Il y a parfois de petites mesures qui peuvent déboucher sur de grandes questions sérieuses et peut-être même sur des débats salvateurs. La dernière décision des pouvoirs publics de verbaliser désormais les piétons qui n'empruntent pas les passages qui leur sont réservés est typiquement le genre de mesures qui en même temps qu'elles prêtent à sourire constituent néanmoins une occasion de mettre à nu les aberrations et surtout les défaillances de nos élus et des gestionnaires de nos villes. La mesure procède, à ne pas en douter, d'une intention louable de la part de notre police qui ne cherche probablement qu'à protéger les piétons qui sont, après les deux roues, la catégorie la plus exposée aux accidents de la circulation parce que non protégée. Mais si nos agents commencent à verbaliser les piétons récalcitrants, ils devraient aussi faire de même avec beaucoup d'autres énergumènes qui inondent nos rues et nos artères à commencer par les automobilistes eux-mêmes dont une majorité investit en toute impunité chaque espace goudronné qu'ils trouvent à leur portée, sans aucun respect pour les couloirs réservés aux cyclistes, quand ils existent, ou encore les arrêts de bus et, évidemment, les passages pour piétons. Cela sans parler d'une catégorie d'automobilistes qui squatte carrément le trottoir en y stationnant régulièrement au grand dam des pauvres piétons... L'autre aberration est qu'en dépit de la bonne intention, notre police devrait garder à l'esprit que cette mesure est techniquement inapplicable parce que, tout simplement, nos villes ne sont pas équipées pour permettre aux piétons de circuler comme il se doit. A Casablanca, par exemple, dans l'une des plus grandes artères de la ville, en l'occurrence le boulevard Roudani, sur un tronçon de plus de 700 mètres il n'existe aucun passage pour piétons. Et ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres. Non seulement les piétons n'ont pas de passages mais même les trottoirs censés leur permettre de circuler en toute sécurité ne sont pas du tout sécurisés. Certes, selon la loi, si le passage piétons se trouve à plus de 50 mètres, on peut toujours traverser sur la bande de la chaussée correspondant au prolongement du trottoir. Mais dans une ville comme Casablanca, et probablement dans toutes les autres villes, un piéton est rarement capable de parcourir 500 mètres sans devoir faire le grand slalom et les montagnes russes pour éviter les obstacles de tout genre, comme les terrasses de cafés, les crevasses et les rampes de garages mal faites, les véhicules garés, les marchands ambulants et autres ferrachas, les poubelles… C'est là que la décision, bien qu'un peu loufoque, constitue une occasion pour poser les vraies questions sur la gestion de nos cités. Nos villes ne sont pas faites pour les piétons, il faut le dire, et encore moins pour les personnes handicapées ou en fauteuils roulants. On remercie notre police de sa bienveillance, mais si la DGSN avait simplement pris la peine de faire le recensement des passages pour piétons elle se serait vite aperçu que l'application de sa mesure relève du miracle. On remercierait encore plus la police si elle pouvait obliger nos élus à tracer les passages pour piétons partout où ils devraient l'être...pour commencer.