En plus de deux ans d'accord de libre-échange avec les Emirats Arabes Unis, on a enregistré à trois reprises le blocage de marchandises dans les ports marocains. Le sucre, le lait et la céramique sont des produits bannis. Le Maroc est même allé jusqu'à remettre en cause des documents officiels fournis par le ministère de l'économie émirati. Dans les coulisses de la visite, on note un certain énervement… avec diplomatie. Cheikha Loubna bent Khalid Al-kassimi, la ministre de l'économie et de l'administration des ports emiratie, n'est pas venue la fleur au fusil pour les beaux yeux de ses partenaires. Son langage diplomatique affiché devant la presse et lors de la cérémonie des travaux d'ouverture de la commission mixte cache le malaise des hommes d'affaires émiratis. Ce langage tranche avec le discours qu'elle a tenu aux différents ministres marocains qu'elle a rencontrés. En effet, elle a rencontré Driss Jettou, Premier ministre et Fathallah Oualalou, ministre, des Finances et de la privatisation, avec des membres de sa délégation, mais également Taïeb Fassi Fehri, Ministre délégué aux affaires étrangères. Si ses homologues marocains étaient intéressés par lui vendre le Royaume avec ce que cela comporte comme opportunité, elle a, surtout, enrichi les discussions d'un sujet moins plaisant à aborder. Il s'agit des nombreux couacs que connaît la mise en œuvre de l'accord de libre-échange. En effet, on ne compte plus les marchandises en provenance des Emirats Arabes Unis qui ont été bloquées pour une raison ou une autre. Il s'agit presque d'une patate chaude qu'aucun membre du gouvernement n'ose toucher. Pourtant, sous l'effet de puissants lobbies et peut-être parce que certaines dispositions n'ont pas été clarifiées, la douane bloque lait, céramique, sucre et menacerait de servir sur les pâtes alimentaires. Le lait de la discorde Tout a commencé avec l'affaire entre Stock Pralim et Nido concernant une commande de lait en poudre pour les forces armées royales. Le fait est que, pendant des années, ce juteux marché était l'affaire de Nestlé, propriétaire de la marque Nido. Cependant, en 2005, c'est Stock Pralim, entreprise possédant plusieurs marques qu'elle fait fabriquer ou qu'elle importe, qui remporte le marché au nez et à la barbe du géant suisse. Il s'ensuivra une longue bataille qui se passera, au niveau du port d'Agadir, avec comme acteur principal la Douane et Stock Pralim. D'aucuns y ont vu la puissante main de Nestlé alors que l'administration des douanes affirme que les Emirats Arabes Unis ne sont pas producteurs de lait et n'ont pas de ranchs. En conséquence, ils ne sont pas censés produire une valeur ajoutée de 40% d'un produit de lait en poudre, condition sine qua none pour entrer dans le cadre des accords de libre-échange comme produit exonéré. Pourtant, El Hachmi Boutegray, président de Stock Pralim, a fourni des documents officiels délivrés par le ministère de l'Economie émirati, celui là même que dirige Cheikha Loubna bent Al-kassimi et prouvant que la valeur ajoutée émiratie est de 52%. Le même document affirmait, également, que le produit n'avait pas été manufacturé dans la zone franche de Jebel Ali. Pourtant, l'administration des douanes campera sur ses positions et le lait émirati ne quittera les silos du port d'Agadir que pour retourner à leur lieu de provenance, les Emirats Arabes Unis. En effet, une enquête aurait été menée par les douanes marocaines prouvant, justement, que la valeur ajoutée n'était pas de 40%, comme l'affirmait les officiels émiratis. Cela voulait dire que le Maroc accusait le ministère dirigé par son hôte d'avoir produit de faux documents. Ce qui aurait pu être une raison suffisante pour créer un incident diplomatique. Le sucre salé des Emirats On n'a pas fini de parler du problème du lait que celui du sucre surgit. En effet, entre novembre et décembre 2005, des conteneurs entiers de sucre ont été bloqués pratiquement pour des raisons similaires. Justement, pour faire face à la concurrence des produits en provenance de la Turquie, notamment : Les confiseurs et chocolatiers ont jugé bon de profiter de l'accord de libre-échange. Ainsi, ils se sont adressé à la société Khalij Sucar, une raffinerie qui ne se trouve pas dans la zone franche de Jebel Ali et qui intégrerait plus de 40% de valeur ajoutée. L'affaire semblait prometteuse pour les industriels marocains, dans la mesure où elle permettrait de réaliser des économies conséquentes. En effet, Khalij Sucar leur fournit le sucre à 2500 DH la tonne alors qu'au Maroc, ils devront débourser 4300 DH la tonne, et rembourser quelque 2000 DH par tonne au titre de la subvention, ce qui revient à un prix total de 6300 DH la tonne. Cependant, une fois de plus, l'administration des douanes sévira, mettant en doute le taux d'intégration de 40% de valeur ajoutée. Car il est vrai que les Emirats Arabes Unis produisent leur sucre à partir du sucre brut importé du Brésil, de l'Australie ou encore de l'Argentine. En tout cas, pour faire entrer leur sucre sur le marché national, les confiseurs devaient payer quelques 120% de droit de douane. Leurs espoirs d'être compétitifs se sont ainsi envolés, mais ils ne manqueront pas de relayer l'information auprès des autorités émiraties qui s'indigneront, à leur tour, de cette décision difficile à expliquer. Un mois plus tard, le même problème se posera avec de la céramique. Et depuis le mois de janvier 2006, plusieurs mètres carrés de céramiques restent bloqués au port de Casablanca. Les mêmes explications sont données par la douane et l'issue, on la devine, sera la même. Il risque d'y avoir un retour à l'envoyeur et l'accord de libre-échange, pendant ce temps, patine. Pourtant, tout le monde sait que l'Emirat de Ras EL Khaïma est aujourd'hui, le premier producteur mondial de céramique. En l'espace de moins de cinq ans seulement, il est même passé devant l'Italie qui compte des milliers de céramistes. Donc on ne peut même pas évoquer la faiblesse de la valeur ajoutée qui est entièrement émiratie. Mais les autorités marocaines, cette fois-ci, font valoir, sans doute, la sauvegarde d'une industrie très lobbyiste. La valeur ajoutée de 40%, un jeu d'enfant Dans le même ordre d'idées, les importations de pâtes alimentaires suscitent quelques inquiétudes de la part des industriels marocains. En effet, le blé, n'étant pas taxé aux EAU, la production de pâtes est beaucoup compétitive que celle du Maroc. Car les agroindustriels marocains s'approvisionnent, en partie, sur le marché local via l'importation de blé dont les droits de douanes sont calculés sur la base des coûts et des volumes de la production locale. On aboutit, dans un cas comme dans l'autre, à des prix peu compétitifs. Il ne serait pas étonnant que, du jour au lendemain, les importations soient purement et simplement stoppées. Le plus étonnant, c'est que les produits marocains n'ont jamais rencontré un problème identique au niveau des Emirats Arabes Unis. Tous les produits parviennent à traverser la frontière émiraties et à rejoindre les marchés du partenaire. La raison de tout ce charivari autour de l'accord de libre-échange est pourtant, simple : le Maroc n'a pas mis les garde-fous nécessaires, car les études nécessaires n'ont pas été faites à temps et nul ne veut assumer les conséquences fâcheuses . De plus, quoi de plus facile que d'avoir une valeur ajoutée donnée ? Car il faut reconnaître que cette valeur ajoutée n'est autre que la marge partagée entre les salaires, les impôts, l'outil de production et la rémunération du capital. Si les trois premières composantes sont incompressibles, la quatrième, elle, est extensible à volonté. Cela veut dire que deux produits identiques à tous points de vue et fabriqués dans les mêmes usines par le même personnel peuvent avoir deux valeurs ajoutées différentes, pourvu que leur prix de vente change. Donc rien n'est plus facile que d'avoir du sucre émirati à plus de 40% de valeur ajoutée. Il suffit d'en fixer le prix, tout en veillant à ce qu'il soit compétitif au Maroc. Et, compte tenu du système bancal qui régit le sucre, le lait et le blé au Maroc, ce dernier point ne pose pas de problème non plus.