De négociations en manifestations, les détenus salafistes et leurs proches dessinent les contours d'une nouvelle coordination « citoyenne » pour exiger leur libération et demander des comptes. Dimanche 3 avril, ils sont presque 500 anciens détenus islamistes à se rassembler sur la place Bab El Hed, répondant à l'appel de la Coordination des familles de détenus islamistes, dite « Al Haqiqa ». Dans la manifestation, quelques figures : Mohammed Mazouz et Brahim Benchekroun, anciens détenus de Guantanamo, Mohammed Hakiki, une des têtes du Forum Al Karama, qui défend des prisonniers d'opinions islamistes, ainsi que la célèbre Fatiha El Mejjati, ancienne prisonnière, et une des initiatrices de la coordination Al Haqiqa. Seul absent : Abderrahim Mouhtad, président de l'association Ennassir pour la libération des détenus islamistes. Il a tenu à manifester à Casablanca, plongé dans la masse des contestataires du Mouvement du 20 février, « une stratégie pour rendre la cause plus connue ». A Rabat, les manifestants dont les rangs sont formés d'enfants de détenus brandissent des drapeaux sur lesquels est inscrite la Chahada. Certains ont enfilé des combinaisons orange, portées par les prisonniers de Guantanamo. Ces manifestants comptent dans un premier temps maintenir la pression sur les institutions qui ont émis des promesses aux détenus de Salé vendredi 25 mars après un mois de bras de fer [voir plus bas] : accélération des libérations et de l'ouverture des procès des détenus en attente de jugement. Mais tous sentent bien que du côté de l'Etat, on aimerait clore ce dossier aussi traînant qu'embarrassant. Alors, enthousiasmés par les récents évènements, ils pensent déjà aux exigences ‘après libérations' : l'abolition de la loi anti-terroriste et surtout, la possibilité pour les ex-détenus de demander des dommages. Dans les prisons en effet, en plus des complices avérés de terrorisme et des repentis prêts au dialogue, un troisième groupe – important - de détenus n'aurait rien à voir avec le terrorisme. Selon un ancien détenu fraîchement sorti de quatre années passées à l'ombre à Zaki : « la majorité ont offert un café, vendu un portable à quelqu'un à qui il ne fallait pas, d'autres ont fustigé la politique internationale américaine. Si vous ajoutez à cela un port de barbe, vous pouvez vous retrouver à la barre. Souvent, ces gens n'ont pas beaucoup de moyens pour prendre un avocat compétent, leur dossier est gonflé et présenté à l'international comme une belle prise ». Une source associative nous dit que pour porter plus efficacement ces revendications, un rapprochement entre la coordination Al Haqiqa et le réseau Al Karama est à prévoir. Pourrait en naître une coordination capable de gérer des dossiers des détenus fraîchement sortis de prison. Et qui réclameraient des dédommagements… Un mois de mobilisation dans les prisons Flashback : Après les révolutions tunisienne et égyptienne, le Mouvement du 20 février manifeste en rangs serrés pour des réformes. Dans la foule de contestataires, on peut apercevoir les compagnes des cheikhs emprisonnés Hassan Kettani et Abou Hafs ainsi que Fatiha El Mejjati réclamer justice pour les salafistes enfermés. Le 25 février, dans la prison Zaki de Salé (qui accueille entre 250 et 300 salafistes répartis en deux quartiers) Mohammed Hajib, un jeune maroco-allemand, condamné à 10 ans escalade un mur interne de la prison séparant des quartiers (15 mètres). Il brandit une banderole « Jusqu'à quand l'injustice », de l'essence, un briquet et menace de s'immoler. Dans la cour de la prison, ses camarades l'applaudissent, refusent de réintégrer leurs cellules et demandent à rencontrer le ministre de la Justice. Le bras de fer s'engage avec le ministère qui envoie dialoguer le 26 février son secrétaire général Mohammed Lididi. Le calme revient peu à peu. Un mois plus tard, le 17 mars, les détenus reprennent la lutte après les rumeurs de libération des cheikhs. Ils escaladent à l'aide d'échelles de fortunes le toit de la prison et l'occupent. Résultat : deux tentatives d'immolation par le feu et un autre détenu se jette dans le vide. Dans les centres de détention de Fès, d'Oujda et d'autres encore, des salafistes se réunissent et manifestent. Cette fois ci, ils exigent leur libération pure et simple. Devant les portes de la prison Zaki, une centaine de femmes campent plusieurs jours en solidarité avec leurs proches. Une rencontre est finalement initiée le 25 mars avec le nouveau né Conseil national des droits de l'homme (CNDH) et des employés du ministère de la Justice. Des promesses orales sont faites : les procès des détenus en attente de jugement auront bientôt lieu, des libérations sont à attendre. Pour prouver sa bonne foi, l'administration pénitentiaire transfère des Slaouis dans d'autres prisons plus proches de leur famille. Photo: manifestation des familles des détenus salafistes(PH: Hassan Ouazzani).