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Mais qui a tué Benaguida ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 27 - 02 - 2006


prison centrale de kénitra
L'affaire Bahloul continue à faire des remous. Et nous en sommes aujourd'hui à la question cruciale du premier cadavre de Bahloul. Il s'agit d'une connaissance, nommée Benaguida, disparue depuis 8 ans avant que l'on sache que c'était là le premier acte criminel avéré de celui qui tuait ses clients potentiels en leur dérobant leurs biens avant de conclure un acte de vente ou d'achat. Pour l'agent immobilier, natif de Benslimane, le cas Benaguida demeurera un secret. Il refuse jusqu'à cet instant d'en parler, d'évoquer cette personne pourtant bien connue de lui et qu'il n'a pas hésité à refroidir. Ce crime avait-il un lien avec la série qui a mené son auteur au couloir de la mort ? Benaguida était-il le déclencheur des meurtres en série ? Y avait-il un autre début accidentel comme le laisse entendre son entourage, mais qui a ensuite ouvert la voie du crime ? Autant de questions auxquelles Bahloul ne veut pas répondre. Il peut même aller jusqu'à nier le meurtre de Benaguida malgré les preuves accumulées et les aveux.
Quoi qu'il en soit, nous avons mené notre enquête sur ce mystère de l'affaire Bahloul qui a défrayé la chronique et plongé la région de Casablanca/Benslimane dans une psychose sans précédent.
Quand nous avons rencontré Lhoucine Bahloul, il nous avait laissé cette étrange impression de celui qui ne veut plus répondre de quoi que ce soit ni ici, ni le jour « du jugement dernier » devant qui que ce soit, même si c'était la justice et son bandeau aveugle sur les yeux ou la balance sur laquelle son âme a tant de fois chaviré sans poids définis. Pourtant ce jugement, il en évoque la possibilité, mais il lui semble aussi éloigné que la paix de l'âme qu'il espère et qu'il n'ose avouer. Car pour Bahloul, il y a deux choses immuables dont il ne dévie jamais : le silence et l'image de Benaguida. Le premier est son soutien, la deuxième son cauchemar.
L'histoire d'une voiture
Mais qui est ce Benaguida d'abord ? Bahloul se tait. Nous savons que c'est une très ancienne connaissance qui a un jour rencontré le sombre chemin du futur grand tueur devant le seigneur. Dans les années 90, Bahloul déménage à Sidi Bernoussi. Benaguida, lui, fréquentait le souk quotidien de la place pas très loin de l'autoroute. Une espèce de terrain à poubelle improvisé en marché local et qui a pris corps pendant de très longues années. D'ailleurs aujourd'hui encore dans ce souk que l'on appelle Alek, on se souvient à la fois de Benaguida et de Bahloul. Benaguida est sa première victime. Ce sont huit années plus tard que l'on saura que la disparition de Benaguida était due à sa rencontre avec Bahloul Lhoucine. Benaguida est un type que l'on connaissait bien à Bernoussi qui n'a plus donné signe de vie depuis le jour où le destin l'a mis sur la route de Bahloul. Mais comment tout cela s'est dégoupillé à la source ?
C'est l'histoire d'une voiture à 16 briques qui en avait, à la base, coûté 32. Bahloul a un ami qu'il aime beaucoup et avec qui il a vécu le meilleur et à qui il a réservé le pire. Alors il l'appelle à Marrakech. Cela remonte à très loin. Benaguida est heureux que son ami de Casa lui passe ce coup de fil inattendu et surtout lui annonce la bonne nouvelle : “J'ai trouvé ce que tu cherches”. Benaguida cherchait une bonne affaire à conclure. Il en avait fait part à son ami et celui-ci s'est chargé de le satisfaire. La joie de l'ami le fait monter dans un train. Il débarque à la ville blanche et sera reçu comme un roi par son ami. Il l'éclate comme dirait l'autre. Il lui donne à boire et à manger. Il lui sert du thé, des amandes, des gâteaux. Il lui sort le grand jeu. Bref, Benaguida festoie. Et il ne se doute de rien. Ce sont là les retrouvailles de deux potes qui ont vécu tant de choses et c'est l'occasion de parler, d'évoquer le passé et surtout projeter l'avenir avec une nouvelle quatre roues pour faciliter la vie de Benaguida.
Quand l'autre arrive de Marrakech, il prend bien soin de ne pas débarquer à la gare de Casa voyageurs les poches vides. Il vient avec son fric. Il est sûr de conclure son affaire, c'est son ami Bahloul qui le lui a assuré. Alors, le temps semble passer lentement malgré le banquet, le rire et tout le reste. Benaguida veut voir la voiture surtout que celle-ci coûte en réalité 32 bâtons et ne lui sera cédée que pour la moitié de ce montant. La belle, la bonne, la magnifique affaire.
La nuit du chasseur
Benaguida et Bahloul sont chez ce dernier à la maison et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le voyageur qui vient de Marrakech n'avait prévenu personne qu'il rendait visite à son ami de toujours qui habite Casablanca. L'homme avait mis son argent sur lui et a sauté dans le train. Il n'a de compte à rendre à personne, lui, Benaguida. Bahloul s'en assure en posant des questions à son hôte. La nuit commence sous de très bons auspices. On parle, on se raconte des choses, on fait des projets, et on conclue l'affaire du lendemain. La voiture sera achetée et c'est Bahloul qui se porte garant pour réussir cette transaction.
Quand on finit de se remplir la panse, on pense à un bon thé. Bahloul est un ami consciencieux. Il dépose le plateau devant son ami et lui sert du thé. Benaguida boit, boit et se laisse envahir par un bien-être sans pareil. Comme cette nuit est douce avec ce ventre bien repu, ce digestif bien dosé et une belle journée qui se profile pour le lendemain. Les minutes s'égrènent doucement comme dans le début d'un rêve agréable. Le voyageur se laisse aller et la vie lui semble tellement douce, tellement belle qu'il en oublie les règles de bienséance. Il s'endort sur la banquette. Le plan de Bahloul marche à merveille. Voilà que Benaguida roupille loin de toute conscience. Mais il faut s'en assurer. Il faut vérifier que tout marche comme c'était prévu. Car, dans cette affaire, le moindre faux-pas est fatal. Bahloul sait où il met le pied. Il n'a pas droit à l'erreur. La décision était donc prise le jour même où il lui avait passé ce coup de fil pour lui annoncer qu'une magnifique voiture moitié prix l'attend les quatre portes ouvertes. Bahloul devait mettre en pratique un dessein des plus étudiés. Quoi de plus facile et de plus compliqué à la fois que de liquider son meilleur ami ? La question s'est imposée à Bahloul, même si aujourd'hui, il nie tout et dit ne pas avoir prémédité tout ce scénario. Il ne peut évidemment regarder ce premier grand saut dans le vide sans en avoir lui-même le vertige, mais il sait que le destin de son ami était scellé le jour où il a mis un pas devant l'autre dans sa maison à Bernoussi.
Benaguida devait mourir
Quand un homme statue sur votre vie, il a rarement le temps de faire demi-tour et de revenir à plus de raison pour annuler ce qu'il avait déclenché. Quand on passe deux heures avec Bahloul, on se rend très vite compte de sa force de caractère et surtout de son entêtement. Une tête dure, il faut le dire. Et qui doit dans des moments importants de sa vie plier les affaires sans trop tergiverser. Bahloul savait ce qu'il lui restait à faire. Le thé est sa spécialité. Autant dire que ce breuvage est son arme principale pour mettre en application ses crimes. D'ailleurs, plus tard, quand il passera aux aveux devant la police, il parlera beaucoup du thé où il mettait sa drogue pour annihiler toutes les résistances de ses victimes. Benaguida boit du thé. Il aime cela. Il en boit à satiété et glisse dans les limbes du non-retour. Le sort est scellé. Il va mourir. C'est là qu'après avoir vérifié que son ami était bien loin de ce monde et de sa cohue, il se décide à le tuer. Il le tue, et il commence sa ronde cruelle de boucher qui doit découper son gibier pour le mettre à l'abri des regards. Il se saisit après le meurtre de son ami de ce qu'il avait dans les poches : 16 millions de centimes en billets bien léchés. L'affaire est dans le sac. Benaguida est mort, l'argent dans les poches. Il faut en terminer avec la boucherie. Bahloul endosse son visage de chasseur. Il entreprend de découper son ami soigneusement. Partie par partie jusqu'au dernier morceau de choix. Il prend son temps. Personne ne se doute de rien. Sa famille n'est pas là et aucune âme sur terre ne sait que Benaguida dort ce soir à Bernoussi. Il le tue, il le coupe en morceaux, il le met dans des sacs et l'entasse dans une voiture. Il met le cap sur la région de Benslimane qu'il connaît comme ses poches, désormais lourdes de plusieurs dizaines de milliers de dirhams. Bahloul est un natif de Benslimane, il en connaît la moindre parcelle et il est fier de revenir sur ce passé où il marchait dans la zone comme un chasseur à l'entraînement. Une fois dans un terrain très connu, il se met à brûler les morceaux découpés avec beaucoup de métier et de maîtrise technique. Benaguida grille dans l'enfer que son ami lui a concocté avec beaucoup de soins. Il brûle et son âme le quitte à chaque crépitement d'os. Bahloul suit ce feu de camp avec calme et pénétration. Le temps s'étale et le chasseur suit les évènements d'un oeil alerte. Il y a aussi que les rêves d'argent se bousculent dans sa tête. Un ami crame de plus belle à la brise nocturne et les projets se faufilent dans l'esprit de Bahloul qui compte chaque centime des 16 briques de son destin. Benaguida ne reviendra jamais à Marrakech. Sa famille conclue ce qu'elle veut : il a disparu, il est parti avec une autre femme, il a quitté le pays, il a changé de vie, bref, toutes les suppositions, et on n'a jamais su la vérité.
On conclura la disparition, l'errance et l'on attendra les aveux de Bahloul pour se faire une réelle idée sur la première victime de l'homme qui garde aujourd'hui dans son couloir, le regard bas et le crâne dégarni, un silence lourd. Il a fallu attendre le 22 septembre 2002, le jour où la police est venue lui mettre les menottes en l'accusant du meurtre avec préméditation de plusieurs personnes, pour voir Bahloul chanceler. Il a dû ce jour-là, à cet instant précis, voir son ami lui dire : “Mais comme c'était long, finalement nous y voilà”.


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