Faible valeur juridique, absence d'équivalence des diplômes par rapport à une formation en mode présentiel, coût des plates-formes, de la conception des cours et des tuteurs assurant le suivi freinent le développement de la formation à distance. A court terme, 15% des budgets de formation du secteur privé lui seront affectés. Faire de la formation à distance (FOAD)? Le con-cept peine à séduire managers, apprenants et formateurs au Maroc. Connu communément sous l'expression générique «e-learning», ce nouveau mode de formation, basé sur les technologies de l'information et de l'apprentissage, a déjà fait ses preuves sous d'autres cieux. Au Maroc, les facteurs de résistance sont multiples. Au-delà de la dimension technologique de ce type de formation, la méfiance, pour ne pas dire la résistance, vis-à-vis du e-learning découle en premier lieu des habitudes liées à la formation en présence d'un enseignant ou formateur. «Ce type de formation, traditionnel, est caractérisé par la rigueur. Or, dans la FOAD, l'apprenant doit mettre à contribution son autonomie et son engagement dans le processus d'apprentissage», explique Saïd Tahiri, DG de la filiale marocaine du groupe international Formademos. Le blocage est plus psychologique que technique Même ceux qui ont franchi le pas et ont décidé de suivre des formations à distance restent sceptiques à cause du manque de confiance dans la valeur scientifique et juridique (équivalence) des diplômes et certificats délivrés en mode e-learning. «Cette méfiance s'estompera avec le temps et l'évolution des mœurs dans la formation», ajoute, confiant, M. Tahiri. Preuve à l'appui, la vague des formations délocalisées a suscité la même méfiance au départ. Aujourd'hui, de telles formations sont mises en valeur dans les CV des candidats et prises en considération par les recruteurs lors des entretiens d'embauche. Quid du volet technique de la FOAD ? Pour l'enseignant chercheur de l'ENSIAS (Ecole nationale d'informatique et analyse des systèmes), Radouane Mrabet, les balbutiements du e-learning, aussi bien dans le secteur éducatif que privé, s'expliquent par les coûts exorbitants de deux composantes : le développement d'une plate-forme de formation et les modules de formation. «Pis encore, même si l'on dépasse ces deux écueils majeurs, encore faut-il être en mesure de financer le coût des tuteurs censés assurer le suivi et le contrôle à distance des apprenants», ajoute-t-il. Autre facteur explicatif du retard de déploiement d'une offre e-learning : le faible taux d'équipement informatique et d'accès Internet. Aujourd'hui, le pays ne compte pas plus de 500 000 abonnés Internet, dont 97% en haut débit (ADSL). Cependant, ce facteur ne semble plus être un blocage notable compte tenu de la dynamique du marché de l'équipement. En effet, ce sont plus de 140 000 PC qui sont écoulés annuellement sur le marché local. La libéralisation des télécoms, notamment sur le segment du fixe, avec trois opérateurs (Maroc Telecom, Méditel et Wana) boostera certainement les infrastructures et, en premier lieu, l'accès haut débit à l'Internet. Les difficultés de pénétration du e-learning ne doivent pas pour autant faire oublier les initiatives lancées dans différents départements ministériels. A titre indicatif, le ministère des finances a décidé récemment d'intégrer dans son organigramme un service dédié à la formation à distance. Celui de l'Education nationale n'est pas en reste. Ce département a mis en œuvre une télévision interactive (TVI) destinée à dispenser des formations à distance au profit du corps enseignant réparti à travers tout le pays (voir p.III). Au niveau de l'enseignement supérieur, le président de l'université Ibn Zohr, Abdelfadil Bennani, s'active depuis 2006 pour la concrétisation d'un ambitieux projet de campus virtuel marocain (CVM). Concrètement, ce campus est destiné à fédérer et mutualiser les différentes initiatives des universités publiques en matière de e-learning pour pouvoir développer à terme des filières dispensées à distance pour trois niveaux : licence fondamentale, professionnelle et le master spécialisé. Dans les multinationales, les employés profitent des plateformes de la maison mère Autre département ministériel qui s'intéresse à l'articulation TIC et formation : le ministère de la justice. L'Agence de développement américaine (USAID) a financé un projet, en cours de déploiement, pour la conception d'un package de formation au profit des juges marocains en charge de dossiers du code de la famille (moudawana). «Ce projet, réalisé en partenariat avec l'Association des avocats américains, vise à produire huit modules de formation relatifs à l'interprétation des différentes dispositions du code», révèle Karl Stanzick, DG de MTDS, la société en charge de la réalisation de ce projet qui doit être livré avant l'été 2007. Ces kits, une fois finalisés, seront accessibles aux juges à travers le pays pour mieux appréhender les différents aspects liés aux articles du code de la famille. S'agissant du secteur privé, la majorité des grands groupes internationaux mettent déjà à la disposition de leurs employés, y compris au Maroc, des modules de formation à distance. Ces modules appuient les formations déjà dispensées en mode présentiel. Traduisez : l'effet d'appartenance à une multinationale permet de profiter des plates-formes e-learning de la maison mère à défaut d'une offre locale alternative. Sur un autre registre, l'un des signes de maturation au niveau de la perception vis-à-vis de la FOAD est «le fait que des entreprises commencent à financer des formations à distance au profit de leurs employés», reconnaît M. Tahiri. Cette perception positive au point que l'on contribue au financement, est le résultat de l'offensive commerciale de plusieurs cabinets de formation qui, de plus en plus, intègrent la formation à distance dans leurs catalogues de formation intra et inter-entreprises. C'est le cas des deux masters lancés par le cabinet Formademos au profit des titulaires d'une maîtrise (Bac+4) et ayant une expérience professionnelle au moins supérieure à un an. Il s'agit du master ingénierie de formation et système d'emploi, et celui dédié à l'administration des affaires. Enfin, le potentiel du marché marocain de la FOAD aiguise l'appétit non seulement des cabinets locaux mais aussi des éditeurs spécialisés dans la niche du e-learning. Plusieurs d'entre eux, en provenance de l'Europe ou des Emirats Arabes Unis (Dubaï), s'activent actuellement pour nouer des partenariats avec des prestataires locaux. Objectif : décliner localement leurs offres e-learning surtout à destination des grands groupes privés marocains. A rappeler que selon les estimations des professionnels, à court terme, les investissements des entreprises au Maroc dans les programmes de formation à distance représenteront plus de 15% des budgets affectés à la formation en général.