Le cadre marocain reste conservateur dans sa façon de s'habiller. Le «friday wear» et autres modes venues d'outre-Atlantique n'ont pas encore affecté l'entreprise. Les organismes financiers restent très stricts sur la tenue des collaborateurs. La banque autorise peu de fantaisie ! Tous les matins, Mohammed en fait les frais. Chef de projet au sein de la direction des systèmes d'information, ce jeune cadre enfile son costume comme une camisole de force et noue autour de son cou, telle une corde de pendu, une des quelques rares cravates qu'il s'est forcé à acheter. En au sein du siège de la banque où il travaille, le costume-cravate est la règle (formelle ou informelle), pour tous les hommes de l'établissement. Les écarts bien rares qu'il se permet, de temps à autre, sont aussi limités dans le temps : «Je déteste le costume-cravate. Je ne m'y sens vraiment pas à l'aise, mais l'été il m'arrive d'ôter la veste lorsque je n'ai pas de réunion». Mohammed a donc dû enfiler à contrecœur l'«uniforme» de l'entreprise. Un choc pour ce jeune cadre issu d'une SSII où «même le boss était en jean's-baskets». Dès qu'il quitte la banque, ce jeune cadre ôte sa cravate dans la rue. Il enlève tout, dès qu'il a franchi la porte de chez lui, pour revêtir des vêtements «maison». Les femmes ont plus de marge dans le domaine vestimentaire La frontière vestimentaire entre les deux mondes reste ainsi bien marquée. L'entreprise est l'univers de la contrainte et la maison, celui de la liberté. Ils sont rares les hommes à se sentir vraiment à l'aise, étranglés par leur cravate et la rigidité de leur costume. Et tous les hommes alors d'envier la liberté des femmes. «Surtout les nouvelles recrues», précise Mohammed. «Si les anciennes sont en tailleur et voilées, les dernières arrivées sont beaucoup plus libres dans leur tenue : pantalon taille basse, nombril apparent…», ajoute-t-il. Et c'est un fait partout constaté : au sein de l'entreprise, les femmes semblent jouir d'une bien plus grande liberté dans l'habillement que les hommes. Une liberté qu'elles ne prennent d'ailleurs pas toujours. Ancienne chef de produit dans une entreprise d'import, Siham se souvient que «les femmes s'autocensuraient le plus dans leur tenue». Aujourd'hui cadre à la Banque populaire, elle a dû mettre ses petits hauts colorés et ses robes au placard : «Nous avons été briefés dès notre arrivée sur la nécessité d'une tenue correcte, décente», explique Siham. «Ici, le voile est toléré, même pour les femmes en contact avec la clientèle, ce qui n'est pas le cas de toutes les banques. La djellaba est également admise le vendredi. Pour le reste, c'est plutôt tailleur ou chemise pantalon aux couleurs tristes. Assez déprimant…». Les hommes demeurent, dans l'entreprise, d'un conformisme déprimant. Il aura fallu leur inventer le «friday wear» pour dérider leur garde-robe. Intronisé au milieu des années 90, le «casual friday wear», entendez la tenue décontractée du vendredi, s'est vite répandu en Occident pour devenir le «friday every day» (le vendredi tous les jours). Partie de la nouvelle économie, la mode touche aujourd'hui bien plus que les internautes de la Silicon Valley. Elle s'est propagée dans quasiment tous les secteurs d'activité, aux USA comme en Europe ou au Japon. Cette tendance n'est pas sans conséquence sur l'entreprise. Certains sondages ont démontré qu'un code vestimentaire décontracté augmentait la productivité des employés, tout en remontant leur moral. Une étude de USA Today avait toutefois montré que ce style vestimentaire décontracté pouvait également déteindre défavorablement sur la qualité du travail. Les entreprises les plus permissives avaient noté un taux de retard et d'absentéisme plus élevé, une dégradation du langage, une baisse de la loyauté envers la direction et les collègues et une augmentation du flirt entre les employés. Et ce ne sont pas les tentatives ratées de redressement des habitudes menées par les puristes du costard-cravate ( comme la mode «dress-up thursday», le «jeudi très habillé») qui ont inversé la tendance. Dans l'industrie, les cadres optent pour le costume-cravate pour se singulariser Peu touché par la nouvelle économie, le Maroc n'a pas non plus été atteint par cette évolution vers un style décontracté. Toutefois, on pourrait trouver ici un équivalent, mais qui n'a rien de nouveau : le «friday wear» pourrait-il être le port de la djellaba ? Le vendredi, c'est le jour de la prière à la mosquée et déjà un avant-goût du week-end. Portée uniquement le vendredi (et durant le mois de Ramadan), la djellaba a évidemment un sens religieux. Elle n'en rappelle pas moins le vêtement décontracté que l'on peut porter chez soi. Comme les baskets qui ont un petit goût de week-end, la djellaba serait un petit bout de chez soi importé au travail. Dans l'administration, le vêtement traditionnel marocain demeure encore porté dans l'entreprise tous les autres jours de la semaine. Il n'est alors le signe extérieur d'aucun rang social. De la commune urbaine à la mokataâ, la djellaba est partout présente à tous les échelons de la hiérarchie, plus souvent chez les anciennes générations, il est vrai. A contrario, le costume- cravate est bien plus, au Maroc, l'indication d'une caste. «Chez nous, explique ce technicien d'une entreprise de l'habillement, les cadres ont eu la même formation initiale que les techniciens et rien ne les distingue fondamentalement. Ils doivent alors se différencier visuellement. C'est le costume-cravate qui indique alors leur rang». De plus, en contact permanent avec les machines, ouvriers et techniciens ne peuvent se permettre ce genre de vêtement. La blouse est obligatoire dans nombre d'entreprises (de l'hôtellerie à certains secteurs industriels, par exemple), pour des raisons de sécurité, mais également de reconnaissance de la fonction Le Code du travail ne s'intéresse pas aux apparences ! Le nouveau Code du travail ne s'est pas intéressé à la façon de s'habiller des salariés. Pas une ligne ne concerne cette question. Ainsi, rien n'interdirait pour l'heure la discrimination fondée sur l'habillement. Le problème a pourtant déjà été soulevé, notamment dans des établissements bancaires où des candidates voilées étaient systématiquement écartées. Le voile, il est vrai, pose des questions particulières et c'est assurément, au Maroc, l'«accessoire» qui fait l'objet du plus grand rejet dans l'entreprise. L'article 9 ne prévoit aucune discrimination sur la façon de s'habiller. L'article interdit «toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, le handicap, la situation conjugale, la religion, l'opinion politique, l'affiliation syndicale, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, ayant pour effet de violer ou d'altérer le principe d'égalité des chances ou de traitement sur un pied d'égalité en matière d'emploi ou d'exercice d'une profession, notamment, en ce qui concerne l'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, le salaire, l'avancement, l'octroi des avantages sociaux, les mesures disciplinaires et le licenciement». Rien, en revanche, dans le droit marocain, ne concerne l'apparence, les habitudes vestimentaires. La discrimination autour du voile entrerait-elle dans la discrimination pour «religion» ou bien plutôt pour «opinion politique» ? Ou bien pour aucune des deux, l'affichage ostentatoire de ses idées étant une donnée nouvelle non prévue par le texte ? Comparons avec le droit européen. Il est toujours intéressant de comparer avec le droit français, souvent pris comme modèle en la matière. Pour se mettre en conformité avec la législation européenne, le droit français a dû étendre la protection des salariés contre les discriminations dont ils peuvent faire l'objet au sein de l'entreprise. En plus de «l'origine, le sexe, les mœurs, la situation de famille, l'appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'état de santé ou handicap (sauf inaptitude constatée par le médecin du travail)», le nouveau texte issu de la loi du 16 novembre 2001 ajoute à cette liste «les orientations sexuelles, le patronyme, l'âge et l'apparence physique». Cette notion de «mœurs» déjà présente dans le texte plus ancien peut tout aussi bien concerner la protection des homosexuels que des habitudes de vie particulières : vie de noctambule par exemple mais aussi des habitudes vestimentaires particulières ; seuls les tribunaux appréciant, dans chaque fait d'espèce, si l'attitude de l'employeur est discriminatoire ou non. La notion de «mœurs» dans le Code du travail marocain en revanche ne fait l'objet d'aucune protection ; bien au contraire, l'article 39 prévoit comme faute grave pouvant provoquer le licenciement le délit portant atteinte aux «bonnes mœurs», une notion d'ailleurs bien floue… Quant à «l'apparence physique», la notion n'existe tout simplement pas dans le Code du travail Tendances boulot 2005 : le chic décontracté La tendance est à la «coolitude» affichée et personnalisée, à la décontraction ou, devrait-on dire, à la «fausse décontraction». Une sorte d'entre-deux : du chic décoincé, du smart décontracté. Des chemises froissées, des pantalons trop courts, de l'ultra sélect cassé par le petit détail de faux mauvais goût… On démolit le sacro-saint costume-cravate et l'on pique un peu dans tout : dans le formel comme dans le street ou sport-wear. C'est la fringue fusion ! Bien sûr, le «friday wear» est passé par là, assouplissant les pratiques. On évite les complets, veste-pantalon ou tailleur, et l'on dépareille, sans craindre la couleur. De la décontraction, mais jamais de laisser-aller. Bien au contraire, le décontracté se joue tout en nuance et s'appuie sur une connaissance de plus en plus exigeante et savante de la mode. Les hommes qui jugent l'opération trop compliquée peuvent toujours ôter simplement la cravate et oser davantage la couleur