Au fil des jours, la crise qui secoue Vivendi Universal ne cesse de s'aggraver. Avec des pertes considérables depuis le début de l'année, le groupe est aujourd'hui dans la tourmente. Dans l'œil du cyclone, son PDG, Jean-Marie Messier, qui multiplie les dérapages et cristallise les inquiétudes du Conseil d'administration et, surtout, des petits actionnaires. Quelles seront les incidences de cette crise sur notre pays, où le groupe s'est porté acquéreur, entre autres, de 35 % des actions de Maroc Telecom ? Notre pays doit-il s'inquiéter des effets du séisme qui ébranle aujourd'hui Vivendi Universal ? La question est légitime, puisque le groupe est présent au Maroc dans deux secteurs d'activité cruciaux : les télécommunications et la gestion de l'eau, de l'électricité et de l'assainissement. Si l'on observe les baisses spectaculaires enregistrées par le groupe de Jean-Marie Messier, il y a en effet de quoi se faire du souci : une chute de ses actions en Bourse de plus de 40% et une perte, que tous les observateurs s'accordent à considérer comme historique, de 13,6 milliards d'euros ! Une situation qui suscite les interrogations des responsables politiques français, toutes tendances confondues, et surtout des actionnaires et du conseil d'administration de Vivendi Universal dont l'assemblée générale s'est tenue le 24 avril dernier. Le groupe, que le malheureux candidat à l'élection présidentielle Lionel Jospin considérait, il y a peu de temps, comme «un fleuron de l'industrie française», bat de l'aile. Le Crédit Lyonnais, le premier, a émis des critiques très vigoureuses sur la gestion de Vivendi, relayé par une étude du cabinet Dexia dont le titre, «il faut redresser la barre» se suffit à lui-même. Et les responsables de cette étude d'ajouter : «des décisions doivent être prises, sinon…». Qu'est-ce qui motive donc cette levée de boucliers contre un PDG qui faisait jusqu'à présent —en termes élogieux s'entend— la “une” de tous les magazines people, qui en vantaient la spectaculaire réussite ? Réponse : une série de faux pas, des déclarations à l'emporte-pièce, des décisions très autocratiques, dont la dernière en date et la plus médiatisée est le limogeage du patron du groupe Canal +, Pierre Lescure, dénoncée par la quasi-totalité des salariés de la chaîne cryptée. Mais ce qu'on lui reproche essentiellement est une succession d'opérations hasardeuses, dont l'une -et non des moindres– est l'acquisition-fusion d'Universal. La petite phrase «l'exception culturelle française est morte» a heurté les tympans de tous ceux qui croyaient dur comme fer au soutien de la chaîne au cinéma français. J.-M. Messier, désormais, entend jouer dans la cour des grands. Il y joue encore, puisque à cette date, il reste toujours, malgré la protestation des petits actionnaires, le patron de Vivendi. Un patron toutefois quelque peu déstabilisé, qui a présenté ses excuses, ce 24 avril, pour son zèle en matière de communication et une certaine maladresse qui lui aurait valu bien des «incompréhensions». De légitimes inquiétudes Trois décisions ont donc été prises. Rejetée, la solution de l'injection de stock-options (actions cédées à bas prix au personnel de l'entreprise, mais profitant en général à l'encadrement) pour arrêter l'hémorragie. Rejeté aussi le recours à des nouvelles fusions-acquisitions. Repoussé, enfin, l'abandon de Vivendi Environnement, cœur de la vocation première du groupe (la Générale des eaux), qui aurait pu largement compromettre le programme d'assainissement, d'adduction d'eau et d'électricité dans la région de Tanger et Tétouan, une gestion déléguée pour 700 millions de dirhams. Un risque limité du côté marocain, puisque Vivendi est soumis à un cahier des charges très rigoureux. Si ce groupe ne respectait pas ses engagements, le contrat avec les pouvoirs publics et les collectivités locales concernées, serait dénoncé. Un écueil encore, celui de Maroc Telecom, dont Vivendi a acquis 35 % des participations pour la coquette somme de 23,3 milliards de dirhams. L'Etat, dans un contexte général de crise des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), qui concerne aussi bien les équipementiers que les opérateurs de la téléphonie mobile, se propose de céder 15% du capital de Maroc Telecom. Cette nouvelle cession partielle devrait s'effectuer en principe auprès des bourses étrangères, notamment européennes, puisqu'aucune entreprise ni aucun groupe marocain n'est en mesure de financer l'acquisition d'une telle part du capital de l'opérateur historique… Mais dans ce contexte de crise du secteur des télécommunications, qui était si prometteur, deux risques peuvent être évoqués. Le premier est relatif à la situation financière déficitaire de Vivendi, qui risque de limiter, sinon de mettre fin à ses investissements dans le domaine des télécommunications. Sauf si l'Etat marocain, encore majoritaire dans Maroc Telecom, a les moyens de poursuivre la politique de développement du secteur. Deuxième risque : l'Etat marocain aura peu de chance d'engranger les recettes qu'il aurait pu escompter. Ce qui ne manquera pas d'avoir des conséquences sur le budget de l'Etat, qui a appris, depuis quelques années, à compter sur les recettes des privatisations pour maintenir artificiellement le déficit budgétaire aux alentours de 3 % du PIB. Vivendi, qui bénéficie, en principe, d'un droit de préemption, aura-t-il les moyens de se porter acquéreur de la partie du capital que l'Etat envisage de céder, surtout après la nouvelle stratégie annoncée par Jean-Marie Messier, lors de l'assemblée générale du 24 avril ? La situation délicate des NTIC et les difficultés croissantes des géants du secteur ne sont pas de bon augure et suscitent légitimement une certaine inquiétude.