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L'amour de Marrakech
Publié dans La Gazette du Maroc le 04 - 07 - 2005


Jacques et Florence Lanzmann
" La vie commence à Marrakech ", roman sorti aux éditions du Rocher en 2004, met en scène un amour impossible. Au-delà de l'idylle inassouvie, les relations conflictuelles de fascination/répulsion entre l'Orient et l'Occident hantent le récit...
Alice, décoratrice parisienne en vogue, la quarantaine, célibatante, offre des vacances à son unique fils, Nicolas, à Marrakech. Tous deux séjournent dans un Ryad de la Médina, loué à un vieux couple d'écrivains italiens. "…un petit palais qui abritait un vaste patio où se côtoyaient bananiers, orangers, citronniers, oliviers et autres arbres rares harmonieusement disposés autour d'une antique fontaine en marbre. C'était la représentation même du jardin d'Eden, tel que le décrit la Bible.". De la terrasse, l'adolescent découvre la ville ocre, ses minarets, ses mystérieuses demeures, les montagnes de l'Atlas , leurs éternelles immaculées neiges et des Européens aux torses nus.
Il "se disait qu'on pourrait comparer Marrakech à la Goutte d'Or. Dérision, mais, à Barbès, les Arabes sont plus nombreux que les Français. Toutes proportions gardées, c'est un peu pareil à Marrakech, dans le sens contraire, bien entendu, puisque les Occidentaux, les Français, les Italiens, les Anglais, les Allemands ont chassé les femmes des terrasses comme ils ont chassé, argent oblige, quelques milliers de Marrakchis de la Médina.". Avec l'arrivée des étrangers, l'achat des anciennes demeures et leur restauration à coup de Zellij et autres Tadellakt, dans la ville la misère côtoie le luxe et l'opulence. En méditant tout cela, il fut surpris par une apparition. Des ruines de la maison d'à coté surgit une jeune fille.
Il "pensa à la Joconde. Une Joconde mauresque. Elle affichait le même sourire, léger et énigmatique. " Et c'est le coup de foudre, le début d'une foudroyante histoire d'amour...
A la conquête de l'aimée, à la conquête de la ville
L'élue s'appelle Salma. Orpheline de père, elle habite avec sa mère et ses cousines. C'est une Ragd, enfant né des années après le décès du géniteur. " Salma est donc l'enfant de Dieu. On ne précisait ni comment, ni pourquoi. C'était cela, un don qu'Allah faisait aux veuves. ".
L'histoire éblouit et fascine l'amoureux qui décide d'en faire son épouse. Ils se rencontrent chaque soir sur la terrasse, partagent des sourires et discutent de leurs traditions réciproques.
Salma lui confie qu'elle fréquente un vieux et qu'elle passe toutes les nuits chez lui ! Nicolas est fou de jalousie et de rage. Il la paye pour ne plus y aller , découvre qu'elle triche. En la poursuivant un soir, elle découvre la demeure délabrée de son rival.
Heureusement un antiquaire le renseigne qu'il s'agit de son grand-père, lui aussi Ragd.
Un fin lettré qui a dilapidé sa richesse en aidant les autres. Souffrant, il est acculé à liquider ses biens pour ses soins. "Salma avait choisi de vendre les meubles et les bijoux, plutôt que les livres….Les livres, c'étaient ni plus ni moins que les racines de cette tribu de Ragd. Et cette bibliothèque fabuleuse passerait donc de Ragd à Ragd…" .
Tout en le renseignant sur l'Haj Ahmed ben Mouzoura, l'antiquaire lui dévoile un bijou en provenance de sa maison."..un collier berbère de chez Aït Bougmez. Il a au moins deux siècles ..", un cadeau de mariage où sont inscrits les noms de Brahim et Ilham, les ancêtres des Ragd ? Nicolas décide de le racheter pour l'offrir à Salma. Alice paye et le collier et les médicaments pour le malade. Le mois de vacances prend fin, la mère et le fils rentrent à Paris.
A l'aéroport, "Sa Reine était là, à l'autre bout du hall. Elle souriait, non, elle pleurait ? Peut-être pleurait-elle en souriant ? Peut-être souriait-elle en pleurant ?". Hélas " …entre elle et lui (…) il y avait l'Orient et l'Occident, le Coran et l'athéisme, le parler et la culture, la liberté et la méfiance, l'ouverture d'esprit et la contrainte de l'islam. ". En quittant la ville, Nicolas lança à sa mère, "- Oh, tu sais, maman, pour moi, la vie commence à Marrakech… " !!!
L'Autre, l'insaisissable
Jacques Lanzmann et sa compagne Florence sont des écrivains de notoriété qui ont commis plusieurs livres entre récits et essais.
On a du mal à expliquer les idées reçues, les stéréotypes dont regorge "La vie commence à Marrakech". En voulant greffer à un récit relevant d'un conte parabolique - inspiré d'une "belle inconnue" et de la magie de Jamâa el Fna - leurs jugements sur les Marocains et l'islam, ils ratent le coche. Certes le texte est rédigé sous l'effet du choc du 11 septembre et les attentats de Casablanca.
Mais de la part d'auteurs et curieux voyageurs, on s'attendait à plus de discernement qu'à des phrases du genre : "au Maroc, celui qui n'a pas de religion n'a pas le droit de vivre.", "Evidemment, tous les Marocains ne pratiquent pas, mais tous les Marocains croient en Allah", "..la loi coranique n'interdit pas aux veuves de faire l'amour.", " les Marocains sont comme cela, ils marchandent, ils doublent, ils triplent les prix. Une fois l'accord conclu, ils font confiance."...Sans oublier les idées erronées sur la nuit du destin, la veille du vingt-septième jour du Ramadan confondu avec, "c'est Leila-t-Noss. La nuit de la mi-Ramadan. Les anges vont descendre du ciel.", la virtuelle haine entre Arabes et Berbères et la glorification de ces derniers, l'intolérance et le fanatisme des Musulmans…Une vielle thématique chère à la littérature coloniale avec ses Fatma des Bousbirs et des harems imaginaires et ses fanatiques sanguinaires, réchauffée à l'air du temps de l'islamophobie ambiante.


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