John Waterbury et le commandeur des croyants Devenu depuis sa parution au milieu des années 60 un livre culte, “le Commandeur des croyants” de John Waterbury continue d'animer les esprits. Son auteur, venu au Maroc la semaine dernière, l'a recontextualisé pour plus de visibilité. Le point. “Je ne pensais jamais, il y a quarante ans, qu'un jour j'aurai l'occasion de rencontrer un public marocain dans une université marocaine”. John Waterbury, le célèbre et non moins banni auteur du célèbre “Le commandeur des croyants”, a été l'invité de marque, la semaine dernière, à la faculté des sciences économiques à Rabat. Un moment de retrouvailles et de réflexion qui a passé en revue la vie tumultueuse d'un auteur, certes. Mais aussi du livre lui-même. Devenu un livre culte pour une génération entière du Maroc moderne, il a façonné notre propre regard sur nous-mêmes. Qu'en reste-t-il, effectivement ? L'auteur reconnaît des faiblesses, sinon des carences. Mais rappelle, non sans malice, que le système marocain “que je ne voulais nullement qualifier de tribal est un système segmentaire”. Pour deux raisons, qu'il est très difficile de rejeter en bloc. D'abord, l'identité des acteurs politiques, individuels ou collectifs est situationnelle. De quoi s'agit-il ? “Si la situation change, mon identité change”. D'où le constat, d'une grande actualité : “la classe politique accepte facilement l'ambiguïté”. Ensuite, “on évite souvent de faire des choix exclusifs”. Au-delà de ces caractéristiques, qui semblent avoir la peau dure, le “commandeur des croyants” devenu l'évangile de l'opposition et des académiciens à la fois, a été l'objet d'une certaine réappropriation. Selon M. Tozy, lui-même chercheur éminent et auteur de “la monarchie et l'Islam politique du Maroc”, c'est là “un moment stratégique”. Depuis la publication du livre en 1967, le Maroc a assisté à un basculement de la politique vers le champ religieux. Pour d'autres jeunes chercheurs qui ont participé à la présentation du livre ce lundi 10 janvier, beaucoup d'eau a coulé depuis ce temps-là. Le livre selon eux a péché par ses “préjugés archétypiques qui ont influencé les choix de l'auteur”. Entre autres : négligence de la dynamique et l'intéraction entre les groupes sociaux. La mystification d'un système politique qui, certes a son histoire propre, mais n'en constitue pas moins un système comme les autres. A plusieurs reprises, la lecture d'Hassan Tariq, Fadma Aït Mous, N. Moumni ou Mustapha Khalfi ont mis en équation la pertinence du “modèle Waterbury”. Reconnaissant l'existence de lacunes éventuelles, l'auteur a, par ailleurs, recontextualisé son œuvre “pour plus de lisibilité et visibilité”. En clair : le régime marocain était très différent des Etats issus des “guerres révolutionnaires” ou paysannes, la monarchie arbitre et pièce maîtresse n'avait pas de prétention révolutionnaire et ne “tentait pas d'homogénéiser les classes et les acteurs”. D'où la spécificité. Mais également la passion avec laquelle J. Waterbury a travaillé. Quel regard jette-t-il sur le Maroc actuel ? La réponse tombe comme un couperet. “Franchement, je ne suis plus dans le coup”. Plus encore : “il serait irresponsable de tenter une comparaison”. Le signe implicite, que les choses ont beaucoup changé.