Escalade sur le nucléaire en Iran Les responsables iraniens sont désormais conscients que l'Administration Bush II a déjà pris sa décision de mener sa 3ème croisade contre leur régime. Les déclarations du Secrétaire d'Etat sortant, Colin Powell, étaient directes et claires dans ce sens. Ce qui a incité Téhéran à brandir la menace de revenir sur la suspension de son programme d'enrichissement de l'uranium, négociée avec l'Europe... et de mobiliser ses Gardes révolutionnaires. Lors de sa rencontre, jeudi dernier, avec cheikh Naïm Kassem, un des leaders du Hezbollah libanais en visite à Téhéran, le président iranien Mohamed Khatami a indiqué à son interlocuteur que quels que soient les résultats des tractations avec l'Europe concernant le nucléaire, la République islamique et non la Corée du Nord, sera le prochain objectif des Américains. Et à Khatami, le modéré, de poursuivre : “nous ne sommes pas Saddam Hussein et notre régime n'est pas le Baas”. En effet, depuis mercredi dernier, la tension monte chaque jour d'un cran entre l'Iran, d'une part, et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et l'Union européenne, de l'autre. Notamment, après que les Iraniens aient constaté que les Etats-Unis ne prennent pas en compte le poids des Européens, et qu'ils laissent entendre à nouveau qu'ils ne laisseront pas l'“Etat voyou” du Moyen-Orient, qui soutient toujours le terrorisme, aller plus loin dans l'achèvement de son programme nucléaire. L'échec d'une réunion organisée par les Egyptiens en marge du congrès de Charm al-Cheikh sur l'Irak entre Powell et son homologue iranien, Kamal Kharrazi, est la preuve que le danger d'une éventuelle confrontation n'est pas écarté. Tous les indices de ces derniers jours affirment qu'une crise est en train de s'installer entre l'Iran et l'AIEA. Le directeur de cette institution, Mohamed al-Baradeï qui, une semaine auparavant saluait les initiatives prises par Téhéran pour suspendre son programme d'enrichissement de l'uranium, revient à nouveau à la charge pour donner un ultimatum au gouvernement iranien pour respecter ses engagements pris avec les Européens. Sur le terrain, conservateurs et réformateurs iraniens mobilisent leurs partisans afin de se préparer à faire face aux menaces affichées par le “Grand Satan”. Aux frontières avec l'Irak, les observateurs remarquent des mouvements de troupes de l'armée et des Pasdarans. Message pour faire comprendre à Washington que la République islamique a une forte capacité de nuisance au cas où on tenterait d'exercer une quelconque pression sur elle. Cette réaction militaire explicite est intervenue, dit-on, après que les Américains aient poussé les “Moujahidines du Peuple” de Mariam Rajaoui, basés non loin des frontières, à faire mouvement. Ce qui rappelle aux Iraniens le mauvais vieux temps de Saddam Hussein, où celui-ci utilisait ces opposants iraniens pour déstabiliser leur régime. Ce constat alarmant prouve-t-il que la partie iranienne est d'ores et déjà placée dans la ligne de mire des stratèges militaires du Pentagone ou bien y a -t-il encore des chances pour éviter la catastrophe ? Dans les pays arabes, alliés des Etats-Unis, on affirme que la décision américaine est prise et on n'attend que le bon timing. Car il est inconcevable pour l'administration Bush de laisser le régime iranien jouer le moindre rôle en Irak après l'organisation des prochaines élections prévues en fin janvier 2005. Jouer dans le temps perdu Le temps perdu entre le départ de Colin Powell et l'arrivée de Condoleeza Rice n'est pas vraiment ni complètement perdu. La preuve, il a été amplement comblé par le ministre démissionnaire devenu du jour au lendemain un faucon. En effet, Powell a accusé l'Iran de développer ses capacités militaires en fabriquant des missiles capables de porter des têtes nucléaires. Les déclarations de ce responsable laissent comprendre que Téhéran est sur le point de franchir les lignes rouges pour menacer l'Europe, Israël et certains intérêts américains dans la région. Le plus inquiétant, c'est que ces propos ont coïncidé avec un climat régional très tendu. Cela dit, il ne reste plus, le cas échéant, qu'à fixer le jour “J” pour déclencher la nouvelle guerre contre l'Iran. Ce dernier, qui réalise la gravité de la situation, décide de manœuvrer et de jouer dans le temps perdu. Ce, même s'il est contraint de se mettre à dos les Européens et l'Agence internationale de l'énergie atomique. Cette volte-face, bien calculée certes par les Iraniens, risque toutefois de perturber les différents centres de décision sur le plan du pouvoir. Mais, il semble qu'il n'y ait pas d'autres choix ; surtout après que Colin Powell ait jeté le pavé dans la mare, négligeant l'aboutissement des négociations avec les Européens. Ces derniers n'ont pas réagi comme il le fallait pour atténuer les inquiétudes des Iraniens. D'après le porte-parole du gouvernement, Abdallah Ramezanzadeh, la troïka européenne, formée de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne, sera incapable de barrer la route aux Américains qui sont déterminés à transférer le dossier au Conseil de sécurité. Et, de là, forcer la main de ses membres pour voter des résolutions punissant l'Iran. Dans cette foulée, force est de souligner que les déclarations de Powell ne tiennent pas du hasard ni qu'elles émanent d'un coup de tête de la part d'un haut responsable démissionnaire. Elles reflètent la tendance de la nouvelle administration. Si Powell la colombe a montré une telle agressivité, quelle sera donc l'attitude de Rice la plus pure et dure à l'égard de ce sujet ? Ou bien de John Bolton, le responsable du dossier des armements auprès du ministère des Affaires étrangères qui s'apprête à monter l'échelle du pouvoir aux Etats-Unis dans les prochains mois. Ce même Bolton qui véhiculait durant les quatre dernières années, tambours battants, l'idée d'anticiper sur une frappe dissuasive contre l'Iran avant que celui-ci ne réalise son programme nucléaire. Les prochaines semaines seront décisives. D'ores et déjà, les Américains et certains Européens parlent de l'échec des efforts diplomatiques déployés jusqu'ici et qu'il ne reste plus qu'une frappe militaire pour ramener l'Iran à la raison. Un travail qui pourrait être effectué par l'Etat hébreu au cas où les Etats-Unis préféreraient ne pas s'impliquer dans deux guerres dans la région en même temps. D'ailleurs, Tel-Aviv n'a cessé depuis plus de deux ans de convaincre George Bush de déclencher la guerre contre l'Iran, en lui proposant ses services. Les Israéliens misent sur “leurs” nouveaux faucons dans l'administration Bush. Ces derniers déclarent quasi-quotidiennement que Téhéran a réussi à isoler les Etats-Unis et Israël et bluffer le monde entier. Et qu'il n'y a rien à espérer ni des alliés européens ni des institutions internationales. De plus, les Ayatollah veulent répéter les mêmes scénaris pour contourner les sanctions onusiennes. De ce fait, les observateurs aussi bien à Téhéran qu'à Bruxelles estiment que les préparatifs pour une frappe militaire américano-israélienne sont déjà en place. Il ne restera que le timing qui, dit-on, sera nécessairement établi après l'avancée de Washington dans le déblocage de la “Feuille de route”. Car si les Etats-Unis réussissent à relancer ce processus et organiser les élections en Irak, leur tâche guerrière contre la République islamique sera plus facile.