En prévision du 5ème congrès du PJD A quelques jours de la tenue de son cinquième congrès, le parti de la Justice et du développement se trouve confronté à des problématiques assez délicates. En dépit du calme apparent et de la sérénité affichée, notamment après la clôture des travaux de son conseil national, beaucoup de questions politiques et idéologiques majeures s'imposeront aux congressistes. C'est dans ce sillage qu'intervient la démission du Docteur El Khatib et de son compagnon Al Wokouty, l'insistance sur le référentiel islamique et la mise sur selle de la problématique constitutionnelle. A peine les travaux du Conseil national du parti de la justice et du développement (PJD) se sont terminés et que les dernières touches ont été apportées pour l'organisation du cinquième congrès entre le 9 et le 11 avril courant, que l'avocat et non moins membre de la direction de ce parti, Mustafa Erramid publie un pamphlet traitant de la question de l'édification constitutionnelle. Le membre du secrétariat général du PJD et ex-président de son groupe à la Chambre des représentants a, ainsi, mis au devant de la scène ce qu'il considère comme une problématique primordiale pour définir la relation entre l'Islam, la Monarchie et la démocratie. Au-delà de la formule, qui utilise le triptyque de l'identité marocaine, le plus important dans les propos d'Erramid demeure le facteur temps. En effet, son article a coïncidé avec la fin des travaux du Conseil national qui n'a pas traité ni débattu de la question constitutionnelle. Ainsi, Erramid comptait exprimer sa différence à la veille du congrès. De l'avis de nombreux observateurs, cette initiative tend à faire pression sur les instances pour imposer le débat autour de sa thèse. D'ailleurs, l'histoire des congrès des partis a toujours révélé que les documents officieux enflamment les débats et contribuent, souvent, à envenimer l'atmosphère. Dans son pamphlet, Erramid appelle à ce que “la Chariâa islamique soit l'unique source législative, ce qui signifie que tout texte la contredisant doit être considéré comme caduc”. Il tient à ajouter que les “prérogatives du Roi” tant sur le plan législatif qu'exécutif posent, au niveau de la pratique, un certain nombre de problèmes et même des embarras liés à la nature de l'exercice du pouvoir. Par conséquent, estime-t-il, il est devenu urgent de résoudre cette problématique et mettre fin aux embarras. Pour ce, le dirigeant du PJD appelle à l'institution de la “souveraineté de la Chariaâ et du pouvoir au peuple”. A ce propos, Erramid se réfère aux thèses de feu Allal El Fassi pour élaborer une théorie au sujet de la Monarchie. Ainsi, pour lui, : “…en définitive, il ne peut y avoir d'outils de contrôle de l'action du Monarque, de même qu'il ne faut pas, en même temps lui reconnaître le monopole du pouvoir considéré comme sacré et n'obéissant à aucun contrôle, situation dont découle que l'importance de la Monarchie émane du fait qu'à sa tête le Monarque est considéré comme le symbole suprême de la Nation…C'est pour cela qu'il faut considérer que c'est la formule de l'arbitre et non celle du gouvernant qui est la plus adaptée à ces valeurs suprêmes”. Dans ce cadre, le dirigeant revendique que la Monarchie s'éloigne de la gestion quotidienne du pouvoir pour sauvegarder son statut d'arbitre. Cependant, son pamphlet tend à indiquer que les préalables à la réforme nécessitent la définition du rôle et du concept de la commanderie des croyants. Venger Raïssouni Erramid persiste et signe : “la commanderie des croyants ne confère pas à son porteur des pouvoirs absolus, de même qu'elle ne fait pas de lui une personne intouchable et inviolable selon l'Islam… ce qui est colporté par les discours politiques au sujet du statut d'Amir Al Mouminine et de ses pouvoirs absolus dépasse les dispositions constitutionnelles et demeure, ainsi, une simple interprétation qui n'a nullement de place dans l'esprit de la Chariaâ ”. Par conséquent, Erramid pose de nouveau une problématique qui avait coûté cher au PJD et notamment à son ossature du mouvement de l'unité et de la réforme (MUR). En effet, il y a quelques mois, l'ex-président du MUR, Ahmed Raïssouni avait déclaré au quotidien “Aujourd'hui le Maroc” qu'il était favorable à la mise en place d'une commission de Fetwas aux côtés d'Amir Al Mouminine, qui pourrait être soit ministre, soit président ou Roi. Cette déclaration a été accueillie avec beaucoup d'amertume par le Docteur El Khatib qui n'a pas hésité à qualifier le président du MUR “d'imbécile qui contribue à la campagne de dénigrement de l'institution de la commanderie des croyants”. Résultat : le mouvement a choisi d'élire un autre président en la personne d'Ahmed Midaoui qui est plus performant en matière organisationnelle. De même que le PJD devait réviser ses liens avec ce mouvement. Or, si Raïssouni s'est quelque peu éclipsé, cela ne veut pas dire que ses idées sont toujours vivaces parmi ses adeptes et disciples. C'est pourquoi il ne fallait pas s'étonner de voir Erramid revenir à la charge, mais cette fois-ci, sous l'angle des prérogatives de l'institution monarchique selon une vision qui s'oppose à la Monarchie exécutive et revendique une Monarchie d'arbitrage. Il est vrai qu'Erramid avait déjà exprimé ses positions notamment après l'adoption du nouveau code de la famille, mais cette fois-ci le timing a plus d'une signification et pose un réel problème devant les congressistes qui doivent s'interroger comment gérer la question de la réforme constitutionnelle. Une opposition sur le seuil de la majorité Encore une fois, la coïncidence est de taille puisque le pamphlet d'Erramid est sorti concomitamment aux déclarations de son camarade à la direction du PJD Abdelilah Benkirane. Ce dernier devait dire : “en aucun cas la question de la réforme constitutionnelle n'est à l'ordre du jour, puisque aucun document, à ce sujet, n'a été adopté par le Conseil national”. Autrement dit, Benkirane confirme que le Conseil national a tranché soulignant que “Erramid travaillait sur la question de manière personnelle avant même qu'il n'adhère au parti (sic) et qu'il a ses propres opinions qu'il devait exprimer il y a longtemps”. L'ex-directeur adjoint de l'hebdomadaire Attajdid devait même souligner que “la question constitutionnelle ne constitue même pas une priorité du PJD à l'étape actuelle”. Cette position s'explique par le fait que le PJD accorde, actuellement, plus d'intérêt aux questions organisationnelles internes, notamment la clarification de ses rapports avec le Mouvement de l'unité et de la réforme sur la base de “la démocratie au lieu du consensus”. Ce qui veut dire que les questions politiques majeures figurent, pour ce parti, dans le long terme. D'ailleurs, il n'est pas exclu que Benkirane se souvienne encore des répercussions des attentats du 16 mai, de l'atmosphère qui a régné pendant les élections du 27 septembre 2002 et de la marginalisation qui a frappé son parti pendant cette période. Mais, il faut dire que les positions de Benkirane, à ce sujet, sont cohérentes puisqu'il avait appelé, en 1996, à voter pour le projet de révision de la constitution à l'instar de toutes les forces démocratiques, notamment celles de la Koutla. Il est donc clair que la tactique de Benkirane est définie, dans une large mesure, par la prédominance de l'actuelle majorité dont l'ossature n'est autre que la Koutla. D'un autre côté, Saâd Eddine Othmani devait déclarer le 28 mars dernier à l'hebdomadaire “Jeune Afrique l'intelligent” que son parti “est totalement isolé au sein du Parlement”. Or, cet isolement ne fera que se renforcer et s'aggraver si le PJD finit par adopter la thèse d'Erramid qui rejoint, paradoxalement, celle des partis de la gauche non gouvernementale au lieu qu'il s'aligne sur les positions des partis qui agissent dans le cadre de la constitution de 1996 et du consensus qui en a découlé. Quoi qu'il en soit, pour le PJD, la révision constitutionnelle intervient dans un processus délicat de son évolution et des changements qu'il opère sur ses positions. Parmi celles-ci, la question du référentiel islamique a été débattue de fond en comble par le Conseil national et tout porte à croire que les nouveaux statuts du PJD éviteront de la stipuler expressément. Et si on ajoute à cela la démission du Docteur El Khatib, qui fut considéré comme un modérateur entre l'Etat et les Islamistes de ce parti, la sortie d'Erramid ne peut être qualifiée autrement que d'un dérapage de plus. D'ailleurs, le père fondateur du PJD n'avait pas hésité un instant à qualifier l'avocat d'enfant turbulent. Mais, ne faut-il pas pour autant considérer que le PJD souffle le chaud et le froid pour se tailler une place plus confortable sur l'échiquier ? Le cinquième congrès répondra sûrement à toutes ces interrogations.