Samedi 4 juin, Kaouki, le quartier le plus chaud de la ville de Safi (250 km au Sud de Casablanca) est de nouveau sous les feux des projecteurs en moins d'un mois. La triste ironie fait que Kamal Ammari, ce jeune de 31 ans, décédé suite aux violences policières qu'il a subit le 29 avril dernier lors d'une manifestation du «20 février», est issue du même quartier qu'Adil El Othmani, le principal accusé dans l'attentat d'Argana. À quelques mètres de la maison de ce présumé terroriste, tout le quartier est sorti pour rendre un dernier hommage à Kamal, «le martyre de Safi». Vie et mort à Safi Un chapiteau d'un blanc immaculé est dressé à l'entrée de la maison de la famille Ammari, des chaises meubles les trottoirs des petites ruelles, les femmes du quartier n'en reviennent pas toujours de la perte de Kamal. Les habitants pleurent ce jeune, le temps d'oublier la pauvreté, l'intégrisme et la pollution qui minent ce quartier périphérique. Malgré sa licence en chimie, et comme beaucoup de jeunes de la région, Kamal a du se rabattre sur un travail précaire d'agent de sécurité. Pour boucler ses fins de mois, il donnait des cours de soutien à domicile. «Je le voyais pousser sa moto lors des manifs, il rejoignait son travail au port juste après», se rappelle une militante du 20 février-Safi. Pourtant, Safi dispose d'un plus grand port du Maroc et deux grandes unités industrielles (OCP et Ciment du Maroc). Toutefois la ville connait un taux de chômage de 18%. La fermeture des unités industrielles de conserves contribue à agrandir les rangs des chômeurs. Dans les années 70, ces unités était au nombre de 80, aujourd'hui, elles ne sont que 16 usines. La zone industrielle où se trouvent ces unités constitue la principale source de pollution. Les rejets liquides et solides de ces usines ont transformé la côte en dépotoir géant. À cela s'ajoute une intense pollution de l'air, en témoigne l'odeur dégagée par la cuisson du poisson et les émissions de l'industrie chimique qui contribuent à un taux élevé de maladies pulmonaires chez la population. Religion et politique De l'autre côté de la ville, sur le boulevard Kennedy démarre les funérailles de Kamal. Après plusieurs tractations entre le 20 février, le Mouvement justice et bienfaisance, dont Kamal était un sympathisant et les autorités, la famille décide d'enterrer son fils ce samedi. Une décision qui n'a pas plu au mouvement du 20 février qui aurait préféré effectuer une contre-autopsie. «La morgue de la ville n'est pas équipée pour garder le corps plus longtemps. Une mauvaise odeur se dégage du corps», nous confie une source associative à Safi. Le cercueil traverse les grandes artères de la ville. Accompagné de plus de 6000 personnes, la dernière marche de Kamal se déroule sans présence policière. Al Adl wa Ihassane expose toute sa force organisationnelle et numérique. Au moment de l'enterrement du corps, religion et politique se mélangent dans le discours de l'imam qui officie la cérémonie, Abdelhamid Amine, vice-président de l'AMDH est réduit au rôle de figurant. Le mouvement de cheikh Yassine tenait son premier martyr. Le lendemain, une marche du 20 février rassemble plus de 10 000 safiotes. Dans une absence totale des forces de l'ordre, cette manifestation ne connaitra aucun débordement. Les marcheurs demandaient toute la vérité sur la mort de Kamal. De ce week-end d'enterrement du «Bouazizi marocain», les autorités s'en tirent avec les moindres de dégâts.