Les Etats-Unis multiplient ces derniers jours leurs messages concernant une éventuelle chute du régime syrien. Parallèlement, leurs pressions politico-économiques exercées sur Damas, montent chaque jour d'un cran, malgré la "coopération" de cette dernière aussi bien au Liban qu'en Irak. Face à ce danger imminent, le régime syrien tente d'échapper à ce qu'il apparaît désormais comme étant "maktoub". Il ouvre les portes au voisin turc dont les ambitions dépassent de loin le pays des Omeyyades. Dans un de ses derniers numéros, le quotidien israélien Maareev a rapporté sur la CIA que le régime en place en Syrie est sur le point de tomber, ajoutant que le président, Bachar al-Assad, ne restera pas plus longtemps après avoir finalisé le retrait de ses troupes du Liban. Ces mêmes prévisions ont, semble-t-il, été entendues par Ariel Sharon lors de sa dernière visite, la semaine dernière, aux Etats-Unis. L'entourage de ce dernier donne plus de détails aux médias israéliens. L'administration Bush,dit-on à Washington, voit dans Al-Assad fils, le "successeur de Yasser Arafat". Cela dit, elle n'hésitera pas à jouer le rôle nécessaire pour s'en débarrasser en ayant recours à un changement en provenance de l'intérieur. Au cours de sa rencontre avec un haut responsable libanais, le président Bush a indiqué que le "peuple syrien est aujourd'hui devenu mûr pour se lancer dans une opération démocratique". De ce fait, elle a mis déjà son plan à exécution, mobilisant, d'après certaines sources officielles syriennes, les ennemis de l'intérieur comme de l'extérieur. Dans la capitale américaine, les différents analystes politiques estiment que le régime syrien est plus faible que jamais et qu'il est prêt à faire toutes les concessions demandées afin qu'il préserve sa survie. En dépit de ce constat, les Etats-Unis ne veulent lui donner aucune chance pour s'en sortir. Dans ce contexte, toute l'équipe au pouvoir à la Maison-Blanche considère que la destitution du régime Baasiste à Damas, compensera non seulement, en partie, les effets des échecs de l'enlisement irakien, mais consolidera la stratégie américaine dans la région. Notamment, en ce qui concerne son projet du "Grand Moyen-Orient" avec tout ce qu'il comprend comme réformes et démocratisation souhaitée. Lors de son passage, il y environ deux mois, à l'Institut des sciences politiques à Paris, le secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, a répondu à une question posée par La Gazette du Maroc selon laquelle le changement du régime en Syrie est-il un des choix de Washington ? La responsable a précisé sans même prendre le temps de réfléchir à la question : "la Syrie est une priorité de nos politiques car elle constitue un obstacle devant le changement en cours" et à Rice de détailler : "les Syriens savent très bien ce qu'ils devraient faire ? Nous continuerons nos pressions tout en gardant le choix militaire au cas où…". La détermination de l'administration Bush à aller jusqu'au bout de son objectif vis-à-vis du régime syrien ne laisse aucun doute. La preuve, son récent refus d'une proposition de médiation européenne avec Damas, à l'instar de celle qui est entreprise avec Téhéran en ce qui concerne le dossier du nucléaire. A cet égard, on apprend de source saoudienne proche du ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, qui avait accompagné le prince héritier, Abdallah ben Abdelaziz, dans sa visite officielle à Paris, que le président français, Jacques Chirac, lui a indiqué que "Washington a depuis longtemps la Syrie et Bachar Al-Assad dans sa ligne de mire. Elle ne semble guère être prête à changer d'avis". Il a même conseillé son invité de marque à tenter d'en savoir plus, lors de sa prochaine rencontre avec George Bush, prévue le 25 avril courant, sur ses intentions concernant les modalités de ce changement qu'il serait plus raisonnable d'intervenir pacifiquement. Car, d'après des informations en possession des Français, les Etats-Unis ont commencé à travers leurs agents en Syrie à jouer les cartes communautaire et ethnique, comme cela fut le cas à la veille de l'invasion de l'Irak. En d'autres termes, Washington n'interviendra pas ouvertement qu'après avoir été assurée que le régime soit ébranlé de l'intérieur. Les cartes de Washington L'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, a incité le président Bush à hausser le ton, d'une manière sans précédent, envers Damas. Ce qu'ont considéré les spécialistes des relations syro-américaines, dont entre autres, l'ex-ambassadeur en Syrie, Edward Djerdjian ainsi que des proches de la Maison-Blanche, comme étant un prélude à l'application de sanctions économiques et diplomatiques dans le but d'isoler ce régime. En revanche, le courant influent au Pentagone et de l'Office de la sécurité nationale, voit dans le durcissement du discours du chef de l'Etat, une probabilité de frappe militaire indirecte menée par Tel-Aviv après avoir reçu le feu vert de Washington. Toutefois, force est de signaler que malgré ces analyses, l'establishment américain doit mettre fin aux divergences existantes entre les services de renseignements et les néo-conservateurs vis-à-vis de la manière selon laquelle il faut traiter le dossier syrien. A cet égard, le conseiller du Comité des renseignements auprès du Congrès, Daniel Payman a expliqué que la CIA préfère garder sa coopération avec les Moukhabarates syriennes en matière de lutte contre le terrorisme. Surtout que ces dernières avaient aidé à capturer des leaders d'Al-Qaïda depuis le 11 septembre 2001 jusqu'à ce jour. Elles ont, en plus, neutralisé les plans d'attaques contre l'ambassade américaine au Canada, la base marine à Bahrein. Par contre, les faucons de l'administration Bush estiment qu'il est opportun de finir avec ce régime qui manœuvre depuis quatre ans, renforce son alliance avec Ankara, et joue sur le clavier irakien. Dans ce contexte, on apprend que ce courant a finalement réussi à convaincre Bush de rassembler les cartes syriennes aussi bien interne qu'externe. Pour ce qui est des premières, les Etats-Unis ont pris contact avec l'organisation des Frères musulmans dont près de 15 mille membres ont été exécutés par le régime de Hafez Al-Assad, suite aux émeutes de la ville de Hama, à la fin des années 70. Cette première force d'opposition (sunnite) du pays, avec qui le pouvoir actuel en Syrie tente en vain d'ouvrir un dialogue de circonstances, hésite toujours à s'engager dans des négociations. Ses leaders résidant à l'étranger, considèrent qu'elles serviront à sauver le régime vivant ses derniers jours. Quant à l'opposition démocratique, formée des partis politiques et des intellectuels persécutés par le Baas et ses Moukhabarates pendant environ 34 ans, elle refuse de composer avec les Américains pour faire sauter le régime. Ces formations rappellent que ce sont ces mêmes Américains qui avaient instauré le pouvoir de Hafez Al-Assad et avaient fermé les yeux sur toutes ses horreurs. D'autant qu'ils n'ont pas confiance dans leurs projets pour la région. Reste la dernière carte : jouer les piliers mécontents du régime. Les services de renseignements américains misent, qu'au moment venu, certains hommes forts, contestataires au sein de l'armée, pourraient soutenir le changement. Ils auront des relais parmi les anciens symboles de la vieille garde aussi bien politique tel que le vice-président, Abdelhalim Khaddam (grand ami de Rafic Hariri, qui était le seul parmi les officiels syriens à recevoir les condoléances avec la famille du défunt ; que militaire, comme le général Ghazi Kenaan, qui a été écarté après l'attentat de Beyrouth de son poste de chef des services de renseignements pour être nommé ministre de l'Intérieur. Un "limogeage" qui a servi à contrôler totalement le pouvoir à travers les hommes du dernier carré composé du Général Assef Chawkat, beau-frère de Bachar Al-Assad, de son frère le colonel-major, Maher Al-Assad, et du général, Bahjat Soleïman, l'homme incontournable des services. Pari sur les défaillances Les Etats-Unis misent également sur les difficultés socio-économiques dont souffre la Syrie et ses populations pour donner le "coup de grâce" au régime de Bachar Al-Assad. Rappelons dans ce contexte, que l'économie syrienne a perdu , en raison de l'occupation de l'Irak, environ 1,5 milliard de $ par an. Des recettes dues aux échanges économiques et aux contrats signés entre les secteurs public et privé de part et d'autre. Dans ce même ordre de paris sur les défaillances socio-économiques, les Américains profitent du net recul du PIB de 8% en 1995 à moins de 2% en 2004. Egalement sur le chômage galopant, accompagné d'une hausse considérable du nombre d'habitants, de 17,5 millions d'individus en 2004 à 22 millions prévus en 2015. Ce, alors que l'Etat n'a fait aucun progrès jusqu'ici pour répondre aux besoins dans ces domaines. A cela s'ajoutent les prévisions affirmant la proche fin de l'ère pétrolière qui avait constitué 35% des revenus en 2001 et 44% en 2004. Ainsi, les Etats-Unis comptent jouer cette carte socio-économique pour accélérer la chute du régime. Face à ces intentions américaines dont le pouvoir en Syrie est conscient de leur gravité, le président Bachar Al-Assad, conseillé par ses proches, tente de trouver une issue de secours à travers de nouvelles alliances régionales, même si cela pourrait être au détriment d'une partie de l'autonomie et des intérêts nationaux. C'est dans cet objectif qu'il s'est retourné vers Ankara, l'ancien adversaire, qu'une guerre a été évitée de justesse au début des années 90. La visite du chef de l'Etat syrien en Turquie, il y a environ deux mois, et celle de son homologue turc à Damas, la semaine dernière, malgré les pressions américaines, montrent que le régime syrien a encore les moyens de résister; et peut-être de sortir indemne de cette épreuve. La Turquie qui s'est vue trahie en Irak par son allié traditionnel, les Etats-Unis. Ces derniers ont renforcé les Kurdes à leurs frontières et n'avaient fait aucune pression sur les Européens concernant son adhésion, ont réalisé que leurs intérêts consistaient à se positionner au sein de ce Grand-Orient, en majorité musulman. D'autant que les intérêts se sont recoupés avec la Syrie et même l'Iran- allié de cette dernière- concernant l'Irak et le danger séparatiste Kurde. De plus, Ankara considère qu'une opération de sauvetage du régime syrien pourrait assurer un retour triomphal des Ottomans après un peu moins d'un siècle dans le monde arabe et de là, ouvrir des marchés de plus de 250 millions de consommateurs en l'an 2010. La décision turque de se rapprocher de la Syrie, défiant ainsi le projet américain, ne vient pas d'un vide. En effet, ses responsables aussi bien politiques que militaires, tiennent en compte les résultats du sondage effectué par la mission du "Fonds Marshall" qui a visité récemment leur pays. Ces sondages montrent que "82% de la population éprouvent un sentiment anti-américain". Ce qui est très significatif dans un pays considéré comme étant un allié de taille à Washington, et membre de l'OTAN. Ce rapprochement qui a dérangé les Américains est-il suffisant pour faire éviter au régime syrien le pire ? A Damas, on fait semblant de minimiser les menaces américaines et de surestimer la naissance d'un axe avec Ankara.