprimer plus librement ses émotions que dans d'autres environnements. Et quelle place tiennent-elles au sein de l'entreprise ? En tout cas dans notre société, les émotions étaient considérées comme un signe de faiblesse. Il est vrai que dans une société oà1 l'on se protège de tout et surtout les uns des autres, oà1 chacun canalise ses «pulsions», il y a peu de place à l'exposition des émotions. On apprenait même dans les ouvrages de management que les individus responsables sont ceux qui arrivent à se contrôler et ne laissent pas libre cours à des «dérives émotionnelles». Ce n'est plus le cas maintenant. Aujourd'hui, on ne jure que par l'intelligence émotionnelle. Des études scientifiques ont montré que la différence, entre deux personnes diplômées d'une même école, ayant les mêmes compétences, se situait dans le quotient émotionnel et non le quotient intellectuel. C'est cette capacité d'empathie, de gagner la confiance des autres, de créer des liens… Du coup, les émotions sont fondamentales dans les processus de prise de décision et parce qu'elles fournissent des informations pour nourrir les relations avec les autres, qu'elles favorisent la motivation ou encore facilitent la créativité. En apprenant à manager les émotions, l'entreprise peut gagner un avantage concurrentiel non négligeable. Justement, quel est l'impact sur les relations professionnelles et la performance ? Toute émotion est mobilisée dans le travail et pour le travail. Que ce soit la peur, la jalousie, la joie…, l'enjeu est de savoir comment les utiliser tout en restant rationnel. Imaginez tout individu qui éprouve du plaisir dans son travail, son rendement n'en sera que satisfaisant. Dans l'entreprise, le manager doit être un facilitateur d'expressions de soi. Par exemple, dans des entreprises, on accepte très facilement que des collaborateurs s'expriment aisément. Forcément, cela crée de l'émulation et la créativité. Y a-t-il des études qui ont été menées sur le sujet ? Tout à fait ! Toutes les récentes découvertes de la psychologie et autres disciplines du comportement montrent comment l'émotion et les sentiments sont au centre de tout et façonnent la personnalité de chaque individu. Elles constituent le fondement même de l'être. Elles n'ont pas seulement pour but d'aider à survivre dans un monde hostile mais aussi à servir pour communiquer par le langage verbal et non verbal ce que nous ressentons. Des études ont montré également que beaucoup de maladies naissent à partir du fait que l'on ne tient pas compte de ses émotions. Quelqu'un qui ne laisse pas libre champ à ses sentiments va souvent vivre en autarcie. Comment peut-on tirer profit de ses émotions surtout dans un environnement oà1 l'on se protège de tout comme vous l'avez évoqué précédemment ? Justement, il faut d'abord un environnement qui favorise l'expression des sentiments et qui accepte les émotions des uns et des autres. Par exemple, les entreprises recourent à des séminaires de PNL ou de gestion des émotions oà1 l'on apprend à libérer son esprit, à exprimer des sentiments… Des jeux de rôles permettent une reconstruction identitaire de la personne. On convertit l'agressivité en ambition. Il faut savoir qu'il n'y a pas de bonne ou mauvaise émotion. Toutes sont nécessaires pour exprimer ce que l'on veut faire passer comme message. La colère serait-elle un bon moyen pour le faire ? Tout à fait. La colère est une émotion qui découle de la manière dont nous apprécions un événement dans un contexte particulier. Nous l'exprimons quand nous faisons face à une situation menaçante ou dégradante. C'est une affirmation de la personne et sert au maintien de son intégrité physique et psychique. Le but est de se défendre. Elle peut être synonyme de souffrance comme de passion. Mais, souvent, elle traduit une insatisfaction. Elle est vécue à l'égard de ce qu'on identifie, à tort ou à raison, comme étant responsable de notre frustration. Elle peut avoir un aspect positif à condition qu'elle soit bien mesurée. Si c'est pour rééquilibrer une situation ou mettre en évidence un point litigieux précis, oui. Cela permet de repartir sur des bases plus saines. Elle permet également de fixer des limites à l'autre s'il ne sait pas se les imposer. La colère peut être saine, mais il ne faut pas qu'elle soit fréquente. Dans des cas, elle peut être essentielle pour se faire comprendre. Peut-on aussi canaliser celles des autres ? On peut le faire à condition de canaliser ses propres émotions. Quand vous faites preuve d'empathie, vous arrivez à mieux maà®triser celles des autres. Le pire dans le management est d'écraser les sentiments des autres au nom de la rationalité excessive. Nous sommes dans une culture oà1 l'on cache notre fragilité par peur qu'elle se retourne contre nous.