Lors d'une rencontre organisée à la Brookings Institution à Washington le 23 mars, le ministre marocain des Affaires étrangères a affirmé qu'à l'issue de la réforme constitutionnelle, le roi garderait le contrôle de la diplomatie et de la défense. Il faut ajouter ici qu'il n'a guère édifié son audience sur les prérogatives que le roi abandonnerait. Les Affaires étrangères et la Défense sont donc, AU MINUMUM, deux secteurs de gouvernance auxquels le roi n'est pas prêt de renoncer. Doit-on prendre El Fassi au pied de la lettre ? C'est un ministre dit « de souveraineté », réputé proche du roi et à ce titre, sa parole engage la monarchie. Mais on sait aussi que le processus de prise de décisions au sommet de l'Etat n'est ni clair ni fluide. Les assertions du ministre peuvent donc être mises sur le compte des dysfonctionnements de l'institution monarchique. Il convient tout de même de s'arrêter sur la question de l'Armée et par extension, celle de la police. Elles seront probablement un des points d'achoppements de la réforme constitutionnelle. Peut-on imaginer une démocratie digne de ce nom où les forces armées, les forces de l'ordre et les services de renseignement ne sont pas sous le contrôle de civils comptables devant le peuple ? La réponse est non. Le sociologue allemand Max Weber avait défini l'Etat comme « le détenteur du monopole de la violence légitime ». Cette violence légitime est précisément celle qu'exercent les forces armées et la police en respect de la règle de droit. Elles doivent donc être sous le contrôle d'instances élues. Quand ce n'est pas le cas, leurs fonctions sont « privatisées ». Elles deviennent des milices au service des élites qui contrôlent l'Etat. En prétendant que le Maroc se démocratisait alors même que l'Armée resterait sous le contrôle du palais, Taieb Fassi Fihri, maltraite les Sciences politiques et insulte notre intelligence. Mais il n'y a pas que la théorie et les concepts démocratiques qui plaident en faveur d'un contrôle des « détenteurs de la violence légitime » par le peuple. L'évolution de l'armée marocaine et de son environnement laisse entrevoir un nouveau rôle pour cette institution. Un rôle en conformité avec les aspirations de démocratisation qui animent notre pays. Dans un long câble révélé par Wikileaks, l'ex-ambassadeur US Thomas Riley, trace un tableau globalement négatif de l'état de l'Armée marocaine. Parmi les points saillants de son rapport, l'ambassadeur cite la corruption qui toucherait quelques haut-gradés. Il souligne aussi l'impatience de nouvelles générations d'officiers dont l'horizon est bouché par des caciques hérités des années Hassan II et dont Mohammed VI s'accommode. C'est une armée qui fonctionne mal. Toujours selon Mr. Riley, seulement 40% des équipements des FAR au Sahara sont opérationnels. L'environnement international a aussi changé. Il existe aujourd'hui une Cour pénale international qui juge entre autres crimes, les crimes contre l'Humanité. Des crimes comme la torture, ou comme ceux que l'on commet lorsque l'on tire sur une foule de manifestants civils désarmés. A cause de l'affaire Benbarka et alors qu'il n'est même pas encore accusé du moindre crime, le militaire marocain le plus gradé, le général Hosni Benslimane, est sous le coup d'un mandat d'amener international. Il ne peut quitter le pays sans être arrêté. On peut imaginer un scénario où la monarchie présente une réforme constitutionnelle cosmétique, refusé par les démocrates avec intensification de la contestation, manifestations géantes, blocage du pays et finalement ordre de réprimer la contestation. On n'est plus en 1981 et les responsables sécuritaires réfléchiront à deux fois avant de s'exécuter. L'estime de soi de l'armée est aussi ébranlée par la prédation économique autour du roi. Cette situation la réduit au rang de milice protégeant une clique de profiteurs. Jusqu'à quand avant l'émergence des nouveaux Medbouh, Amokrane et autre Kouira? Et puis, il y a les précédents tunisiens et égyptiens. Quelles pensées ont traversé l'esprit de nos militaires, quelles émotions les ont étreints, lorsqu'ils ont vu les citoyens tunisiens et égyptiens fêter en héros leurs soldats ? Des soldats qui ont choisi l'intérêt général contre celui des élites mafieuses…