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Un cocktail explosif
Publié dans La Gazette du Maroc le 21 - 03 - 2005


Ordures ménagères et industrielles
Le rapport élaboré par un cabinet d'experts en déchets pointe du doigt les décharges les plus explosives, relève leur danger pour la santé et la nature et met enfin en cause les insuffisances d'une législation obsolète.
En voulant voyager vers le Maroc, voilà ce qu'un touriste peut apprendre: “C'est fou ce que les paysages marocains peuvent être pollués. La négligence et le manque d'informations en sont la cause. Les Marocains ont pris l'habitude de jeter n'importe où tout ce qui les embarrasse. Le résultat est consternant : les décharges publiques sont des dépotoirs écœurants à proximité des localités, les plages en cours de saison sont pour la plupart très sales…”. L' auteur de ce pamphlet n'est autre que le guide du Routard. Les adeptes de cette publication, malgré ses approximations, se comptent par millions dans le monde ce qui la positionne comme une référence en la matière.
Avant de venir donc, les touristes apprennent qu'il faut se méfier de nos décharges publiques. Et s'ils font fi de cette mise en garde, au premier virage de l'aéroport Mohammed V, ils seront pris à la gorge par une odeur pestilentielle. A quelques encablures de l'aéroport, la décharge géante de Médiouna pointe du nez. Elle dégage tout ce que recèle cette poubelle géante comme désagréments pour les yeux, les poumons, la santé et d'une manière générale l'environnement. Aujourd'hui, le dossier particulièrement explosif des décharges publiques donne des cheveux blancs à tous les intervenants du secteur : communes, ministères de l'Environnement et de l'Intérieur. Le cabinet d'experts en déchets, Ségu, qui travaille dans le secteur avec des opérateurs marocains et étrangers, a été chargé d'élaborer un rapport. Mieux, il a été sommé de rendre sa copie au plus vite, de manière à permettre aux collectivités locales et à la communauté urbaine de Casablanca de mettre fin à l'anarchie qui prévaut dans la gestion des déchets. Mustapha Brakez, l'expert en déchets qui dirige le cabinet Segu, auteur du rapport, pense qu'aujourd'hui, “il est plus qu'impératif de considérer la gestion des déchets comme une urgence du moment qu'on ne peut fermer les yeux sur l'impact des grandes décharges sur l'environnement et la santé des populations”.
Le rapport qui passe au crible toute la chaîne de la pollution montre que celle-ci est jonchée d'anomalies. En amont, la liste des irresponsables est longue : le législateur a oublié de légiférer, les autorités observent le silence, les élus sont mal informés et le citoyen fait preuve d'un manque de civisme patent. Le ratio quantité de déchets produite par citoyen avoisine les 2% par an. Le rapport dresse un état des lieux plus qu'alarmant. Ainsi, “tous les grands centres urbains et les zones industrielles souffrent d'un ramassage incomplet (le taux n'atteint jamais 100% des déchets produits), d'un matériel de collecte et de réception des déchets inadapté et en très mauvais état, d'un personnel peu formé, trop nombreux, non motivé et mal encadré, des sites de traitement mal situés, mal conçus, sous-équipés et mal exploités”. Conséquence : les villes sont sales et polluées par de nombreux dépôts sauvages quand il ne s'agit pas de décharges situées en plein centre; les zones industrielles sont polluantes et échappe à tout contrôle. D'un point de vue écologique, les sites de traitement se révèlent des zones de concentration de la pollution avant de la rediffuser dans le sol (infiltration de lixiviats) et dans l'air (incendie, brûlages permanents de matières plus ou moins toxiques) voire même auprès des humains et des animaux (accès non contrôlés). A tout cela il faut ajouter la part de coût non visible et la plus importante, à savoir: la dégradation constante de l'environnement, la pollution urbaine, la création de germes pathogènes, la pollution générale de l'eau et de l'air, et les maladies qui en découlent. Toutes ces nuisances ont un coût qui forme la part sociale et environnementale du coût global induit par le traitement inadéquat de la masse des déchets.
S'il est vrai qu'il reste difficile de mesurer les interactions, entre les polluants dégagés par les décharges et un certain nombre d'indicateurs de mortalité et de morbidité, il n'en reste pas moins que la plupart des spécialistes interrogés s'accordent à dire que les gaz comme les particules fines en suspension ou la dioxine sont responsables entre autres d'une grande partie des consultations pour infections respiratoires, conjonctivites et autres allergies. Le méthane est produit par la décomposition de la matière organique dans des conditions d'anaérobiose. Du CO2 est également produit en grande quantité dans les décharges. Entrent en jeu également les émissions de N2O sans compter l'effet hautement cancérigène de la dioxine.
En fait, très peu de décharges publiques sont équipées de système d'étanchéité et de récupération des eaux de pluie (lixiviats) qui, s'écoulant à travers ces déchets, polluent les nappes phréatiques. De même, pratiquement aucune de ces décharges ne dispose de collecteurs de biogaz. Ceci à l'exception de trois cas, Berkane, Essaouira et Fès qui ont déjà une décharge moderne traitant le lixiviat. Les déchets en décomposition produisent aussi deux gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone ainsi que le méthane, gaz invisible, inodore et hautement inflammable. Ainsi, l'air est rempli de matières cancérigènes, traînées par les vents et arrosant les résidents dans un rayon qui peut aller au-delà de 50 kilomètres autour de la décharge. Les effets sur l'homme et la nature sont donc bien plus dangereux que toutes les industries polluantes réunies.
L'après collecte
L'analyse de la situation dans l'ensemble des villes marocaines a démonté que la grande majorité des collectivités locales se débarrasse de ses déchets sans se soucier de l'après collecte. Les usines de traitement des ordures ménagères (UTOM), réalisées dans 5 villes marocaines, entre 1964 et 1980, ont toutes été contraintes de mettre la clé sous le paillasson en raison de l'inadaptation de la technologie aux spécificités des déchets marocains et du manque d'intérêt des agriculteurs pour le compost produit par ces usines.
Plus grave encore, les décharges publiques qui sont installées sur des terrains communaux (souvent d'anciennes carrières désaffectées), présentent les caractéristiques de décharges sauvages (absence de clôture, de voies de circulation, de gardiennage, aucune précaution pour éviter la pollution des eaux souterraines par infiltration ; aucune étude d'impact sur l'environnement; aucune exploitation) d'où les conséquences nuisibles que l'on sait. Enfin, les procédés classiques d'incinération ne sont pas adaptés aux déchets marocains en raison de leur forte humidité (60 à 70 % : prédominance des matières organiques) et de leur faible pouvoir calorifique (900 à 1000 kcal/kg : faible teneur en matières combustibles et emballages).
Sur le plan politique, les experts ne voient pas d'autre alternative que l'éventuelle privatisation, ou plus exactement la délégation partielle et temporaire de la gestion des déchets au secteur privé.
Au vu de la situation actuelle, les résultats, des moyens et des besoins, le pragmatisme le plus élémentaire recommande effectivement de faire appel au secteur privé. Mais encore une fois, “il est urgent de créer le cadre juridique complet qui permette cette mise en place en modernisant la procédure relative aux appels d'offres et aux marchés passés avec des entreprises nationales ou étrangères pour s'adapter au mieux à ce type d'exécution du service”, plaide le rapport du Cabinet Ségu. S'il est essentiel pour résoudre rapidement l'ensemble des problèmes qui se posent et ne font que croître le besoin de se tourner vers l'initiative privée, il doit par contre impérativement rester à l'initiative publique : le pouvoir de décider et de déléguer le choix de l'opérateur sur des critères objectifs de moyens et de résultats, le contrôle régulier des prestations, l'application des sanctions et pénalités éventuelles et enfin l'administration contractuelle et financière.
L'expérience de Mohammedia et de Casablanca récente en la matière est intéressante à plus d'un égard puisque depuis que la gestion et la collecte des déchets a été confiée à des opérateurs privés, une nette amélioration du service et une propreté remarquable dans toutes les artères de la ville a été constatée. Contrairement à ce que proposent de nombreuses entreprises peu fiables, les solutions ne viennent pas de procédés techniques miracles importés clés en main, mais d'une organisation, d'une méthodologie rigoureuse et d'un financement adapté.
Le cabinet conseille aujourd'hui de se donner les moyens de créer, ville par ville, des systèmes complets de traitement des déchets, avec les budgets et les moyens de contrôle.
Au jour le jour, le Maroc devra faire face à de graves problèmes inhérents à la mauvaise gestion des déchets, dont une grosse partie se retrouve dans la nature. Conséquence d‘un taux d'urbanisation estimé à 55, 2% et une croissance démographique galopante dans les villes moyennes, la tendance est à la hausse. Le Maroc produit un peu plus de 20.000 tonnes de déchets par jour. Les ordures ménagères représentent 17.800 tonnes, dont 69% sont produites en milieu urbain et une grande partie est déversée dans la nature. Une situation qui cause un préjudice pour l'environnement. Au total, selon un rapport de la Banque mondiale, le prix de mauvaise gestion des déchets au Maroc a été estimé en 2000 à près de 1,7 milliard de dirhams, soit 0,5% du PIB.
Aujourd'hui, alors même que la préservation de l'environnement est intimement liée aux questions de la santé publique, alors même que le principe de précaution est souvent mis en avant pour justifier des décisions parfois radicales, les spécialistes s'accordent pour tirer la sonnette d'alarme. Le chemin qui sépare le Maroc d'une véritable prise de conscience des enjeux liés à une gestion raisonnable et durable de nos déchets est encore long. Les spécia-listes insistent sur l'urgence d'intervenir et de définir des priorités sur ce dossier pour préserver notre avenir. Ils préconisent entre autres, la création d'une législation spécifique permettant d'identifier, de traiter et de financer le secteur, la mise au point des règles de fonctionnement tant administratives que budgétaires et comptables au niveau des communes et communautés, spécifiques au service et enfin le regroupement d'entités administratives et les transferts de compétence pour une meilleure efficacité de gestion. Sinon, la facture risque d'être encore plus salée si le dossier hautement explosif des décharges publiques n'est pas l'objet d'une prise en charge politique, administrative et financière immédiate.


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