Ce Maroc, qui gémit clamait le poète. Ce Maroc qui chante, ponctue le philosophe. Le poète dans sa sève nourricière du fond du Sous, Khireddine, clamait la douleur. Le philosophe, El Maleh, fidèle à sa terre et aux différents affluents qui l'alimente, dispensait l'espoir. Il a poussé, aux confluents du judaïsme, de l'amazighité, de l'arabité, bercé par les vents de l'Occident. C'est cette terre qui l'a vu naître, et qui l'a doté de son humus. Et c'est vers cette terre qu'il revient se reposer. Edmond Amrane al Maleh. L'homme n'était pas seulement un symbole, mais un rappel. Un rappel de ce qu'est le Maroc, de ce qu'est le judaïsme, de ce qu'est la philosophie, de ce qu'est la politique. Un rappel à l'ordre, car le Maroc n'est pas réductible à une composante culturelle. Car le Maroc n'est pas une concubine, dont on use et abuse, aux côtés d'autres concubines, tant qu'elle est belle et riche et capable, encore, de dispenser ses largesses. Le Maroc, pour ses enfants, est une mère, qu'on aime pour ce qu'elle est, sans contreparties, qu'on aime, pour l'amour sans partage qu'on a pour celle qui nous a mis au monde. Le judaïsme fut la première révolution de l'Homme contre l'injustice, l'exploitation, l'idolâtrie, au nom du monothéisme. Quelle est la révolution qui n'a pas été dévoyée ? Quelle est la religion qui n'a pas été pervertie ? Souvent, au nom de la lettre d'une religion, on tue son esprit. Mais des êtres d'exception, au prix de leur vie, bravant la doxa, aux prises du dénigrement, corrigent les anomalies qui frappent les nobles mouvements de pensée. Au nom de l'inquisition, Jésus était déclaré hérétique, par ce qu'hostile aux préceptes de Jésus. C'était dans Séville, au XVIème siècle, dans ce beau texte, de Dostoïevski, dans les frères Karamazov. Ne soyez pas étonné qu'al Maleh fût déclaré mauvais juif. Il était fidèle à l'esprit du judaïsme, au même titre qu'Abrhahm Serfaty, que Germain Ayache, que Friha son épouse. Et sous d'autres cieux, comme Noam Chomsky, et d'autres. Le judaïsme est humanisme. Ne l'oublions pas. La première déclaration universelle des droits de l'Homme était les dix commandements. Déclaration reprise par les deux autres t religions monothéistes. La philosophie, nous rappelle, cet homme à la silhouette frêle n'est pas des conjectures, n'est pas une retraite dans une tour d'ivoire. Tout comme le philosophe n'est pas l'oracle. Il est humain, trop humain. Il s'attable dans un coin de café, voit le jour qui défile, fait son marché, il est bousculé par l'enfant du coin, rappelé à l'ordre par le syndic, et dans l'exiguïté de sa demeure, il crée un monde, avec ses amis, qui écoutent avec lui un morceau de musique, s'émerveillent devant un tableau, lisent un poème, dégustent un bon tajine, ressassent de vieux souvenirs, rêvent d'un monde meilleur, s'arrêtent sur les gémissements de ceux qui souffrent..Ainsi fut l'appartement d'Edmond. Une oasis d'amour et de foi dans les idéaux de justice. Une oasis qu'il arrosait par son engagement, sa profondeur, et sa simplicité…Une oasis qui n'a jamais manqué d'esprit..Et quand sa femme le quitta pour le repos éternel, il savait qu'il n'était pas seul, car riche de ses amitiés, de ses valeurs, de son ancrage. On était nombreux à faire nos haltes dans cette oasis pour nous abreuver d'amour et d'esprit. Rappel dans la vie de cet homme, de ce que c'est la politique. Les camarades ont vite fait leur mue. Pour un strapontin. Ils ont vite aiguisé leurs armes, pour un pantomime. La politique c'est de savoir naviguer entre récifs, disent des camarades. Al Maleh, ne dit rien, observe le silence et garde le cap. Les principes sont à l'homme politique ce que la boussole est au capitaine du navire. On aurait pu le prendre, si le mouvement de l'histoire ne s'est pas mis en branle, pour un rêveur. Mais qu'est ce la politique si ce n'est un rêve pour décliner les valeurs de justice, de liberté et de dignité ? Rappelons qu'Al Maleh a fait sien le combat des Palestiniens, pour un territoire, pour la dignité, car la justice, s'écrit avec un grand J et n'est pas réductible aux uns aux dépens des autres. Al Maleh n'est pas mort, il rayonne d'où il est. Il ressuscite, dans cette jeunesse marocaine qui va à l'avant de jours qui chantent. De cette jeunesse qui fort heureusement n'avait pas à apprendre les arguties des intellectuels, engoncés dans leur savoir académique, n'avait pas à faire ses armes en s'inspirant des manoeuvres des politiques, forts de leur « expérience », de leurs « amitiés » ou de leur « rente » historique. Une jeunesse dont l'ingénuité redonne vie à la politique, à la vie, à la philosophie, dans ce qu'elles ont de plus noble. Edmond aurait été fier d'elle. Que dis- je : il est fier d'elle. J'ai vu son âme planer ici avant de rentrer. Le grain ne meurt jamais, et quand il meurt, il donne beaucoup de fruits. Hassan Aourid