dans un tribunal pénal tout est suspect : un tournevis, une paire de ciseaux, un marteau ou une pince suffiront pour convaincre les juges qu'ils sont face à un dangereux cambrioleur: le fait que ce dernier ne soit en fait qu'un bricoleur passionné ne leur effleurera même pas l'esprit. En ce vendredi après-midi de janvier, il y a foule au palais de justice d'Aïn-Sebâa affecté aux audiences pénales. Ceci, du reste, est un aspect spécial de ce genre d'audience : les gens se pressent pour assister à tout ce qui ressort du droit pénal, un peu comme jadis les Romains allaient au cirque voir des lions dévorer des hommes. Ce doit être la nature humaine que de se repaître des malheurs d'autrui. Quoi qu'il en soit, la procédure est rodée, comme dans un théâtre : magistrats, inculpés, avocats, policiers connaissent leurs partitions sur le bout des doigts, et en général, ces audiences se passent sans trop de mal, hormis, parfois, quelques cas d'hystérie, ou de crises de nerfs, chez les familles des prévenus. Parmi ces derniers, on trouve deux jeunes hommes, étudiant en sociologie pour l'un, ouvrier apprenti pour l'autre. Ils sont poursuivis, le premier pour vol et le second pour... vol qualifié. «Qui vole un œuf, vole un bœuf», dit le dicton populaire, et pour la majorité des gens, un vol est un vol, c'est-à-dire, prendre quelque chose qui ne vous appartient pas, ou en jargon juridique, la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Mais en droit, ce n'est pas si simple, les juristes ayant la belle habitude de définir toutes choses précisément afin de savoir dans quelle catégorie ranger les événements qu'ils auront à juger. Donc, pour clarifier les choses, nous dirons que le vol simple consiste à s'approprier indûment ce qui appartient à autrui : par exemple, le chapardage dans un magasin est généralement considéré comme un vol simple: on déambule dans un magasin, on aperçoit un objet quelconque (stylo, savon, chocolat...), et, suite à une impulsion soudaine, on glisse l'un de ses objets dans la poche. Si on se fait prendre, les choses n'iront pas bien loin : le règlement de l'objet subtilisé, quelques remontrances de la part des agents de sécurité et cela s'arrête là. Tout ceci étant bien entendu en rapport avec la valeur de l'objet dérobé...la mansuétude ne s'appliquant pas aux objets à forte valeur marchande. Le vol qualifié est une version améliorée du vol simple. Là il ne s'agit plus simplement de subtiliser quelque chose, mais bien de planifier une opération afin de s'approprier malhonnêtement les biens d'autrui. Parmi les conditions retenues pour différencier les deux catégories, les juristes ont considéré que le vol accompagné de violences, ou par effraction, ou commis avec des circonstances particulières, méritait des sanctions aggravées. Tout cela semble bien rébarbatif et, en fait, ça l'est. Mais dans cette austérité et cette sévérité, le droit permet aussi de... s'interroger sur le bien-fondé de certaines dispositions. Ainsi si l'on compte commettre un vol, on doit de préférence le faire le jour : les juges assimilent l'obscurité de la nuit comme une circonstance aggravante. De même, l'apprenti voleur veillera à ne transporter sur lui aucun objet...disons louche. Car, sachez, aimables lecteurs, que dans un tribunal pénal tout est suspect : un tournevis, une paire de ciseaux, un marteau ou une pince suffiront pour convaincre les juges qu'ils sont face à un dangereux cambrioleur : le fait que ce dernier ne soit en fait qu'un bricoleur passionné ne leur effleurera même pas l'esprit. C'est du reste pour ce genre de raison que le législateur a prévu l'assistance d'avocats dans certaines affaires pénales, qui pourraient expliquer la présence de ce genre d'objets, la parole du prévenu étant en général inaudible à ce stade de la procédure. Mais revenons à nos deux prévenus du jour qui, ce jour-là, vont tomber sur une formation composée de magistrats chevronnés. Les faits sont avérés, les prévenus les ont reconnus, la condamnation ne fait pas de doute.... Sauf que, encore une fois, ils ont une chance de cocu : en effet, la priorité de la politique pénale du moment consiste à lutter contre le trafic de drogue, et donc, haro sur les trafiquants en tous genres. Les petits larcins qu'ont commis les deux compères seront traités sans trop de sévérité, et ils n'écoperont que de peines légères, assorties du sursis pour le premier. Le verdict est correct, et la foule se disperse sans problèmes, elle qui peut aussi parfois s'ériger en «juge des juges» !