Il est de bon ton, ces temps-ci, de se répandre sur la moralité des Marocains. Faute de moral, on leur refile la morale. Question, bien entendu, de les soutenir et les prévenir, sinon les immuniser contre la dépravation. Vous avez déjà vu, vous qui avez moral d'acier, un Marocain paumé, sous perfusion neurasthénique tenir devant les tentations du Malin ? Ah, non ! Franchement, même moi, si simplet et si «très QI normal», comprends «ça». Alors ? Alors, il ne faut surtout pas tirer à boulets rouges sur Mohamed Hassan Al Joundi. Ah bon ? Vous étiez sur le point de l'oublier ? Ben, lui, il vous a tous à l'œil. Très à cheval sur les valeurs, il ne badine pas avec les corrompus, les intrus, les envahisseurs, et toutes les meutes des messagers de Satan qui risquent de vous ravir et vous conduire au cinéma. Je sais, je sais. Lui-même est un artiste, la «gorge chaude». Comment dit-on ça en anglais ? Du théâtre radiophonique. Il est également le secrétaire général d'un syndicat, lui-même jusqu'au coup dans le théâtre. N'insistez pas, parbleu! Tout le monde, y compris même-moi ordinairement très ordinaire, sait qu'Al Joundi a déjà fait du cinéma. Est-ce qu'on peut faire du cinéma et détester ce même cinéma qu'on aime ? Pourtant, oui. C'est un peu compliqué, mais il n'en demeure pas moins que Hassan Al Joundi a publié un communiqué dans lequel il «fustige, déplore, condamne ceux qui font des films rien que pour saper la morale de la Nation». Plus, même. Ceux qui par le biais du 7ème art, «font l'entrisme immorale» pour noyauter la Oumma. Suivez mon doigt. Oui, c'est bien cela : Leila Marrakchi, la réalisatrice du film Marock serait une… mutante ! Eh, oui ! C'est l'artiste par qui les « autres », c'est-à-dire l'enfer, arrivent à s'implanter comme les sangsues afin de détruire la Nation. Gare à tous les «Marokains» ! Que reproche-t-il en plus à la réalisatrice et à son film ? Ben, des scènes pas très cathos ! En clair : l'histoire, plus que réelle, d'une certaine bourgeoisie marocaine à la «tenue» très légère. Rien que cela ? Suffisant, bon sang, pour réduire en miettes toute la civilisation. Tu te rends compte ? Une petite bourgeoise qui se prend – filmiquement parlant - dans les bras d'un autre bourgeois de confession qui n'est pas celle de sa bourgeoise. Tremblons, messieurs. Il y a feu en la demeure : au cinéma, faut-il vous faire un dessein, il est permis de s'embrasser, seulement il faut être discret. Voilà tout. Passons donc. Al Joundi, qui est censé parler au nom de ses compères, les a-t-il consultés avant de publier son indignation ? A en croire leurs déclarations, non. Apparemment, il est également conseillé d'être discret même au syndicat. Désormais, on aura droit à un nouveau chapitre : discrètement moral !