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Formation du gouvernement : chronique d'une semaine où tout s'est emballé…
Publié dans La Vie éco le 09 - 01 - 2017

Le PJD a finalement renoncé à l'Istiqlal mais a dû y mettre les formes. Le parti de la balance ne fera pas partie du gouvernement, mais reste dans la majorité parlementaire. La majorité sortante, renforcée par l'UC, devrait être reconduite après trois mois de négociations.
Dans des termes très diplomatiques et avec un communiqué fort élogieux pour l'Istiqlal, le secrétariat général du PJD a annoncé, mardi en début de soirée, qu'il renonçait à la participation du parti de la balance au gouvernement. Les termes du communiqué, qui ne sont pas pour autant tranchés quant à la relation future entre les deux formations renseigne, laisse-t-on entendre dans l'entourage de la direction du PJD, sur un malaise, pour ne pas dire une crise interne, au sein du parti de la Lampe. L'Istiqlal est donc en dehors de la coalition gouvernementale, mais le PJD s'y accroche dans sa majorité parlementaire. Au sein du parti islamiste, on parle déjà d'une «majorité gouvernementale» et d'une «majorité fonctionnelle». Pour le reste, le secrétariat général presse Benkirane à reprendre les tractations avec les partis politiques «en prenant en compte les données électorales du dernier scrutin et les principes du parti» pour former le gouvernement dans les plus brefs délais. Dans les faits, le chef de gouvernement désigné s'est réuni le lendemain, mercredi, avec le chef de file du RNI. A l'issue de cette réunion, Aziz Akhannouch a affirmé aux médias que le chef de gouvernement désigné lui a fait une proposition qu'il allait discuter avec les partenaires du RNI, en l'occurence l'UC et le MP. Une nouvelle rencontre est prévue deux jours après. D'après une déclaration de Nabil Benabdellah, faite à l'heure où nous mettions sous presse, l'offre de Benkirane consisterait en la reconduction de la majorité sortante, à savoir : le PJD, le RNI, le MP et le PPS. Pour l'USFP, la messe est dite. Benkirane n'en veut pas. Idem pour l'UC. Le rejet de l'USFP était, d'ailleurs, prévisible ; en atteste cette sortie pour le moins frondeuse de son premier secrétaire juste avant la réunion de la direction du PJD. Mais tout porte à croire que l'on dépassera le délai psychologique du 7 janvier, c'est-à-dire trois mois après l'annonce des résultats des urnes. Même si la Constitution ne le précise pas, le délai de formation de gouvernement dans la plupart des pays à régime parlementaire est de trois mois. Au delà de cette date, on passe à l'étape suivante. C'est sans doute pour cette raison que certains constitutionnalistes ont vu en la décision royale d'envoyer ses conseillers rencontrer, le 24 décembre au siège de la Primature, le chef de gouvernement désigné non pas une «réaction» à la lenteur, pour ne pas dire au blocage, des négociations de formation de gouvernement, mais une «action» pour faire en sorte que ce processus reste dans des délais raisonnables et acceptables. Sous cet angle, l'initiative royale a été vue comme une «confirmation de la désignation de Benkirane», rejetant ainsi tous les scénarios avancés pour faire face au silence de la Constitution sur ce cas de figure. Cependant, dix jours plus tard, les négociations piétinaient encore. Cela dit, le week-end dernier était particulièrement riche en rebondissements et devait, en toute logique, apporter un début de solution.
Evénements en cascade
En effet, jeudi 29 décembre, les choses se sont subitement accélérées : Abdelilah Benkirane a rencontré Aziz Akhannouch et Mohand Laenser ensemble, puis s'est réuni avec Nabil Benabdallah du PPS. Au sortir de la réunion, le président du RNI, Aziz Akhannouch, a expliqué, en substance, que lors de cette réunion, lui et Mohand Laenser ont exposé leurs points de vue à leur hôte au sujet de l'Istiqlal et des dernières déclarations de Hamid Chabat, sans les citer, sur la Mauritanie, précisant que le chef du gouvernement avait besoin d'un délai de réflexion pour prendre une décision. Aussitôt après, le chef de file du PPS, allié indéfectible du PJD, a expliqué, dans une déclaration publique, qu'au départ, c'était avec l'Istiqlal que le gouvernement devait être constitué, mais que «les dernières déclarations de Hamid Chabat ont compliqué les choses, et le chef du gouvernement est dans un grand embarras». Juste après ces deux réunions, la direction historique de l'Istiqlal publiait un communiqué incendiaire désavouant publiquement Hamid Chabat et mettant en doute ses capacités à diriger le parti. Une quarantaine de cadres et dirigeants du parti ont signé, dans un premier temps, ce document. Quelques jours plus tard, lundi, une réunion des signataires a eu lieu au domicile même de M'hammed Boucetta, ancien secrétaire général et membre du conseil de la présidence, pour décider de la suite à donner à cette action. Du coup, Benkirane se retrouve tiraillé entre la parole donnée à l'Istiqlal et son poids politique, d'une part, et, d'autre part, l'intérêt national. C'est à ce moment que les contours de la nouvelle majorité gouvernementale ont commencé à se préciser. Au PJD, les membres de la direction sont restés divisés. Certes, l'éviction de l'Istiqlal n'est plus contestée que par une minorité au sein de la direction, mais l'attitude à adopter n'était pas encore tranchée. Samedi 31 décembre, le secrétaire général de l'Istiqlal, Hamid Chabat, réunissait en grande pompe un conseil national extraordinaire, mais dont la légitimité est sérieusement contestée par de nombreux Istiqlaliens.
Chabat recule, mais ne renonce pas
Et alors que l'on ne s'y attendait pas, il s'est désisté de presque toutes ses attributions, en les léguant, toutefois, à une commission restreinte «composée uniquement de ses proches collaborateurs», note ce dirigeant istiqlalien. Il faut voir en ce geste, observe-t-on, une tentative d'apaisement, mais surtout une anticipation de la décision de la Cour de cassation attendue au courant de ce mois.
La Cour devrait en effet statuer sur le recours en annulation de l'élection du secrétaire général et des instances dirigeantes du parti à l'issue du dernier congrès tenu en décembre 2012. En outre, alors que l'on s'attendait à un geste déliant le PJD de ses engagements, le conseil national enfonce davantage ses alliés en prenant une autre décision contraire. Il a voté une résolution de soutien au gouvernement, que le parti y soit, ou non. Ce qui, on le voit dans les termes du communiqué de son secrétariat général, a compliqué encore plus la position du PJD. Une partie des dirigeants optaient pour l'intégration du MP et donc la reconduction de la majorité sortante et une autre suggère la formation d'une majorité avec seulement trois partis, le PJD, le PPS et le RNI, en comptant sur l'appui promis et hypothétique de l'Istiqlal. C'est ainsi qu'on a commencé à parler d'une «majorité fonctionnelle», avec l'Istiqlal en renfort, même s'il est en dehors du gouvernement. Les tenants d'une autre tendance proposent même d'intégrer au gouvernement des personnalités istiqlaliennes, mais en tant que «technocrates». L'Istiqlal propose, apparemment sans conditions, un renfort de 46 députés prêts à soutenir le PJD que le parti soit dans le gouvernement ou non. Ce n'est pas rien.
Ainsi, alors que l'Istiqlal tenait son conseil national, samedi, le secrétariat général du PJD était en réunion et est resté, pendant toute la journée, suspendu aux conclusions de la grand-messe des Istiqlaliens. C'est ainsi qu'à la fin des travaux de ce conseil, le chef de gouvernement désigné a reçu la «nouvelle» délégation mandatée par ce conseil, en l'occurrence Mohamed Soussi Moussaoui, Hamdi Ould Rachid et l'ancien ministre de l'équipement Bouamar Taghouane qui remplace Chabat dans cette délégation, pour poursuivre les négociations avec le chef de gouvernement désigné. Il les a écoutés, pendant deux heures et 15 minutes, précise-t-on auprès de l'Istiqlal, mais sans rien avancer de concret. Ce qui confirme que l'annonce de la sortie officielle de l'Istiqlal n'était déjà à ce moment-là qu'une question de temps, de forme à respecter et de susceptibilités à ménager, note cet analyste politique. L'Istiqlal affirmera plus tard que «Benkirane a exprimé sa satisfaction quant aux décisions que vient de prendre l'Istiqlal. En même temps, il a rappelé la difficulté des moments que traverse la scène politique nationale. Après, il a assuré aux membres de la délégation qu'il transmettra ces faits à la direction de son parti et qu'il prendra en considération ces derniers développements».
Pourquoi le PJD tient-il à l'Istiqlal ?
Le fait est que depuis le début de la semaine, Benkirane a commencé à s'activer, reprenant la deuxième phase des négociations. Sa première réunion a été réservée au PPS, pour consultations, affirme-t-on dans l'entourage de Benkirane. Mais, précise la même source, rien n'a été tranché au cours de cette rencontre. Dans un communiqué, publié le lendemain, le PPS a appelé à «poursuivre les efforts» pour constituer une majorité «dans les plus brefs délais». Plus tard dans la journée, le secrétariat général du PJD s'est réuni à son tour pour décider de l'éviction de l'Istiqlal, devenu un allié trop encombrant après les déclarations de son secrétaire général portant sur «l'intégrité territoriale de la Mauritanie», sans toutefois, contrairement aux attentes, annoncer la composition définitive de la majorité gouvernementale. Mais pourquoi le PJD tenait-il tant à l'Istiqlal ?
Avec l'Istiqlal à ses côtés au sein d'une même coalition gouvernementale, cela permet au chef de file du PJD de vendre sa thèse de «volonté populaire» que, selon lui, incarnent les seuls partis du PJD, l'Istiqlal et le PPS. Les trois formations totalisent 183 sièges, ce qui situe la coalition près de la majorité absolue. Et tout parti qui viendra s'y ajouter ne sera que d'un appoint. C'est ce que le MP a refusé au tout début, estimant que sa position serait affaiblie. Le chef du gouvernement peut alors agir en position de force. C'est juste l'un des aspects de la question, affirme cet analyste politique. L'arithmétique est certes importante, mais ce n'est pas tout. Après 5 ans au pouvoir, le PJD n'est pas parvenu à prendre racines dans la société civile marocaine, surtout dans sa composante moderne et ouverte, ni dans les milieux d'affaires. Or, affirme-t-on, cette catégorie sociale détient une partie du pouvoir économique et représente l'ouverture sur le monde occidental. Et le PJD, à l'image de son homologue turc, l'AKP, n'a pas ménagé d'efforts pour séduire cette catégorie sociale qui regorge de cadres et de compétences indispensables à la bonne gestion des affaires publiques. Aussi, avoir à ses côtés un Istiqlal, dont les membres sont partout dans la société, permettrait-il au PJD de faire une incursion dans ce monde. De même, avoir un Chabat prompt à changer d'avis et de discours à tout moment, même s'il ne fait pas partie lui-même de l'équipe gouvernementale, est toujours une bonne carte à jouer au besoin.
Le vrai travail commence
Cela d'autant que Benkirane aura besoin d'un nouveau «porte-parole» pour les cinq années à venir. Sauf que cela semble des calculs conjoncturels. Car, si sous Hamid Chabat l'Istiqlal s'apprêtait à jouer, volontiers, ce rôle, c'est méconnaître le parti que supposer que cela continuera indéfiniment. C'est un pur produit de l'Istiqlal qui le confirme. Adil Douiri, président de l'Alliance des économistes du parti, car c'est de lui qu'il s'agit, vient de prendre position sur la question, en public. Dans un enregistrement vidéo largement diffusé, il affirme, en substance, que le PJD et l'Istiqlal sont en compétition. «Le PJD dispose-t-il de quelque atout que l'Istiqlal n'a pas ?» s'interroge-t-il. «Notre ambition de parti à la longue histoire et à au référentiel d'un islam de tolérance et d'ouverture est d'arriver premiers aux élections, avec environ 20% des voix et des sièges», ajoute-t-il. Et pour être encore plus clair, il affirme : «Je pense que le concurrent direct et réel du PJD à moyen et long terme est l'Istiqlal, et inversement».
Par ailleurs, la deuxième phase des négociations, qui a commencé effectivement mercredi, devrait se poursuivre avec les autres composantes de la majorité pour, notamment, fixer l'architecture du gouvernement et assigner les départements ministériels que dirigera chacun des membres de la coalition gouvernementale. Il est fort à parier que cette phase ne devrait guère prendre beaucoup de temps. C'est que tout le monde est pris de vitesse suite au communiqué du Palais royal, datant du 24 décembre, dans lequel le Souverain enjoint Benkirane de former le gouvernement «dans les meilleurs délais». Cette expression signifie, selon les observateurs de la scène politique, «une à deux semaines au plus tard». Bien sûr, une fois ses membres définis, la coalition gouvernementale devrait s'entendre sur une «charte de la majorité». C'est ce document qui définira les rapports entre ses membres et le comportement que ses derniers devraient adopter durant tout le mandat. Cette étape sera suivie de l'élaboration du programme gouvernemental, ce qui revient, en principe, à faire une synthèse des programmes électoraux de chacun des partis membres en tenant en compte, bien sûr, les orientations du dernier discours royal du 6 Novembre et la conjoncture économique et sociale post-électorale. Cela intervient après la nomination par le Roi de la nouvelle équipe gouvernementale. L'étape suivante sera l'investiture par le Parlement du gouvernement qui se contentera, en attendant, d'expédier les affaires courantes.
[tabs][tab title ="Que devient le Parti de l'Istiqlal ?"]Réunis lundi dernier au domicile de M'hamed Boucetta, une quarantaine de sages, cadres et dirigeants de l'Istiqlal ont réitéré leur souhait de voir Hamid Chabat entériner sa démission. Ils assurent, en même temps, qu'ils ne feront pas scission et qu'ils mèneront les réformes de l'intérieur du parti. L'initiative de M'Hamed Boucetta et autres membres du conseil de la présidence ainsi que d'autres ténors du parti ne s'inscrit donc pas dans le cadre d'un «mouvement de réforme». Le parti qui a déjà souffert pendant des années du clivage, depuis l'élection à sa tête de Hamid Chabat entre les partisans de ce dernier et ceux de son rival Abdelouahed El Fassi, a de quoi dissuader les Istiqlaliens d'envisager une nouvelle rupture. Cela malgré l'insistance de la direction de traduire au moins trois membres du comité exécutif devant le conseil disciplinaire. Au-delà de ses déclarations sur la Mauritanie, qui ont débouché sur une crise diplomatique avec ce pays, c'est surtout la réaction du comité exécutif au communiqué du ministère des affaires étrangères qui a irrité les détracteurs de Hamid Chabat. «Ce n'est pas là une bonne chose que d'entrer en confrontation avec cette institution importante de l'Etat qu'est le ministère des affaires étrangères, lequel est dirigé, ici et ailleurs, par le chef de l'Etat. Le parti de l'Istiqlal et ses dirigeants historiques ont de tout temps entretenu des relations privilégiées avec l'Etat et il n'est pas bon d'engager un bras de fer avec l'Etat», affirmera plus tard Adil Douiri. Hamid Chabat, pour tempérer, a décidé de céder une partie de ses prérogatives, en attendant la tenue du prochain congrès, en mars ou, au plus tard, en avril prochain. En ce sens, une nouvelle réunion de la commission préparatoire est programmée pour ce samedi 7 décembre. Pour les signataires du manifeste contre Chabat, ils ont décidé de contacter les Istiqlaliens partout au Maroc «pour leur expliquer le sens et l'objectif de leur manifeste, qui a eu un grand impact, et en premier sur l'état d'esprit de Hamid Chabat, qui a présenté une démission aussi partielle qu'opaque. Le manifeste demandait le retrait de ce dernier de la tête de l'Istiqlal», affirme, pour sa part, M'hamed El Khalifa, dirigeant et ancien ministre.[/tab][/tabs]


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