Le fonctionnement de la demande dans notre marché politique est biaisé par le clientélisme électoral. Des personnes, ayant souvent des niveaux de revenus et d'éducation faibles, ont tendance à être davantage à la merci des «rabatteurs de voix». A la veille des élections législatives, la notion de marché politique semble de plus en plus en vogue dans les médias et dans le discours des partis politiques. Attirhal, Attahakkoum, Attadakhoul, Azzabouniya, Chiraou Al Aswatt, etc. L'usage répété de ce lexique dans le «débat» des parties prenantes du jeu électoral nous renvoie l'image d'un champ politique transformé en marché où les transactions entre acteurs s'identifient à des comportements déloyaux d'agents dans une économie de marché dérégulé. Traiter l'espace politique à l'instar de marché relève d'une construction par analogie que les sciences économique et politiques ont investi avec beaucoup de pertinence. Mais peut-on transférer ces postulats et les hypothèses de cette démarche analytique à notre réalité ? Notre marché politique ne ressemblerait-il pas plutôt à un souk où l'infrastructure institutionnelle, les agents sont loin d'épouser les normes de la modernité politique ? Comme pour le «marché» en général, l'offre politique est représentée dans les démocraties par des producteurs (partis ou candidats) qui tentent d'apporter des réponses plus ou moins adaptées aux attentes des consommateurs. Ils seront récompensés par de bons résultats électoraux si leur offre répond à la demande des consommateurs. Dans notre pays, la décomposition du paysage politique offre l'image d'une offre effritée, éclatée, atomisée. Sa dynamique a fait émerger de nouvelles forces. Dans ce foisonnement, des partis, les vrais sont reconnus par leur épaisseur historique ou leur ancrage social ; les autres, simples créatures destinées à «piquer» des voix aux plus grands, à jouer de la figuration dans la carte d'un multipartisme dévoyé en quête d'une positon dans un marché global en berne. En tant qu'entreprise, la contribution des partis politiques devrait être évaluée en prenant en compte les biens politiques (candidats et programmes) et les choix qu'ils offrent aux électeurs. Dans notre espace politique éclaté, la meilleure offre ne peut aspirer à représenter plus de 10% de l'électorat. Nombre de producteurs ne sont pas libres de toute sujétion, ne sont pas autonomes dans leur stratégie pour s'adresser aux consommateurs/électeurs, en totale liberté par rapport à la puissance publique. Vu du côté de la demande, le marché politique est en général composé de segments de consommateurs. Un marché où apparaissent des «consommateurs» complètement voués à la fidélité indiscutée aux marques connues. D'autres consommateurs se déterminent en fonction de leur préférence du moment ou se refusent de consommer des produits qu'ils considèrent périmés ou de mauvaise qualité. D'autres, enfin, se prêtent à des transactions avec les agents producteurs pour percevoir un gain sans rapport avec leurs préférences politiques effectives. Cette dernière catégorie de consommateurs, que l'on désigne sous le vocable de «clientélisme électoral», est plus présente dans les pays où les règles de la démocratie ne sont pas respectées. Le vote est la manière à travers laquelle les citoyens expriment leurs besoins et constitue l'instrument le plus fondamental de contrôle prévu par la démocratie. L'existence d'un marché de votes va à l'encontre de l'idée de démocratie et de la légitimité de l'élu. Le fonctionnement de la demande dans notre marché politique est biaisé par le clientélisme électoral. Des personnes, ayant souvent des niveaux de revenus et d'éducation faibles, ont tendance à être davantage à la merci des «rabatteurs de voix ». De leadeurs communautaires ou de dirigeants de quartier qui ont une grande influence et une certaine autorité. Ces rabatteurs sont soit des intermédiaires d'entrepreneurs politiques ou un personnel administratif qui agit ou pense agir au nom de directives de l'Etat. Sur le marché politique, la concurrence est censée s'établir entre les acteurs à différents niveaux, entre entrepreneurs politiques et à l'échelle de l'Etat qui joue le rôle de régulateur du marché par la production d'une réglementation et le suivi de son application. Les conditions d'entrée sur le marché politique sont de différentes natures. S'y manifestent des ressources ou des capitaux personnels : disponibilité, savoir-faire militant, compétences spécifiques, talent oratoire, diplômes, relations, reconnaissance sociale, argent. S'y manifeste surtout un capital politique institutionnalisé par les partis qui mutualisent et délèguent le pouvoir de représentation. La concurrence dans le marché politique est régulée par le pouvoir de sanction des comportements déloyaux dont dispose la puissance publique. Elle est dénouée in fine par le choix des consommateurs/électeurs. Dans notre marché politique, la concurrence semble très imparfaite. Les partis, comme lieux obligés de l'accès aux postes de pouvoir, sont de plus en plus fermés. La fermeture est renforcée par les mécanismes de choix des candidats internes à la structure des partis: prééminence du capital symbolique ou des capacités en ressources matérielles. Quant au rôle régulateur de l'Etat, il ne me semble pas répondre à toutes les normes de neutralité et de mise en œuvre des règles d'une concurrence transparente et loyale. L'Etat risque de contrecarrer l'émergence en profondeur d'un «marché» politique au sens moderne du terme. Ainsi, une partie des consommateurs/électeurs risque de s'abstenir d'accorder ses voix à des producteurs peu autonomes dans leur offre stratégique et programmatique. Le marché politique sera ainsi vidé de sa substance sans laquelle la démocratie naissante sera étranglée.