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Chute des rançonneurs de Casablanca
Publié dans La Gazette du Maroc le 19 - 01 - 2004

L'un des plus grands avortements de coups préparés par un gang de rançonneurs vient d'être opéré par la police de Casablanca. Sur la liste, figuraient pas moins de six grandes familles à plumer par une clique de gosses qui avouera s'être inspirée des films américains. Après avoir rejoué la scène du kidnapping des dizaines de fois, le chef de gang s'est vu trahi par ses propres compères qui ont fini par craquer et par cracher le morceau devant la police. Retour sur l'histoire de Taha Sidi Ami et de son gang à toute épreuve.
Tout se passait dans sa tête comme si les choses allaient se répéter, se synchroniser d'elles-mêmes, revenir dans les moindres détails.
Il avait revu le film plusieurs fois dans sa mémoire, déployait les bobines du scénario du kidnapping, les moindres séquences, retrouvait tous les mouvements à faire, les paroles à dire, les gestes à accomplir. Impassible. Taha Sidi Ami Ben Moulay Mehdi Ben Moulay Hassan était placide et serein.
Un garçon de 23 ans, né le 12 octobre 1982 à Errachidia, devenu Casablancais, avec un penchant patent pour le crime, les grands gangsters internationaux et les histoires sombres.
Dans son film qu'il revoit encore le jour, la nuit, à chaque instant, il s'assure en professionnel qu'il n'a rien oublié, qu'aucun détail ne lui a échappé, que tout est en place, que la fin est heureuse, pour lui et ses acolytes sains et saufs, la victime libérée après l'encaissement de la rançon qui lui ouvrira les portes du paradis… C'est comme ça qu'il vit depuis plusieurs mois, dans le meilleur des scénarios qui l'a poussé, au fil des jours, à prendre la place de l'un de ses héros de cinéma.
Il avouera plus tard devant la police éprouver une grande fascination pour les Al Capone, Pablo Escobar et autre Antonio Montana qui ont trempé dans le crime et l'argent facile. Dans la rue Al Bakri, au 3ème étage du 144, Taha révise ce 28 décembre 2003 les derniers points de son plan avant de téléphoner à chacun de ses complices Rachid, Abdelkader, Adil. Il les prévient que l'heure a sonné et qu'il souhaite les voir une dernière fois avant le coup.
Rachid Mrabet Ben Mohamed Ben Mohamed est né à Casablanca le 12 octobre 1972, avec antécédents judiciaires, il avait écopé d'une première condamnation en 1991 d'une année de prison ferme, pour coups et blessures à l'arme blanche, puis en 1993, il récidive et se fait prendre pour tentative de vol qui le mène pour deux mois dans une autre cellule froide.
Abdelkader Chria Ben Ahmed Ben Kaddour est né le 8 mai 1975, à Casablanca et a écopé d'une année de prison ferme en 2000 pour trafic de drogue.
Le gang se constitue
Puis il y a Adil Khatrab Ben Mahjoub, né le 20 janvier 1979 dans la même ville, sans antécédents judiciaires.
Enfin, il y a une fille dans le gang, une autre victime entraînée par Taha, une certaine Hind née le 14 juillet 1981 qui dira au moment de l'arrestation qu'elle allait être utilisée à son insu comme appât dans l'affaire du kidnapping.
Taha, lui, est sans antécédents judiciaires, fraîchement sorti d'une école réputée de gestion, l'ESIG, et rien ne prédispose apparemment ce jeune homme souriant et bon vivant à être impliqué dans le crime crapuleux.
On le dit issu d'une grande famille conservatrice, le père décédé, une mère câline qui donnera tout pour que son fils ne se sente pas différent des autres et qu'il suive des études dignes de ce nom. Mais le garçon se sent mal à l'aise dans son personnage de faux riche, de bourgeois imaginaire qui fréquente d'autres bourgeois à l'école, qui n'a pas le sou et qui reste à la charge de sa mère. Il affirmera en passant aux aveux qu'il voulait “gagner de très grosses sommes d'argent.”
A cette époque, début 2003, il passe son temps à flâner dans les beaux quartiers, regarde passer les belles voitures, les belles filles et pense à celle avec qui il sort actuellement, sa copine Fatema-Zohra. C'est du solide et d'ailleurs la mère de cette dernière a tellement confiance en lui qu'elle lui prête régulièrement sa propre voiture dans laquelle il roule pompeusement, une Peugeot 406.
Après l'été, le voilà de passage dans le quartier Laâyoune où il fera la connaissance de Adil Khatrab, devenu depuis lors un frère de peine et son inséparable complice dans le projet qui mûrit déjà dans sa tête. En ce moment précis, Taha a déjà étudié plusieurs “branches” du crime organisé et sait, en gestionnaire avisé, qu'il optera pour la diversification. Escroquerie, kidnapping et falsification de documents. Il cherche à constituer un gang, une équipe d'hommes forts qui n'a pas froid aux yeux et qui sait ce qu'elle veut. Il en parle à Adil au détour d'une phrase, revient sur le propos plus tard, finit par tout lui avouer un jour. Dans un autre quartier de Casablanca, à Hay Mohammedi, le futur chef de la clique rencontre deux ignobles personnages, Hassan et Hicham, qui l'aideront dans sa brève incursion dans le monde souterrain de la falsification et de l'usage du faux. Hassan et Hicham se présentent comme des “spécialistes” du trucage visuel, introduits auprès des réseaux d'immigration clandestine qui trafiquent dans les visas, les pièces d'identité et les contrats de travail pour les pays européens et les USA.
Pour convaincre Adil Khatrab de l'idée du kidnapping, Taha va inventer une histoire qui lui permettra de ramener son ami à sa cause. Il sait qu'il ment et que tout est monté de toutes pièces, mais il ira jusqu'au bout. Il racontera que la vie de son père avait été ruinée par un homme qui résidait à Casablanca, que les pires souffrances avaient été endurées par sa famille à cause de lui. Il s'agissait d'un étranger établi au Maroc et marié à une Marocaine. Adil n'en saura pas plus, mais il sait qu'il est question dans cette histoire noire de faire du mal à l'Européen en rançonnant sa femme. “Il est riche”, disait Taha et c'était pour rembourser tout ce qu'il avait pris à son père… Dans la réalité, Taha avait préparé son plan et connaissait l'étranger parce que ce dernier a épousé l'une de ses amies, Bouchra T. Il l'a d'ailleurs rencontré une fois et l'Européen lui avait parlé de son projet d'investissement au Maroc, vu qu'il comptait ouvrir un grand café sur un boulevard animé de Casablanca. Taha avait félicité son amie Bouchra pour son mariage réussi et lui avait promis de rester en contact avec eux. C'est elle0 qu'il choisira comme première victime et l'avait fait figurer à la tête de la longue liste des familles casablancaises à rançonner, via leurs enfants.
Adil Khatrab lui présente les deux autres compères qui marcheront avec eux dans la combine. Rachid Mrabet et Abdelkader Chria. A ces derniers, Taha remâche la même histoire de vengeance paternelle mais il ne se fie pas encore à eux et leur invente une autre séquence de sa vie. Il prétend que les recrutements se feront pour un gang de haut niveau, qu'ils seront assistés dans leurs opérations de kidnapping et que les demandes de rançon aboutiront sans grabuge grâce à ces anges invisibles qui veillent sur eux.
Une liste de six familles
à plumer
Bouchra vit avec son mari à Aïn Diab. Elle connaît bien Taha et a longtemps vécu à la rue Bagdad où elle fréquentait la fiancée du rançonneur, Fatema-Zohra. Une fois son équipe de choc constituée, Taha entreprend de la filer en douce, avec l'aide de ses trois amis. Il cherche à connaître ses moindres habitudes, tourne autour de sa proie, l'imagine seule avec lui au fond d'une cave noire... Il demande un jour à Hind de téléphoner à une inconnue, qui n'était autre que Bouchra, la future victime, pour “aider un ami”, lui dit-il. C'est Hind qui allait servir d'appât et approcher Bouchra, le jour J. Mais ce que les membres du gang des rançonneurs de Casablanca ne savaient pas, c'est que cet homme au côté obscur avait sélectionné, outre Bouchra, plusieurs autres victimes. Ainsi, après son arrestation, on découvrira dans sa chambre une liste de six personnes qui allaient être rançonnées après Bouchra. La deuxième victime, Mohamed Z., issu d'un milieu très aisé, habite actuellement la Californie et fait de fréquents séjours à Casablanca. Il s'agit d'un ami d'école de Taha. La troisième victime s'appelle Yassine G., un autre copain de classe qui habite aussi la Californie. La quatrième personne de la liste du gang est Loubna A., qui avait fréquenté la même école et vivait en Floride. Ensuite, il y avait dans les projections lugubres de la clique d'autres noms, d'autres victimes de kidnapping : Alami G., au même profil d'ex-copain de classe et de résident aux Etats-Unis ; enfin, Yassine Z., gérant d'un grand établissement à Casablanca.
Le gang se prépare sérieusement pour concrétiser la première phase de leur programme. La filature leur permet de suivre les moindres mouvements de la femme mariée. Le gardien de la rue où elle réside se souviendra par la suite d'une Peugeot discrète qui rodait souvent dans les alentours, avec parfois plusieurs hommes à bord. Taha a choisi de louer un cabanon dans la ville de Mohammédia, loin de Casablanca pour mener à bien le rapt prévu pour fin décembre. C'est là qu'il compte emprisonner sa victime pendant qu'il traite la rançon avec son mari. Avec ses acolytes, il fait maintes fois l'aller-retour jusqu'à Mohammédia, en simulant entre-eux l'opération. Tout paraît s'enchaîner sans hiatus et les membres du gang se disent fin prêts.
Le 28 décembre, Taha invite ses amis à dîner dans un restaurant et les avertit que c'est pour le lendemain. Le 29 décembre, juste avant les fêtes que Taha veut toutes en lumières et en apothéose. Deux jours, c'est le temps qu'il donne au mari de Bouchra pour payer la rançon. Il est convaincu qu'il aura au moment du réveillon beaucoup de sous pour inviter sa fiancée et tous ses amis à faire la java. Dans le restaurant, il demande à Adil, Rachid et Abdelkader de se munir de couteaux, comme prévu dans le scénario, et de se retrouver à l'heure avancée devant la demeure de Abdelkader.
Un gang qui tourne mal et une histoire qui finit bien
Abdelkader et Rachid ne pensaient pas qu'ils allaient craquer. Ils se disaient même en secret qu'ils allaient assurer haut la main et empocher les sommes rondelettes promises par Taha. “Une rigolade à faire en deux temps trois mouvements”. Sauf que les deux compères ont compté sans la peur qui grandissait dans le creux de leurs tripes et les tenaillaient au fur et à mesure que le rendez-vous pointait du nez. Le 29 décembre 2003, les voilà devant les locaux de la police. Les deux compères préfèrent se libérer la conscience et tourner un chapitre douloureux qui aura assez duré. Ils avertissent la police de ce qui se trame pour le jour même en dénonçant Taha Sidi Ami et Adil Khatrab qui étaient sur le point de kidnapper des enfants de familles riches en demandant des rançons pour leur libération. Les deux repentis ont déclaré avoir été introduits dans ce gang malgré eux. Ils ont livré le nom de la première victime choisie par le gang en précisant l'heure et le lieu du rendez-vous de la bande pour attirer dans leurs filets la jeune femme. La police a mis en place un guet-apens pour appréhender le fameux futur grand rançonneur et son acolyte Adil. Taha est mis sous surveillance pendant quelques heures.
C'est là qu'il se pointe dans la rue où habite Abdelkader à bord de la Peugeot 406. Quand on l'a encerclé, il s'est débattu résistant ainsi à la charge des policiers sans trop savoir ce qui lui tombait sur la tête. C'est à ce moment-là qu'il a vu son rêve de futur nabab s'écrouler. Il a dû alors voir défiler devant ses yeux le film entier de son entreprise tombée à l'eau. Dans la voiture, il y avait plusieurs documents qui devaient servir à arranger le coup en vue d'autres infractions aux lois.
Il s'agit d'une photocopie de passeport au nom de Khalid Jmouhi, deux photocopies de CIN du même nom, une photocopie d'un baccalauréat, un certificat de licence au nom de Bouchra Jmouhi et une photocopie CIN au nom de Mohamed Tikout. C'étaient là les autres victimes qui devaient raquer pour un éventuel voyage vers d'autres cieux. Avec l'aide de Hassan et de Hicham, les deux compères de Hay Mohammadi, Taha avait promis à Mohamed Tikout un faux contrat de travail en vue de l'obtention d'un visa pour lequel il avait déjà versé 5.000 dh au gang. Aujourd'hui, il doit répondre de plusieurs chefs d'inculpation devant la justice : association de malfaiteurs, tentative de kidnapping et de séquestration, escroquerie, faux et usage de faux et flagrant délit.


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