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De la limite d'âge comme obstacle au recrutement
Publié dans La Gazette du Maroc le 29 - 12 - 2003


Marché de l'emploi
Est-ce qu'on n'est plus d'aucune utilité à la collectivité à partir d'un certain âge ? Et tout particulièrement au-delà des 35 ans ? le Dr Farouk Dadi s'élève contre cette discrimination. Pour ce médecin du travail, la notion “d'âge limite” précisée dans la plupart des offres d'emploi est une notion dépassée, typiquement et paradoxalement anachronique. Il s'explique.
Une annonce de ce type, il y en a des dizaines, dans le marché de l'emploi ou les offres d'emploi, parues dans la presse. A de rares exceptions, c'est toujours le même leitmotiv : âge compris entre 25-35 ans. Parfois même entre 21 et 26 ans, pour certains postes. Rarement, l'âge requis est de 40, voire inférieur à 50 ans. En tout cas, jamais au-delà de 50 ! Décidément, serait-on tenté de dire, il n'y en a plus, en matière d'embauche ou de recrutement, que pour les jeunes ! “Out” sont désormais, les quadragénaires, les quinquagénaires et autres sexagénaires… Haro sur les vieux, les croulants ! Place aux jeunes ! “Débarrassez le plancher, Messieurs, Dames, on vous a assez vus ! N'allez-vous pas comprendre, à la fin, que vous êtes finis (es) et que l'on a besoin, aujourd'hui, du sang neuf ?” Un bain de jouvence, en somme, pour renouveler et remplacer tous ces cadres qui ressemblent, dorénavant, plus à des “antiquités” ou à des “vieux tableaux” qu'à autre chose… “On ne va, tout de même, pas, recruter de vieilles “carcasses”, de vieux “chnoques”, débiles, plus ou moins gâteux, tout juste bons pour la ferraille ….” Dura lex sed lex (la loi est dure, mais c'est la loi). Et la loi du marché du travail est et devient, surtout en ce début de XXIe siècle, de plus en plus impitoyable. Cela dit, il est vrai, d'abord, que le Maroc est un pays “relativement” jeune, en ce sens que sa population est composée pour moitié, ou presque, de jeunes (dont l'âge ne dépasse pas les 25-30 ans, voire moins), et, pour l'autre moitié, de moins jeunes, ou, pour paraphraser notre sympathique Mjid national, “d'anciens jeunes”. Il est vrai, ensuite, qu'une grande proportion de jeunes est confrontée au chômage, notamment parmi les diplômés, les licenciés, certains techniciens mêmes et autres bacheliers. Il est non moins vrai, enfin, qu'un grand nombre d'entre eux, ne trouvant aucun débouché dans leur pays, s'imaginent, encore, naïvement, en trouver à l'étranger, de l'autre côté de la Méditerranée. Et c'est alors, comme chacun sait, le drame quasi-quotidien ou presque, de l'émigration clandestine, des “pateras” qui, la plupart du temps, les emportent vers d'autres cieux et d'autres rivages… éternels, ceux-là… Mais ceci est une autre histoire, aussi triste fût-elle. Néanmoins, pour en revenir à notre propos, et au problème – car c'en est un - posé par tous ces cadres dont plus personne ne veut, pour le seul motif ou “ prétexte ” de leur âge plus ou moins “avancé”, on doit reconnaître qu'il y a là comme une sorte d'injustice, comme un sentiment de frustration, du reste légitime : est-ce qu'on n'est plus d'aucune utilité pour la collectivité à partir d'un certain âge ? Et tout particulièrement, au–delà des 35 ans ? A fortiori pour ce qui est des tranches d'âge supérieures, comprises entre 50 et 60 ans, voire plus ?
Retraite anticipée
Seulement voilà, le problème, en fait, comme nul ne l'ignore, n'est pas tant lié à l'utilité éventuelle de nos cadres qu'à l'âge lui-même : il ne faut pas se dissimuler, en effet, qu'à partir d'un certain âge, précisément, (au-delà des 55 ans, en général), c'est la retraite qui pointe à l'horizon, (abstraction faite, bien entendu, de la retraite “anticipée” que d'aucuns privilégient à la retraite tout court…). Parvenus donc à l'âge de la retraite (60 ans), un grand nombre d'agents, aussi bien de l'administration que du privé, sont censés plier bagages, pour céder la place à une génération de cadres plus jeunes. Et c'est de bonne guerre…
N'empêche que, sous d'autres cieux ou sous d'autres latitudes, on a parfaitement “saisi” ou décelé l'absurdité de ces dispositions “législatives”, au point qu'on accorde, désormais, aux agents qui ont atteint l'âge de la retraite (lequel, comme chacun sait, varie selon les pays : cela va de 55 à 65 ans), de continuer d'exercer s'ils le souhaitent.
Mais, comme, chez nous, de toute évidence, on est toujours, plus ou moins, en retard sur les événements et dans tous les domaines, ou presque (sauf, peut-être, celui de la Moudawana, récemment “relookée” par S.M. Mohammed VI), on attendra… Et pourtant, n'est-il pas plus logique et plus bénéfique de profiter de l'expérience et des compétences de nos sexagénaires, par exemple ?
Il ne fait aucun doute que cette notion “d'âge limite” apparaît, de nos jours, comme une notion dépassée, typiquement et paradoxalement “anachronique”. Car, loin d'être synonyme de vieillesse ou de sénilité, le fait, aujourd'hui, d'avoir 50 ou 60 ans , peut, bien au contraire, représenter un atout indéniable en matière de management, de marketing, de rentabilité, compétitivité, etc. Ceci d'autant plus que, non seulement “on ne fait pas son âge”, tellement on se porte bien physiquement (grâce au sport, notamment), tellement on est bien ou relativement bien conservé, mais même, sur le plan cérébral, intellectuel, jamais on ne s'est senti aussi jeune, aussi alerte. Sans vouloir exagérer ni jouer sur les mots, on n'est et on ne devient réellement “jeune” que lorsqu'on acquiert ou qu'on avance dans l'âge. En somme, toute la question est là : “Etre ou ne pas être… jeune ou moins jeune”. Et tant pis pour tous ceux de notre génération quel que soit leur nombre, qui se retrouvent, pour ainsi dire, “piégés”, en se voyant, à leur tour réduits au chômage, à l'instar de tous ces jeunes aux abois, et surtout pour n'avoir pas su “assurer leurs arrières”, du temps où ils pouvaient, encore, le faire… Et qui, parvenus, donc, à l'âge de la retraite, celui-là même qui ne leur laisse plus aucun espoir, nulle part, ni aucune chance de se voir embauchés (même avec un “piston en acier”) n'ont plus d'autre alternative que de se résigner à leur triste sort ou de disparaître. Car, chercher du travail, à leur âge, auprès d'un organisme quelconque, public ou privé (je rappelle, à ce propos, que la fonction publique ne recrute plus, en principe, et sauf miracle - car il y a toujours des arrangements avec “le bon Dieu” - après l'âge de 40 ans), relève, cela va de soi, de la gageure ou de l'exploit. Il est permis de rêver, en effet…
Quant à la retraite proprement dite, il ne faut pas trop y compter. C'est un “ luxe ” réservé aux seuls fonctionnaires, militaires compris, et aux salariés. A défaut de retraite, il reste, bien entendu, la solution idéale du recrutement. Ou mieux, du “recrutement à la carte”, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Au cas par cas. Pourquoi pas ? Après tout, grâce à Dieu, tout le monde n'est pas au chômage et tout le monde n'est pas, forcément, à l'affût d'un job, surtout à cet âge là… qui est, encore une fois et malgré tout, et contrairement à ce que d'aucuns s'imaginent, loin d'être un âge “préhistorique” ou “dinosauresque …”
Faut-il rappeler, à ce propos, que, de nos jours, l'espérance de vie moyenne avoisine les 80 ans ! Autrement dit, on a, encore, théoriquement, à l'âge de 60 ans, et, bien entendu, sauf accident ou maladie, (le SIDA, entre autres, lequel diminue considérablement l'espérance de vie, d'où tout l'intérêt de la prévention, à défaut de remède ou de vaccin) 20 autres années à vivre. Parfois même plus. Reste, il est vrai, qu'on n'a pas encore découvert la recette “miracle” pour devenir “centenaire…” . Mais ce n'est pas tout : pour ce qui est des tranches d'âge inférieures, autrement dit, pour les moins de 35/40 ans, comment voulez-vous exiger d'un “candidat” qui vient, à peine, d'achever ses études supérieures - en général, et sauf exception, pas avant l'âge de 25/30 ans - de ne pas dépasser l'âge de 35 ans pour être ou, plus exactement, pour espérer être embauché ?
Pas de salut après 35 ans
C'est d'un ridicule incommensurable ! Toujours est-il que, si l'on a bien compris, au-delà de cette “barrière” de 35 ans, point de salut ! Il n'y a plus qu'à faire ses valises… Tout ceci pour dire, en guise de conclusion, que c'est, sans aucun doute, une grossière et lamentable erreur de considérer l'âge comme un handicap ou un obstacle majeur en matière de recrutement. Et ce, quelle que soit la tranche d'âge incriminée. Les seuls critères valables, à notre humble avis, dans ce cas, étant la compétence, l'expérience (si possible) et le sérieux. Et bien évidemment, sans distinction de sexe. (Au fait, ne voilà-t-il pas encore un domaine où les femmes continuent de souffrir de discrimination “sexiste” injustifiée ? Si jamais celles-ci devaient réclamer une égalité… de traitement, au sens propre et figuré, avec leurs congénères mâles, ce serait bien celle-là…). Concernant, tout particulièrement, la tranche d'âge des 50/60 ans, cette exigence se fait sentir avec d'autant plus d'acuité que certains postes ou certaines fonctions requièrent des qualités ou des aptitudes que ne sauraient posséder, par exemple, de jeunes cadres inexpérimentés et, ce, quelle que soit la valeur ou le nombre de leurs diplômes. Qui plus est, la présence auprès de ces jeunes cadres d'individus chevronnés, rompus aux rouages de l'administration, aux techniques de management et de marketing, éventuellement, ne peut que leur être bénéfique, en les faisant profiter de leurs connaissances et de leur expérience. D'un autre côté, sous prétexte que des individus, hommes ou femmes, ont atteint l'âge de la retraite, va-t-on se passer de leurs services, pour laisser place à de jeunes cadres, lesquels - tout en ne minimisant nullement leur valeur - ne deviendront, à leur tour, et en tout état de cause, véritablement “opérationnels” que lorsqu'ils auront atteint, eux–mêmes, l'âge de la retraite ? C'est un véritable cercle vicieux… Car, et c'est là le grand paradoxe, c'est seulement au moment où l'on devient, pour ainsi dire, “mûr”, “apte” à assumer certaines fonctions, certaines responsabilités, que l'on se retrouve rattrapé par l'âge “fatidique” de la retraite. C'est là, incontestablement, matière à réflexion pour nos législateurs, nos honorables députés (es) : une réforme de la Loi, dans ce sens, ne serait pas de trop et apparaît, à tout le moins et plus que jamais, comme une exigence, pour ne pas dire comme une urgence. On a tout à y gagner…
Dr Farouk DADI
Médecin du travail


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