Séisme d'Al Hoceïma Révélateur des insuffisances des réactions immédiates en situation de crise, le séisme de la province d'Al Hoceïma a aussi été l'occasion d'un immense élan de solidarité nationale et d'une mobilisation des associations sur place. Plus que jamais la question du développement régional redevient stratégique. La cause paraît entendue : toutes les langues se sont déliées, après la relative baisse de tension dans la région d'Al Hoceïma, pour admettre que des faiblesses et des carences ont handicapé les premières opérations de sauvetage et d'assistance aux victimes du séisme. Au départ les médias publics, notamment les deux chaînes de télévision, ont été les plus visés pour leur réaction et leur couverture jugées non adéquates face à la catastrophe. Cependant faut-il rendre ces médias responsables de tous les retards enregistrés les premiers jours surtout dans les villages et hameaux environnants qui ont été les plus touchés et les moins secourus ? Il n'est pas nécessaire de chercher des boucs émissaires puisqu'il est clair à présent que les responsabilités se situent à tous les niveaux et sont largement partagées. Il faut retenir que malgré une certaine tendance à gommer les aspérités et à toujours vouloir tout “dédramatiser”, le séisme de la province d'Al Hoceïma a donné lieu à une expression multiple et sans tabous des critiques et éclairages historiques des problèmes cumulés de la région Nord et, en particulier, du Rif. La catastrophe a aussi mis à nu les carences en matière de moyens et d'organisation de la gestion des situations de crise. Au lieu de chercher à minimiser ces deux séries de problèmes, ou de les contourner en se focalisant sur des querelles ou règlements de comptes mineurs, il est temps de les aborder enfin en toute responsabilité tant par l'Etat que par les instances élues et les différentes organisations politiques et sociales (si flageolantes qu'elles soient devenues). La question régionale Un fait, cependant, doit être mis en exergue : le grand élan de solidarité qui a soulevé tout le pays, et qui, toutes régions et générations confondues, a permis de recueillir dons, aides et mobilisation de volontaires au profit des populations sinistrées. Cet élan a permis d'apporter un certain réconfort à ces dernières qui, les premiers jours, s'étaient senties, encore une fois, oubliées et délaissées. Derrière cet élan, il y avait sans doute le sentiment diffus que l'ensemble du pays avait une dette envers le Rif et qu'une réparation s'imposait. La visite de plusieurs jours effectuée par le Roi sur les lieux de la catastrophe porta, implicitement, cette dimension symbolisant la conscience d'une prise en charge sur tous les plans de cette région marginalisée et de panser les plaies laissées par une histoire restée trop longtemps blessée (depuis l'épopée d'Abdelkrim, le soulèvement de 1958, les émeutes de janvier 1984, le délaissement prolongé…). C'est dans cette atmosphère que les questions du développement régional et d'une prise en compte plus volontaire des réalités sociales et culturelles des régions ont été sur le devant d'une actualité fébrile dont on espère que les incidences ne seront pas de courte durée. Les problèmes du désenclavement de la région du Nord et notamment du Rif, et les projets de développement dont une Agence spécialisée est censée suivre les études et les réalisations ont été, à nouveau évoqués. La complexité des questions liées à ce développement ne peut être méconnue et il est un fait que sans les investissements nécessaires rien ne peut être concrétisé. Cependant – et la catastrophe l'a assez montré – rien non plus ne peut se faire, dans ces régions a priori peu “intéressantes” pour les investisseurs sans une volonté politique capable de mobiliser sur des objectifs aussi prioritaires. Le rôle précisément du politique est de créer de l'intérêt et de la mobilisation là où il est peu probable qu'ils se manifestent spontanément. D'autant plus que la dimension sismique doit sérieusement être prise en compte dorénavant. Le développement régional est précisément l'une de ces priorités devant être promues par l'action politique de l'Etat, des partis et autres organisations. Il suffit de considérer l'exemple des pays les plus développés pour prendre au sérieux cette exigence et pour admettre que nulle croissance économique ne saurait être durable sans une économie et une société vivantes à l'échelle des régions. Le débat sur le développement régional ne peut plus être réduit à des déclarations de circonstance ou à une rhétorique creuse, relevant le plus souvent de la chicane ou du populisme. Au-delà de son confinement dans la capitale et la métropole, le microcosme politique (trop souvent politicien) doit pouvoir s'ouvrir à cet ordre de préoccupation et prendre sérieusement en compte la dimension régionale de tout développement réel. Mobilisation des associations Ceci implique que loin de toute démagogie et de toute obsession de verticalité des pouvoirs, on favorise toutes les formes de participation, de mobilisation et de créativité à l'échelle locale. Le séisme d'Al Hoceïma a été aussi un moment de vérité sur ce plan. Face au cafouillage et aux retards des premiers jours, notamment dans les localités isolées, les associations spontanées formées par les habitants eux-mêmes et celles, plus organisées, qui se sont mobilisées à Nador puis en provenance des grandes villes, ont été particulièrement efficaces. Elles ont permis de mettre fin à l'anarchie et aux actes de pillage et de détournement des provisions de secours et elles ont facilité l'organisation de l'assistance aux sinistrés. Leur action, réellement de proximité, allait au plus pressé, repérait les besoins les plus urgents, touchait, avec les moyens du bord, les lieux les plus isolés et les plus difficiles d'accès. Le Souverain a tenu à saluer très particulièrement ces associations, en reconnaissance de leur inestimable apport. C'est sur le terrain et dans une situation de crise péniblement gérée que ces associations ont fait leurs preuves. Belle leçon de démocratie basique qu'il ne faut plus oublier. Dans les semaines et les mois à venir beaucoup reste à faire pour surmonter les séquelles du séisme et pour prendre en charge les familles et les personnes gravement traumatisées. Lorsque le sujet ne sera plus d'actualité et que les médias ne seront plus là, cette tâche lourde et compliquée doit avoir pour relais permanent l'action des associations. Au lieu de susciter la méfiance et les réticences, celles-ci doivent être encouragées, même si les contrôles et les critiques qu'elles devront effectuer peuvent en déranger plus d'un. L'action associative, pointue et multiforme, a aussi empêché que le mécontentement suscité par les carences des premiers jours, ne soit exploité par des mouvements extrémistes qui, comme ce fut le cas en Algérie, avaient pu prospérer sur les séismes et autres catastrophes. En facilitant l'action ciblée et particulière des associations on peut éviter de telles dérives et on met aussi les politiques face à leur niveau de responsabilité puisqu'il est évident que le mouvement associatif ne peut suppléer entièrement à l'action des pouvoirs publics et des instances élues. Le séisme a aussi mis à l'épreuve l'image du Maroc aux yeux de ses partenaires étrangers. Les hésitations des premiers jours ont pu être interprétées comme le signe d'une propension naturelle des autorités à vouloir masquer les problèmes et ne pas exposer trop à découvert les insuffisances. Selon certains observateurs, cela a pu faire perdre des heures précieuses aux secouristes étrangers venus en renfort lesquels ont cependant loué les compétences de la Protection civile. Quoi qu'il en soit, la frilosité qui a trop longtemps marqué l'attitude des pouvoirs face au regard extérieur ne peut plus être de mise. Les moyens d'observation et d'information actuels rendent dérisoire toute velléité cachottière. D'autant plus que le problème n'est pas vis-à-vis de l'étranger mais de soi-même. Les aides et la solidarité des pays européens (France et Espagne, en premier lieu) et des USA ont, malgré une actualité crispée par les déclarations de certains responsables espagnols d'une part et par les inconnues de l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis d'autre part, rappelé le capital de sympathie dont jouit désormais le Maroc de Mohammed VI. C'est cette image qui doit être renforcée, précisément en approfondissant les réformes, en développant les régions et en renforçant la participation citoyenne.