Libéralisation du ciel A l'heure où le Maroc a officiellement confirmé son choix politique en faveur du développement du tourisme comme axe stratégique majeur de la mutation que devrait connaître notre économie au cours des prochaines décennies, le département ministériel chargé du transport aérien, a pris tous ses détracteurs de vitesse. Il vient en effet d'annoncer une batterie de mesures salvatrices, dont le caractère d'incitation à la libre concurrence et l'encouragement à l'investissement n'aura échappé à personne. Le plus surprenant, et c'est réellement une première, ce département ministériel, a, pour une fois, pris sa “décision politique”, en mettant les entreprises publiques dont il a la tutelle, devant leurs responsabilités. C'est vrai, les titres de presse ont foisonné ces dernières semaines, brocardant à la “Une” l' “Etat protecteur”. L'Etat protecteur Au commencement était une compagnie nationale aérienne, porte-étendard national, fleuron de l'économie marocaine , ouverte sur l'extérieur, vecteur du développement des exportations, des échanges et surtout, du désenclavement du pays. A l'origine, la compagnie assure fondamentalement une “mission de service public”, aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur, en tant qu'instrument de l'Etat chargé de tisser un réseau de relations, en fonction des intérêts économiques et ethniques comme des contingences diplomatiques. Afin de ne pas pénaliser cette compagnie et de l'aider dans sa mission de “service public”, l'Etat avait mis en place un instrument, appelé alors “contrat programme”, qui définissait le cadre d'intervention des uns et des autres et les moyens financiers, réglementaires ou d'autonomie de gestion qui permettaient alors à la Compagnie de faire convenablement face à ses obligations. Le cadre de référence, dans le domaine, était alors un “ciel totalement réglementé”, soumis à une règle simple, le “bilatéralisme”, et ses conséquences directes : un strict partage des capacités et des fréquences aériennes et une désignation préalable des intervenants. Cette situation garantissait à chaque opérateur de “rester dans le marché”, quelles que soient ses performances, et il profitait nécessairement des avancées commerciales et du développement du trafic de son partenaire, grâce à la règle du partage. Pire, des accords d'un type aujourd'hui révolu, appelés “accord de pool”, permettaient même le partage des recettes, quelle que soit l'efficacité de l'un et de l'autre. Le corollaire à cette situation était simple : aucune concurrence réelle n'étant de mise, les compagnies s'entendaient sur les capacités et les tarifs, qu'elles fixaient d'un commun accord, en fonction de leur stratégie et de leurs propres contraintes financières. Elles faisaient ensuite approuver et entériner cette “entente” par les autorités aéronautiques, quand ce n'était pas via la voie diplomatique. Les compagnies étaient alors protégées contre les intrusions concurrentielles et équilibraient leurs budgets grâce à des hausses tarifaires saisonnières. Conséquence directe de ce système, qui a certes permis à la Compagnie nationale de remplir convenablement sa mission et de connaître un développement “exemplaire” (tant sur les plans technique et commercial qu'humain) : le niveau des échanges et de la croissance demeuraient relativement modeste. L'Etat semi-libéral Cependant, et tout en exerçant ce protectionnisme vers la fin des années 70 pour accompagner la première politique touristique du pays, le Maroc et sa compagnie nationale avaient pourtant anticipé en libéralisant pour les compagnies étrangères l'accès aux aéroports marocains dans le cadre de vols touristiques “charters”. Ils imposaient cependant, des restrictions, notamment en matière d'obligation d'achat préalable de prestations hôtelières. Vint ensuite l'Acte unique européen et la libéralisation du ciel en Europe. Conséquence : des concentrations de compagnies et, surtout, une nouvelle approche stratégique des compagnies aériennes, recherchant davantage un système de fréquences optimales sur une liaison aérienne “trunk” qu'un essaimage de lignes. Les parts de marché, dans des systèmes à plusieurs intervenants, devinrent vitales. Ce fut le début du système du “hub” et du “yield management” ou “optimisation de recette”. La compagnie nationale dut alors revoir sa stratégie. Pour sauvegarder ses parts de marchés, surtout les plus renatables d'entre elles, elle dut adopter le même système, en multipliant les fréquences sur des liaisons point à point. Ce système est également appuyé sur un “hub” : l'aéroport de Casablanca. Pour mener à bien cette politique, des choix ont été opérés et des liaisons à faibles revenus ou à fréquences modérées furent supprimées. Ce sont le développement récent de notre tourisme, les défis du Maroc 2010 et le fabuleux essor des voyages de nos ressortissants à l'étranger qui ont, lors de la guerre du Golfe et à la suite des attentats du 11 septembre, montré la qualité d'un réservoir de clientèle “ totalement acquis et indéfectible à la destination”, quels que soient les turbulences que le microcosme “aéro-touristique” a traversé ces derniers mois. L'Etat libéral Les responsables du tourisme et du transport ont complètement admis que, quels que soient les mérites et les moyens de notre compagnie nationale, et ils ne sont pas des moindres, pour affronter les défis et faire face à la demande potentielle, il fallait changer de “braquet”. Il convient d'ouvrir le pays à l'investissement dans ce secteur, tout en restant extrêmement vigilant et intransigeant sur la qualité des opérateurs potentiels. Les annonces faites par le ministère des Transports, libéralisant le transport charter, admettant la non-obligation d'achats de prestations sur les vols charters et (surtout à l'attention de nos résidents à l'étranger) accordant des autorisations de principe à des dossiers de candidatures de compagnies privées, vont dans ce sens. Cette nouvelle situation marquera vraisemblablement un “revirement stratégique de la politique commerciale” de la compagnie nationale pour s'adapter à la nouvelle donne. Gageons qu'elle dispose de ressources et de compétences et que, comme à chaque rendez-vous historique, notre pavillon national saura relever le défi et en sortir renforcé, et le Maroc avec lui. Peut-être verrons-nous notre compagnie nationale “parrainer” les nouveaux entrants, y compris la petite consœur régionale, et bâtir un nouveau système de transport aérien au Maroc, comme c'est le cas en Tunisie. Elle en, a en tout cas, les capacités.