La première fois que le Pape Jean Paul II avait été admis à l'hôpital Gemmeli à Rome, on avait cru malicieux de suggérer qu'il jouait un tour aux télévisions mondiales en ne leur offrant pas sa mort, en direct. C'était un peu comme si une star fabriquée par la télévision se dérobait au moment de s'éteindre. Il est vrai que la télévision joue un rôle considérable dans la médiatisation d'un homme ou d'un événement. L'opinion internationale en sait plus sur le tsunami asiatique que la faim dans le monde. Et si le SIDA bénéficie d'une large médiatisation, c'est qu'il touche davantage le tiers-monde et comporte donc des risques de contamination. En revanche, on peut affamer des peuples sans crainte, car la faim n'est ni contagieuse, ni transmissible. Le Pape Jean-Paul II, depuis son élection, a utilisé massivement la télévision, avec beaucoup d'adresse parce qu'ancien journaliste. Il ne savait pas que la télévision est une arme à double tranchant. Tant qu'il était en bonne santé, il offrait des shows qu'aucune super star ne pouvait réaliser. Pourtant, sans le secours de sonorisations sophistiquées, ni matériel d'éclairage up to date, ni machinerie d'aucune sorte. Micro et hauts parleurs suffisaient. Puis sa santé commençait à décliner, comme pour tout être humain. Quand la maladie de Parkinson était apparue et s'était aggravée, de son fait, ayant refusé des traitements efficaces mais aux effets secondaires qui pouvaient être gênants –comme de faire un geste brusque devant témoins- le show devenait de plus en plus pénible, alors que les déplacements en pape mobile pour des raisons de sécurité étaient plutôt pittoresques et assurément télégéniques. Bien que la maladie gagnait du terrain, la télévision était quand même convoquée. Par lui-même ou par l'entourage, la question n'est pas tranchée. Il est vrai que durant son règne, il a nommé de nombreux évêques polonais -garde rapprochée, formée de compatriotes- qui joueront probablement un rôle significatif lors du conclave qui élira le nouveau pape. La télévision n'ayant pas eu le privilège de filmer en direct la mort du Pape, celui-ci lui a offert, mieux et davantage, son agonie à suspens. Après une guérison aléatoire, le Souverain pontife avait été contraint de retourner à l'hôpital, son état allant de mal en pis. Le Pape est effectivement un Souverain -autoritaire; le Vatican est son Etat, avec ministres et de nombreux ambassadeurs à l'étranger. Outre toutes les maladies dont il souffrait, il a dû affronter de graves problèmes respiratoires qui ont nécessité une trachéotomie et la pose d'une canule pour l'aider à respirer, mais qui le faisait horriblement souffrir. La télévision était toujours là, aux aguets, regrettant probablement de ne pas être au chevet du malade, comme pour lui dire : "vous m'avez voulu dès le début, vous m'aurez jusqu'à la fin". De temps à autre, le Pape, assis dans un fauteuil à roulettes, était poussé vers une fenêtre pour célébrer une messe ou bénir ses fidèles stationnés dans la rue. Le moment le plus pénible pour les Catholiques comme pour les non-chrétiens, c'est quand, au lieu de paroles, il avait émis un rôle déchirant. Pleurs et applaudissements dans l'assistance. Les caméras n'ont pas perdu une miette de la scène et se sont même offert des zooms. Certains observateurs catholiques ont affirmé que le Pape tenait à faire son "chemin de croix". Mais, d'après les références catholiques, Jésus Christ / Sidna Aïssa) a fait son chemin de croix avec une couronne d'épines, sous la torture et les crachats pour finir crucifié. Quant au Pape, son "chemin de croix" s'était fait en jets, dans des appartements luxueux, et durant sa maladie a reçu les meilleurs soins administrés par les plus grands praticiens. Le Pape s'était construit une personnalité de dimension internationale en effectuant de multiples voyages à travers le monde, sans pourtant faire avancer l'église, constatent des Catholiques de progrès puisqu'une femme qui souffre ne peut avorter, et le préservatif est toujours prohibé alors que le sida progresse. Le mariage à l'église ne peut être rompu. On rappelle que Caroline de Monaco, pour divorcer de son premier mari, avait dû fournir une attestation de non "consommation" du mariage. Certes, plusieurs chefs d'Etat de pays riches ont assisté aux funérailles. Ils lui ont rendu un dernier hommage, mais c'était aussi pour manifester leur reconnaissance à celui qui a puissamment contribué à démolir non le mur de Sharon mais celui de Berlin, offrant ainsi le monde aux Etats-Unis, et livrant tous les pays à l'hyper libéralisme générateur de pauvreté et de misère. Par ailleurs, on peut se demander si l'acharnement thérapeutique subi par le Pape n'est pas le fruit de luttes d'entre factions que connaissent tous les Etats où se pose le problème d'une succession. Pour être évêque, on n'en est pas moins homme. Et le pouvoir a tant d'attraits.