Dans son dernier rapport périodique sur le Maroc, le Comité de l'ONU contre la torture se dit inquiet à propos de la législation anti-terroriste marocaine et de sa caractérisation vague de «l'incitation au terrorisme». Selon les déclarations du parquet général concernant l'arrestation d'Ali Anouzla, et celles du ministère de la Justice à propos du dépôt d'une plainte contre le quotidien El pais, les autorités marocaines considèrent que la vidéo d'Aqmi contient une incitation directe au terrorisme et que sa diffusion par un média constitue un acte répréhensible par la loi. Il existe selon les standards internationaux certains cas où les impératifs de sécurité nationale peuvent en effet primer sur la liberté d'expression mais ces cas sont limités et doivent être strictement encadrés, comme le rappelle la Déclaration de Vienne de 2009 mentionnée par le ministre de la Communication Mustapha Khalfi et le communiqué commun des 50 ONG internationales soutenant le droit d'informer d'Ali Anouzla. «Nous rappelons [...] aux autorités marocaines, qu'en vertu des normes juridiques internationales, la restriction du droit à la liberté d'expression pour des raisons de sécurité nationale, de même que sous la législation anti-terroriste, doit répondre à certaines conditions connues sous le nom des «trois exigences» développées par le Comité des droits de l'homme [de l'ONU, ndlr]», indique ce communiqué. Tout d'abord l'expression incriminée par les autorités doit être destinée à «inciter à un acte de violence imminent», c'est-à-dire constituer une menace concrète, précise et immédiate ; il faut ensuite qu'elle soit «susceptible de provoquer une telle violence» ; enfin, le gouvernement doit démontrer qu'il «existe un lien direct et immédiat entre l'expression et la probabilité ou la survenance d'une telle violence». Le texte de la Déclaration de Vienne rappelle pour sa part que le travail d'information des journalistes sur le terrorisme «ne doit pas être sanctionné au prétexte de "radicaliser" des terroristes potentiels ou sous d'autres charges vagues et trop générales comme "l'apologie", la "justification" ou la "promotion" du terrorisme ou de l'extrémisme». Une loi anti-terroriste «liberticide» Au Maroc, le concept et la caractérisation de l'incitation au terrorisme ne sont pas clairement définis par la loi anti-terroriste de 2003, votée immédiatement après les attentats du 16 mai et jugée "liberticide" par les associations marocaines de défense des droits de l'homme comme l'AMDH. L'incitation au terrorisme a pourtant depuis été criminalisée dans la loi marocaine, suite à la modification en 2006 de la Convention arabe de lutte contre le terrorisme (ratifiée par le Maroc), décidée à Tunis lors d'un Conseil des ministres arabes de la Justice présidé par l'ex-président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali. La «préoccupation» du Comité de l'ONU contre la torture Aujourd'hui, 10 ans après les attentats du 16 mai et alors que le contenu de la nouvelle constitution est censé prouver les avancées démocratiques réalisées par le royaume, les questions liées au concept d'incitation au terrorisme continuent de se poser. C'est d'ailleurs une des préoccupations exprimées par le Comité de l'ONU contre la torture dans son rapport périodique sur le Maroc, rendu public en 2012 : «Le Comité note avec préoccupation que la loi n°03-03 de 2003 contre le terrorisme ne contient pas de définition précise du terrorisme, pourtant requise par le principe de légalité des infractions, et inclut les délits d'apologie du terrorisme et d'incitation au terrorisme, qui pour être constitués, ne doivent pas forcément être liés à un risque concret d'action violente.» Le Comité de l'ONU rappelle à l'Etat marocain que «les mesures de lutte contre le terrorisme doivent être appliquées dans le plein respect du droit international relatif aux droits de l'homme.» Dans ses réponses au Comité, rendues publiques il y a trois semaines, l'Etat marocain n'aborde pas la question de l'incitation au terrorisme et estime que toutes les précisions nécessaires à propos de la loi anti-terroriste de 2003 (y compris la définition du terrorisme) avaient déjà été fournies au Comité par la délégation marocaine.