Depuis environ deux mois, les observateurs aussi bien locaux qu'étrangers suivent avec stupéfaction, l'ouverture par le président algérien, de plusieurs fronts à la fois. Ils n'arrivent pas à expliquer la raison de ce besoin, moins encore la nécessité de rappeler aujourd'hui qu'il est désormais le seul maître à bord. Attitude, et positions qui pourraient être, selon les connaisseurs les plus avertis du pays du million de martyres, les seuls moyens de se défendre contre les dangers invisibles. A la veille du premier anniversaire de sa réélection pour un deuxième mandat (8 avril 2004), Abdel Aziz Bouteflika a déclaré que le "verre est plein", et qu'il "ne croit plus à l'esprit révolutionnaire". En réalité, il semble que ce dernier ne supporte plus qu'on lui mette les bâtons dans les roues ; qu'on avorte ses différents projets, politique et socio-économique. En d'autres termes, qu'on le discrédite aux yeux des Algériens et des étrangers. Ces derniers qui s'intéressent de plus en plus à l'avenir de ce pays, riche en ressources matérielle et démographique. Ce message assez ferme vient corroborer avec un autre beaucoup plus fort prononcé, une semaine avant, au Palais des nations devant les participants à la Conférence nationale sur la réforme de la justice. Là, le président avait sorti ses griffes, se montrant menaçant, voire sans pitié à l'égard de ceux qui les considèrent comme étant non seulement ses ennemis mais aussi ceux du peuple. Bouteflika ne s'est pas contenté d'appeler les Algériens à "ne plus obéir aux personnalités riches et influentes". Il est allé encore plus loin en les montrant du doigt ; rappelant ainsi les initiatives prises par feu, le président Mohamed Boudiaf, mort assassiné parce qu'il a, dit-on, ouvert plusieurs fronts en même temps. Dans ce contexte, force est de souligner que l'assistance n'a pas cru très bien entendre ce qu'avait lancé textuellement Bouteflika ; à savoir "l'épée de la loi s'occupera de tous ceux qui ne la respecteront pas dans ce pays". De plus, il s'est attaqué aux "mercenaires de l'information" qui soulèvent l'opinion contre les magistrats. Mais ce qui a le plus surpris les participants à cette conférence, ce sont les propos à l'égard de l'étranger. Dans un coup de fierté nationale rappelant les années 60, le chef de l'Etat algérien a haussé le ton en disant :"nous ne céderons ni aux pressions de nos partenaires européens ni à celles des Américains". Une manière de répondre à tous ses contestataires qui ont tenté de mener les surenchères ces dernières semaines, notamment après le vote par le Parlement du projet de loi portant sur l'ouverture du secteur des hydrocarbures devant l'investissement étranger. Reste à savoir maintenant,quelles sont les raisons qui ont poussé le président algérien à agir de la sorte ? Quels sont également les moyens de cette nouvelle politique en vertu de laquelle il s'est engagé à "nettoyer la société de toutes les formes de corruption et du trafic d'influence" ? Est-ce une anticipation de la part de Bouteflika, cet animal politique qui ressent venir le danger ? Dans tous les cas de figure, il a réussi à jeter plusieurs pavés dans la marre, choisissant le bon timing pour marquer les points face à ses détracteurs et ses adversaires. L'annulation du visa pour les ressortissants marocains fait partie de ces pas franchis jusqu'ici par le chef de l'Etat algérien. Pour mieux se défendre Bien avant le sommet arabe, ce dernier ne rate plus une seule occasion. Il tient à être partout. Il monte au créneau pour prouver qu'il est le numéro 1. Et, qu'il n' y a pas de numéro 2 en Algérie. Coupant ainsi l'herbe sous les pieds de ceux qui incitent certains à s'aventurer et miser sur un cheval autre que lui. Après un mandat et quelque, Bouteflika a fini par maîtriser les règles du jeu. Il lui reste maintenant à tirer toutes les ficelles. C'est ce qu'il est en train de faire aujourd'hui en touchant à tout. C'est ce qui ne s'est pas passé depuis la disparition du feu président Houary Boumediène à la fin des années 70. En effet, après avoir "récupéré", pas complètement certes, la plupart des ailes de l'armée ayant été pour longtemps le "pouvoir réel", le président algérien concentre ses efforts, utilise ses réseaux et ses hommes, pour boucler la boucle et ce, avec, d'abord, la main mise sur l'appareil politique. Le coup d'Etat mené au sein du FLN et sa nomination au poste de président d'honneur, doivent être placés dans ce contexte. Dans ce même ordre d'"hégémonie", nous pouvons dire qu'il est sur le point de décider conjointement avec des alliés fiables au sein de l'establishment algérien, du sort du secteur des hydrocarbures ; notamment, de la poule aux œufs d'or du régime, la société Sonatrach. Cette dernière qui était jusqu'à une date récente en dehors de sa portée. Parallèlement, Bouteflika veut, à tous prix, réaliser au cours de son deuxième mandat, ses chantiers et réformes économiques promises lors de son premier mandat. Il compte mettre rapidement en exécution, son annonce solennelle d'un plan de consolidation de la croissance économique doté d'un budget de 50 milliards de $, étalé sur cinq ans. C'est pour cette raison qu'il est revenu à la charge lors de son discours prononcé, la semaine dernière, lors de la Conférence nationale des cadres de l'Etat. Au cours de cette cérémonie transmise, comme d'ailleurs toutes les autres, sur les chaînes de télévision algérienne, le président a réitéré sa notification du lancement d'un programme quinquennal économique d'un montant de plus de 4.200 milliards de dinars pour la période allant jusqu'en 2009. Il somma le gouvernement à veiller sans retard à l'exécution de ce programme. Pis, il a tenu à observer que les capacités financières "sont et seront disponibles". Cela dit, il aurait voulu montrer, encore une fois, à la population que c'est lui seul qui décide en la matière. Et, de là, lui faire comprendre que ses intérêts sont dorénavant avec lui et pas avec quiconque d'autres au sein du pouvoir. De plus, pour montrer qu'il est conscient des conséquences de la faiblesse de l'investissement étranger et de la réticence des capitaux étrangers, il n'hésita pas à critiquer les retards inacceptables des réformes qui entravent le secteur bancaire et la réalisation du programme de privatisation, remis en cause à plusieurs reprises. Il se demanda pourquoi il y a au minimum 10 milliards de $ dans les banques qui attendent ceux qui veulent travailler avec cet argent. "Une véritable manne financière qui stagne", dit-il. Bouteflika ne s'est pas contenté de cette révélation, il a enfoncé plus le clou en laissant entendre que la "Banque centrale peut mettre cette somme sur le marché avec des taux préférentiels de 3% ou 4%". Ainsi, il s'est assuré l'éventuel rangement d'une catégorie influente de la société, les commercçants et les industriels à ses côtés au cas où il sera confronté à ses ennemis. Et pour montrer qu'il ne reculera pas devant les obstacles et qu'il " coupera des têtes" s'il le fallait, Bouteflika s'est attaqué à la réforme de la justice. Une première en Algérie depuis l'indépendance. En effet, une quarantaine de magistrats sont actuellement sous le coup d'une enquête au niveau de l'inspection générale, alors qu'une vingtaine ont fait déjà l'objet de mesures displinaires. Source de force Le domaine de la politique étrangère reste le point le plus fort chez Abdel Aziz Bouteflika. On ne peut que reconnaître son habileté en la matière. Notamment depuis qu'il avait dirigé la diplomatie algérienne il y a un peu moins de 20 ans . La preuve, il a réussi, à travers ses actions ciblées vis à vis de l'étranger, à ramener son pays au devant de la scène internationale. Sa présence dans toutes les manifestations internationales, des plus petites aux plus grandes, a rendu à l'Algérie sa crédibilité et sa respectabilité en si peu de temps. Il faut lui reconnaître aussi qu'il a su très bien jouer sur le clavier des richesses que possède son pays. Egalement, sur le matelas de réserves en devises qui a ouvert l'appétit des grandes entreprises occidentales. Celles-ci ayant fini par exercer des pressions sur leurs gouvernements afin de faire à l'Algérie de Bouteflika des concessions sur le plan politique que ce dernier a parfaitement exploité pour consolider ses positions ; et, de là, les transformer en instruments de soutien à sa candidature lors des dernières élections présidentielles. Bien qu'il ait choisi une personnalité compétente dans le domaine de politique étrangère, Abdel Aziz Belkhadem, le locataire du palais d'El-Mouradia, demeure le véritable patron de ce ministère. C'est lui qui trace le chemin à suivre, dicte les initiatives à prendre et définit les lignes rouges à ne pas franchir. A la veille du sommet, lors de la dernière réunion pour ficeler les préparatifs, les techniciens ont entendu Bouteflika dire et répéter à l'équipe chargée de l'organisation de cet événement : "je suis le premier responsable dans ce pays et je choisis que ce soit ainsi quitte à assumer toutes les responsabilités découlant de ce choix". La même remarque, mais avec plus de fermeté, a été utilisée lorsque, certains députés du FLN, défenseurs acharnés du Polisario, l'ont interrogé sur l'après annulation des visas sur les ressortissants marocains. Quelques heures après, le président algérien a tenu à soulever publiquement la question de la réouverture des frontières avec le Maroc en déclarant : "nos craintes ne sont pas en direction de nos voisins, mais vis à vis de nous mêmes". Là encore, Bouteflika aurait voulu montrer qu'il est conscient de ce qu'il fait, même s'il est arrivé au point de non retour. Un proche de ce dernier a confié à La Gazette du Maroc, que le président estime qu'il n' y a pas mieux que la conjoncture actuelle pour finir avec tous ceux qui ont "sucer la moelle de l'Algérie et continuent à le faire". De ce fait, il veut associer le maximum de composantes de la société algérienne dans cette bataille. Ce, en sachant qu'il n'a pas toujours et complètement les mains libres. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il n' a pas pu prendre la décision d'ouvrir les frontières avec le Maroc. En tout état de cause, Bouteflika est le mieux placé pour savoir qu'ouvrir plusieurs fronts en même temps dans un pays comme l'Algérie, représente de gros risques à tous les niveaux. L'exemple de Mohamed Boudiaf est toujours vivant. Mais, les temps ont peut-être changés.