Les deux sociétés françaises, gestionnaires délégués de services publics dans plusieurs grandes villes du royaume, font face à un mécontentement croissant des usagers. Les autorités marocaines annoncent à Paris une révision du contrat d'Amendis (Veolia environnement) à Tanger, où le siège du groupe a été brûlé fin février par des manifestants en colère. « Lydec Dégage ! ». Les pancartes conspuant la filiale casablancaise du groupe français Suez environnement étaient omniprésentes lors de la grande marche populaire du 20 mars dernier à Casablanca. A Rabat, c'est Redal, filiale de Veolia environnement, et Staréo, filiale de Veolia Transports, qui étaient pris pour cible par les manifestants. Mais c'est à Tanger que la pression des usagers a été la plus forte. Le siège d'Amendis, filiale de Veolia environnement, a même été brûlé le 19 février dernier. Les usagers en colère dénoncent depuis plusieurs mois des prix qu'ils estiment abusifs et des services de mauvaise qualité. Face à cette montée de la grogne populaire, les autorités marocaines, en visite à Paris le 23 mars dernier pour rassurer les investisseurs français, ont annoncé la révision du contrat d'Amendis à Tanger. « Le contrat, tel qu'il a été signé auparavant, a atteint ses limites juridiques », a annoncé le ministre délégué Nizar Baraka à Paris lors d'une conférence de presse conjointe avec ses collègues Salaheddine Mezouar et Ahmed Reda Chami. « L'une des problématiques majeures est que le pouvoir d'achat local n'est pas en adéquation avec les tarifs appliqués par Amendis », a-t-il ajouté. Pas sûr pour autant que cela impacte vraiment le pouvoir d'achat des Tangérois, cette révision se justifiant aussi, selon Nizar Baraka, par « les efforts importants à faire en matière d'assainissement liquide ». Quand à la possibilité que la pression populaire fasse « sauter » Veolia et Suez, les ministres, avant tout soucieux de préserver leurs relations avec les sociétés françaises, ont tenu à rassurer. « La responsabilité de l'Etat marocain est de protéger les investisseurs, notamment lorsqu'ils respectent leurs contrats et leurs engagements », a ainsi lancé Salaheddine Mezouar. Les usagers marocains apprécieront le « notamment »… Non-respect du cahier des charges ? Le respect du cahier des charges est pourtant au cœur des revendications. Le 19 janvier dernier, à Rabat, un collectif d'associations et syndicats (AMDH, Attac Maroc, Institut de défense des biens publics, UMT) tirait la sonnette d'alarme concernant la gestion déléguée de Veolia dans la capitale (filiales Redal et Staréo). La Redal accuserait un retard dans la réalisation des travaux prévus par le cahier des charges, évalué à 25 %, soit 3 années de retard : renforcement des collecteurs d'assainissement, stations de relevage et décantation, réalisation de la station d'épuration des eaux usées, du réseau d'évacuation des eaux de pluie, etc. En parallèle, les factures de la Redal ne cessent de s'alourdir. Leur majoration de 1 %, octroyée en 2002 pour une durée d'un an, s'applique toujours. « Elle doit être immédiatement annulée et restituée au bénéfice de la collectivité », réclame le collectif. « Cette majoration est rendue encore plus odieuse lorsqu'on sait que l'Office des changes avait rappelé à l'ordre Veolia Maroc en 2006 pour avoir transféré sans autorisation 110 millions DH de bénéfices au-delà des quotas prévus. Comment le délégataire a-t-il pu dégager autant de bénéfices alors que les investissements prévus dans le cahier des charges n'ont pas été réalisés dans leur totalité ? » s'indigne le collectif. Main basse sur les services publics A travers la création de leurs filiales marocaines, Veolia et Suez ont fait main basse sur les services publics dont la gestion leur a été déléguée : eau, électricité, éclairage, assainissement, gestion des déchets, transports publics. Et ce dans la plupart des grandes villes du royaume : Casablanca, Rabat, Mohammedia, Tanger, Tétouan, Oujda, … Concernant la tarification de l'eau potable, la comparaison régies publiques/gestion déléguée ne joue pourtant pas en leur faveur. « Des études comparatives menées dans plusieurs villes du Maroc montrent que les prix sont systématiquement plus élevés dans le cadre de la gestion déléguée par rapport à ceux de la régie publique. Les habitants de Marrakech, Meknès, Fès, Kénitra paient leur eau bien moins cher que les habitants de Rabat, la différence pouvant être de plus de 1 DH/m³ pour les tranches basses et de 7 DH/m³ pour les tranches hautes », affirme le collectif r'bati. Demande d'enquête Alors que les pratiques des deux groupes français sont de plus en plus dénoncées en France (et qu'on assiste là–bas à un retour progressif aux régies publiques), les associatifs marocains commencent eux aussi à demander des comptes. A l'issue de son bureau national tenu le 5 mars dernier, l'ACME-Maroc (Association pour le contrat mondial de l'eau) a ainsi demandé dans un communiqué "l'ouverture d'enquêtes publiques – par le Parlement et la justice – pour déterminer dans quelles conditions, et contre quelles contreparties effectives, les décisions de concéder la distribution de l'eau, de l'électricité et l'assainissement à des entreprises privées ont été prises". L'association réclame aussi "l'ouverture d'enquêtes au niveau de l'Instance nationale de prévention de la corruption et de la part de la justice en raison de soupçons de corruption dans la passation des contrats de gestion déléguée et dans leur application". Visiter le site du film documentaire "Water Makes Money", qui dénonce certaines pratiques des groupes Suez et Veolia. Diffusé sur Arte le 22 mars dernier et objet d'une plainte pour diffamation de la part de Veolia. Photo: manifestants à Casablanca, demandant le départ de la Lydec. 20 mars 2011