Déchets toxiques Sur l'ensemble du territoire du Royaume - comme ailleurs en Afrique et dans le monde - des tonnes de pesticides périmés laissés à l'abandon représentent un grave danger pour la santé des populations et l'environnement. Dans le cadre d'un programme d'envergure internationale, le gouvernement marocain s'engage à y faire le ménage. L'odeur est insoutenable, elle vous prend à la gorge et vous empêche de respirer. Certains résidents d'Aïn Chegag, ville de 15.000 âmes située à 25 kilomètres au sud de Fès, s'en plaignent depuis des années. Cette odeur, c'est celle des quelque 2.100 litres de pesticides périmés entreposés au centre de Travaux agricoles (CT) installé aux abords d'un quartier résidentiel. “Si vous cherchez aujourd'hui, vous en trouverez beaucoup moins”, affirme Mohammed Lahkin Bennani, ingénieur au CT. C'est que les produits en question se trouvent dans des fûts tellement corrodés qu'ils laissent s'écouler leur contenu. “Heureusement, ici la nappe phréatique est à une profondeur de plus de 70 mètres”, explique M'hamed Hraoui, ingénieur agronome au CT d'Aïn Chegag. “Sinon, ce serait la pagaille, une vraie bombe atomique”. Ahmed Smaili, chef du service de la Protection des végétaux à Fès, explique que dans des conditions d'entreposage idéales, les pesticides ont une durée de vie maximale d'environ trois ans. Or, 90 pour cent des pesticides entreposés à Aïn Chegag on été achetés avant 1991. Si le cas d'Aïn Chegag est particulièrement préoccupant à cause de la proximité d'immeubles résidentiels, des problèmes similaires existent dans toutes les régions du Maroc. “La situation des pesticides obsolètes au Maroc est grave, comme dans les autres pays africains et dans les pays en développement en général”, explique Mark Davis, coordonnateur et conseiller technique en chef du programme des pesticides obsolètes de la FAO. “En ce moment, nous estimons qu'il y a 870 tonnes de pesticides obsolètes au Maroc”, précise-t-il. M'hamed Bensouda, directeur provincial de l'Agriculture pour la région de Sefrou explique que les pesticides entreposés à Aïn Chegag - comme dans plusieurs autres centres régionaux - se sont accumulés suite à des achats effectués au fil des années dans le cadre de programmes de vulgarisation auprès des agriculteurs. Le ministère de l'Agriculture prévoyait à l'époque de fournir les produits gratuitement aux producteurs agricoles pour promouvoir leur utilisation. En raison d'une certaine réticence de la part des agriculteurs, plusieurs centres de travaux agricoles se retrouvent aujourd'hui avec une quantité considérable de pesticides devenus inutilisables. “Ils sont là comme une gangrène, on ne peut ni les utiliser, ni s'en débarrasser”, explique M. Bensouda, ajoutant que les achats de pesticides sont aujourd'hui gérés plus efficacement. “Il y a eu une nette amélioration”, dit-il, “on ne peut plus se permettre d'acheter des pesticides, d'en utiliser une partie et de rester pris avec le reste”. La lutte anti-acridienne engendre elle aussi un sérieux problème d'accumulation de pesticides. Pour être en mesure de se défendre contre une invasion de criquets pèlerins telle que la connaissent actuellement plusieurs états d'Afrique du Nord, les gouvernements doivent disposer de réserves suffisantes de pesticides dont ils pourraient avoir besoin rapidement si une urgence se présentait. Or, ces produits ont une durée de vie de quelques années seulement, après quoi - bien que demeurant hautement toxiques - ils perdent leur efficacité. “La plupart du temps, les emballages sont en mauvais état”, explique Rajae Chafil, directrice de la Surveillance et de la Prévention des Risques au secrétariat d'Etat chargé de l'environnement. “Cela entraîne des risques d'émanation de gaz toxiques, de contamination de la nappe phréatique, et pose bien sûr des dangers pour la santé des gens qui les manipulent”. Selon le Centre Antipoison du Maroc, les pesticides constituent la deuxième cause d'intoxication au pays. De 1995 à 1999, on a enregistré un total de 2179 cas, dont près de trois pour cent mortels. Mme Chafil explique que le Gouvernement marocain hésite pour le moment à se prononcer sur la quantité de pesticides périmés présents en sol marocain, puisqu'un inventaire complet au niveau national doit d'abord être entrepris. Il s'agira d'ailleurs de l'une des premières étapes devant être réalisées dans le cadre du Programme africain relatif aux stocks de pesticides obsolètes (PASP). Un effort international Le PASP - qui doit démarrer cet automne - est un programme visant à débarrasser tous les pays africains de leurs stocks actuels de pesticides périmés et qui coordonne les efforts de plus d'une dizaine d'intervenants dont l'Union Africaine, la Banque mondiale, l'Organisation des Nations Unis pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Fonds pour l'environnement mondial (FEM). Le programme veillera aussi à l'établissement de mesures préventives pour éviter la récurrence du problème. Bien qu'il soit impossible pour l'instant d'établir la quantité exacte de pesticides obsolètes au Maroc, le gouvernement affirme que des réserves sont présentes sur l'ensemble du territoire du royaume. “Nous comptons beaucoup sur le PASP pour apprendre à éviter l'accumulation de stocks dans le futur”, explique Mme Chafil. “Le projet s'étendra sur au moins trois ans, si ce n'est pas plus”. Une fois que la totalité des stocks de pesticides sur le territoire marocain auront été inventoriés, ceux-ci devront être emballés de façon sécuritaire, puis envoyés à l'étranger où ils pourront être détruits dans des installations appropriées - des incinérateurs spécialisés par exemple. De telles installations ne sont actuellement pas disponibles sur le continent africain.La mise en branle d'une telle opération implique évidemment des dépenses significatives, et le budget actuel du PASP alloué au Maroc est 4,5 millions d'euros. “Je crois justement que le coût est aussi élevé parce qu'on a attendu tellement longtemps avant d'agir”, affirme Mme Chafil. “Le coût sera moindre si vous gérez au fur et à mesure toutes vos petites quantités de pesticides périmés”. Des changements à long terme Mme Chafil soutient que l'un des grands obstacles à surmonter demeure le besoin de sensibiliser les populations au problème, plus précisément les gens qui manipulent les pesticides. “Les défis au niveau de la sensibilisation et la communication sont toujours les mêmes quel que soit le sujet. Il s'agit de changer les habitudes”, affirme-t-elle. “En général, les gens qui travaillent avec les pesticides dans les pays en développement ne sont pas bien entraînés et n'ont pas - ou n'utilisent pas - d'équipement protecteur”, explique M. Davis. “Il en résulte une contamination sérieuse de l'environnement, ainsi que des travailleurs”, ajoute-t-il. Bien que certains impacts de ces produits chimiques sur la santé soient immédiats, leurs effets sont encore mal connus et peuvent entraîner des complications à long terme. Des sessions d'information et de sensibilisation seront organisées dans le cadre du PASP et impliqueront agriculteurs, revendeurs et membres des services de santé marocains. “Nous sommes conscients que cela ne résoudra pas de façon radicale et immédiate le problème”, confie Mme Chafil. “C'est un processus qui prendra du temps”. Pour se qualifier dans le cadre du PSAP, les pays doivent avoir ratifié la Convention de Stockholm de 2001 - un accord qui garantit leur volonté de détruire les produits chimiques obsolètes les plus nocifs, désignés sous le nom de polluants organiques persistants, ou POP. Jusqu'à présent, environ 20 des 53 nations africaines ont ratifié la Convention, en compagnie de la majorité de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Les Etats-Unis, l'Angleterre, la Grèce, l'Italie et la Pologne comptent parmi les grands absents. Le Maroc, quant à lui, fait partie des sept premiers pays à bénéficier de la première partie du projet. Vivre à Aïn Chegag Les résidents d'Aïn Chegag pourront-ils bientôt respirer en paix? Ça reste à voir, puisque jusqu'à présent, les gens qui habitent près du centre de travaux agricoles d'Aïn Chegag ont dû s'en remettre à leurs propres moyens pour contrôler des odeurs devenues insupportables. Depuis plusieurs années, des vapeurs toxiques émanent d'un entrepôt où sont stockés, dans des conditions médiocres, plus de 2.000 litres de pesticides périmés. Développement urbain oblige, des immeubles résidentiels se trouvent aujourd'hui à moins de 50 mètres du dépôt. Selon le magasinier responsable de l'entrepôt, certains résidents - dont plusieurs enfants - auraient été hospitalisés à cause de problèmes respiratoires. Attendant déjà depuis trop longtemps une réaction de la part des autorités gouvernementales suite au dépôt d'une pétition signée par bon nombre des résidents du quartier, ces derniers ont décidé de mettre en œuvre une solution temporaire. Ils se sont donc cotisés pour financer la construction et l'installation d'une porte afin de clore de façon hermétique la pièce renfermant les produits toxiques. Ils ont, de plus, colmaté les fenêtres de la pièce avec du béton. “La politique de l'administration, c'est d'aérer”, explique Mohammed Lahkim Bennani, ingénieur au centre de travaux agricoles, ajoutant qu'aucun budget n'était disponible pour solutionner le problème.