Le Maroc s'est engagé dans le processus de développement du monde rural, dans le cadre d'une “ approche participative ”. Actuellement, l'Unicef procède à une étude évaluative de cette expérience. D'où la possibilité de voir ces expériences-pilotes se généraliser sur le plan national. Entre-temps, deux questions méritent d'être posées : qu'est-ce qu'on entend par une approche participative du développement ? Quel constat peut-on établir de sa mise en application (test) au Maroc ? Depuis 1990, le Maroc a adopté une approche participative dans la réalisation de projets de développement du monde rural à l'image de la PCIME (Prise en charge intégrée des maladies de l'enfant). Selon le ministère de la Santé, la participation communautaire est définie comme un “ processus social où des groupes définis, qui partagent les mêmes besoins et qui vivent dans une région géographique circonscrite, poursuivent activement l'identification et l'établissement des mécanismes pour répondre à leurs besoins ”. Une nouvelle démarche de développement Cette initiative est la conséquence de trois facteurs déterminants : d'abord, de l'érosion des projets de développement réalisés par l'Etat dans le monde rural depuis des décennies. Ensuite, des recommandations des experts d'organisations internationales de développement, à l'image de l'Unicef, FAO, Unesco…, qui mettent l'accent sur le rôle déterminant de la population autochtone dans le succès des projets. Et, enfin, du redéploiement du rôle de l'Etat par rapport à la société. C'est-à-dire, la régression de l'Etat-providence au profit d'autres acteurs susceptibles d'activer le processus du développement. Par exemple, “ la société civile ”, par le biais de communautés autochtones dynamiques tels que les douars, les associations de village… Résultat, la communauté en question a pu, parfois, réaliser des projets uniquement grâce à ses propres moyens et sans faire appel à l'Etat. Actuellement, l'Unicef est chargée d'établir un diagnostic national en vue d'évaluer la participation communautaire des populations dans les projets de développement du monde rural au Maroc. Dans ce sens, une équipe de chercheurs/consultants a pris en charge la responsabilité d'établir un bilan de plusieurs expériences communautaires, parmi lesquelles figurait le PCIME Pour illustrer la mise en application de cette approche sur le terrain, je propose au lecteur une petite excursion vers le sud du Maroc, là où la générosité et la bonté des gens font vite oublier au visiteur la marche laborieuse dans les régions arides et rocheuses de la région. Notre objectif est de permettre aux lecteurs (ices) de vivre l'expérience communautaire originale d'un douar (Tagadirt) qui a réussi à marier sa tradition ancestrale avec les contraintes de la modernité. Zoom sur une communauté Tachlhit Tagadirt Naâbadou (désormais Tagadirt) est situé dans la commune rurale de Drarga (Préfecture Agadir Ida Outanane). Le village est situé à 25 km d'Agadir. C'est une grande agglomération semi-rurale. Elle comprend 4.500 habitants, répartis en 800 foyers. Les habitats sont très modestes, tant au niveau de la construction qu'au niveau de l'équipement. Pourtant la population est fière d'y loger, à l'image de ce chef de foyer sexagénaire : “ je ne veux pas quitter ma maison malgré sa modestie. C'est un héritage que je dois transmettre à mes enfants (…) ” . Concernant les ressources agricoles, la SAU (le sol agricole utilisé) est estimée à 430 hectares, dont 30 en irrigué. Le nombre de propriétaires est estimé à une centaine. Etant donnée la proximité de la ville, la structure de l'emploi est diversifiée (commerçants, employés, fonctionnaires). Quant aux arbres fruitiers, c'est l'arganier qui domine, suivi de l'olivier. Néanmoins, d'après les femmes du village, “ l'huile extraite de l'arganier est destinée à la consommation, et non à la commercialisation ”. Le cheptel est faible : les ovins, les caprins et les bovins se chiffrent respectivement à 800, 1.550 et 200. Le nombre d'éleveurs ne dépasse pas 40. “ C'est un travail très rude, un citadin ne résisterait jamais au-delà d'une semaine à pareil travail ” remarque un jeune homme de 20 ans habitant le douar. C'est pourquoi les jeunes du douar voient dans l'émigration la solution à tous leurs problèmes. D'ailleurs, l'émigration est forte au village : une centaine au Maroc et une soixantaine à l'étranger. Le douar comprend deux mosquées à minaret et des séguias. “ Les séguias ont mis un terme au calvaire de la population. Avant, on devait se lever de bonnne heure pour s'approvisionner en eau potable. Plus maintenant : le robinet est tout près”, souligne une femme du douar. Le Douar avait recours au service d'un amazzal (“ coureur ”) chargé de la gestion des équipements hydrauliques. Actuellement les deux fqihs du village sont rétribués par la communauté. “ La communauté du village est très généreuse avec le fqih. Tout le monde le respecte. Ça fait partie de notre tradition musulmane ” remarque un fqih quadragénaire. Le douar dispose d'une école depuis 1956. Cette année, 534 enfants la fréquentent (270 filles et 264 garçons). “ On est très content d'avoir une école au douar, mais le problème c'est qu'une fois que les élèves ont passé le stade primaire, ils doivent se déplacer jusqu'à la ville, située à 25 km ”, remarque un commerçant du douar Une grande solidarité communautaire La plupart des sociologues s'accordent pour dire que, la communauté rurale au Maroc fait preuve d'une grande solidarité. D'ailleurs, il n'est nul besoin de rappeler que, dans le monde rural, la communauté autochtone dispose d'une grande expérience du travail communautaire. Dans ce sens, le douar sus-mentionné ne déroge pas à cette règle puisqu'il a contribué à la réalisation de plusieurs projets : l'adduction en eau potable, la construction d'une école, d'une mosquée, l'irrigation et construction de séguias. Pendant la colonisation, les gens du village ont construit une mosquée en puisant dans les moyens propres du douar et en s'appuyant sur le travail collectif de la communauté, ce qu'on appelle “ Touiza ” rappelle un sage du douar. Depuis 1993, le douar s'est organisé en association “ Touizi ”, dans le but d'ériger une structure institutionnelle lui permettant de communiquer avec les acteurs institutionnels et locaux (les services de l'Etat, la commune rurale, les ministères…). Selon le ministère de la Santé, l'enjeu principal de cette collaboration n'est pas seulement d'équiper le milieu rural en infrastructures nécessaires (eau, électricité, routes….), mais aussi de faire “ participer ” les membres de la communauté à l'exécution de tels projets. Par exemple, les membres de la communauté sont appelés à contribuer à l'exécution d'un château d'eau (main-d'œuvre, contributions financières, cotisations à l'association…). Tandis que l'Etat prendra en charge l'organisation du projet et l'encadrement de la communauté (séminaires de formation, journées d'animation, etc.). “ C'est bien que la communauté participe à la réalisation des projets qui la concernent, on ne peut pas attendre que le Makhzen se charge de tout le travail (…) ”, déclare un chef de foyer énergiquement. La tradition à l'épreuve En 1993, l'association “ Touizi ” a pu voir le jour malgré l'opposition affichée par le congrès du douar “ jmaât ”. Mais peu après, les chefs de foyers sont revenus sur leur décision et ont même intégré l'association. Alors qu'auparavant ils résistaient à sa création, de peur de voir leur pouvoir sapé par un nouveau concurrent. “ Maintenant l'association et la jmâat ne constituent plus qu'un seul corps. Il existe des différends entre les jeunes et les vieux du douar, mais on arrive toujours à trouver une solution ”, explique sereinement un chef de foyer. Au début, le rôle de l'association se limitait à la représentation du douar auprès des services de l'Etat. Mais très vite, sa portée s'est avérée déterminante dans la réussite de plusieurs projets de développement de la communauté. En effet, depuis sa création, Touizi a réalisé plusieurs projets. Par exemple, l'adduction d'eau potable en 1994, l'électrification, les routes, la collecte des ordures, une ligne régulière de bus, la lutte contre l'analphabétisme en 1995 et la création d'ateliers d'artisanat pour les femmes en 1996. L'approche participative : un mode d'emploi L'histoire de l'expérience de Tagadirt est inséparable de l'histoire de l'implantation de la PCIME au Maroc. En fait, il s'agit d'un projet pilote à triple objectif : d'abord, l'amélioration de la santé de l'enfant, ensuite, l'initiation de l'approche communautaire dans ce domaine et enfin, tester celle-ci avant de la généraliser à l'échelle nationale. En 1999, les responsables du ministère de la Santé ont décidé de tester l'approche sur “ Tagadirt ”, par le lancement du projet PCIME. A cet égard, l'association du douar était chargée de l'animation du projet en s'appuyant sur les services du ministère. Le projet a été couronné par un double succès : le premier était l'amélioration des conditions sanitaires à “ Tagadirt ”. Dans ce sens, plusieurs comportements positifs se sont installés parmi la population : une alimentation complète riche en protéines ; une vaccination complète des enfants ; une planification familiale… En contre-partie, beaucoup de comportements non acceptables restaient à modifier. A titre d'exemple, l'allaitement exclusif jusqu'à 6 mois ; peu de visites prénatales ; oublier de se laver les mains au savon avant et après les repas… Le deuxième se résumait à la cristallisation de la participation communautaire dans le projet PCIME. Dans la mesure où la population est davantage responsabilisée, surtout par la participation aux projets de développement du village. Autrement dit, la population autochtone est obligée de préserver et d'entretenir chaque projet, car elle a été impliquée dans sa réalisation (préparation, animation, exécution). En outre, le comité du suivi a enregistré une extension de la mobilisation aux femmes et aux jeunes. Malgré l'opposition incarnée par les hommes représentant les structures traditionnelles (jmaât) les femmes sont entrées dans l'association. “ On doit absolument participer aux activités associatives organisées dans notre village. C'est ce que font actuellement la plupart des femmes du douar. Avec la PCIME, les femmes sont plus intéressées par la santé de leurs enfants. C'est bien de respecter la propreté et les règles d'hygiène ”, remarque une jeune femme du douar. De plus, une association de jeunes a pu voir le jour. Les résultats enregistrés au douar Tagadirt, après l'implantation du projet PCIME, résultaient de quatre conditions interdépendantes auxquelles doit répondre tout projet de développement dans le monde rural . Le secret d'une réussite l'adaptation de l'environnement institutionnel aux exigences objectives de la réalisation des projets de développement. Autrement dit, la mobilisation des capacités organisationnelles des services de l'Etat, concernant notamment le personnel de la santé, l'encadrement, les journées de formation, le financement, la supervision… la mobilisation d'un leadership dynamique et actif au sein de la communauté. À ce propos, la création d'un cadre institutionnel qui représente les membres de la communauté est une condition sine qua non de l'émancipation de la population. A cet égard, l'association du douar sus-mentionnée a fait preuve d'un dynamisme exemplaire. Pour exemple, elle ne se contente pas de la gestion d'un, voire de plusieurs projets, mais continue à élaborer de nouveaux projets. Le principal est en rapport avec l'irrigation des terres du village. la conciliation des structures traditionnelles avec les nouvelles structures qui prennent part à la réalisation de tout projet de développement dans le monde rural. En effet, le succès de chaque projet de développement est fonction de l'harmonie sociale qui doit régner, en principe, entre les représentants traditionnels de la communauté (jmâat), l'association du douar et les services de l'Etat. la mise en place d'une structure de suivi et d'évaluation des projets réalisés. A ce niveau, la formation des membres de la communauté qui prendront en charge l'entretien et la maintenance du projet s'avère d'une grande utilité. Sinon, les projets réalisés seront toujours guettés par la menace de la dégradation, voire du pourrissement. Reste à rappeler que la réalisation de projets de développement dans le monde rural, dans le cadre de cette “ approche participative de la communauté ”, est en plein essor. D'autres projets suivent la même stratégie, à l'image du PAGER (le projet d'adduction du monde rural en eau potable), notamment à Chefchaouen.