On pense généralement que la globalisation a pour but ultime de rassembler tous les pays autour de cet “idéal” qu'est le libéralisme. Les spécialistes ont montré depuis longtemps que cette unité se fait à travers le monde par la finance, et entraîne finalement un éclatement qui pousse au “chacun pour soi”. A l'abri du parapluie troué américain, sous lequel les bouches ouvertes se lèvent vers les miettes qui pourraient en tomber. C'est le sens de l'intervention italienne en Irak. Le Président du conseil Berlusconi ne voulait pas manquer la curée, espérant sans doute se faire attribuer quelques kilomètres d'oléoduc, et des contrats pour son holding. L'Italie est pourtant une puissance, membre à part entière du G7. Il faut compter cependant avec l'ambition personnelle de Berlusconi qui a conscience malgré tout qu'à la table des grands, il est placé tout au bout. C'est bien naturellement qu'il s'était rendu à Washington, et même à Camp David –privilège des privilèges- quand Walker Bush avait décidé d'engager des supplétifs en Irak. Il fallait les voir tous les deux en bras de chemise, Berlusconi riant à s'en décrocher ses mâchoires de squale. Le petit était devenu grand parce qu'il avait conquis l'amitié du grand petit. Il pouvait donc envoyer plus tard ses soldats en Irak pour y “maintenir l'ordre”, et affirmer à ceux qui comparaient l'ancien Président irakien à Mussolini que celui-ci n'avait jamais tué personne. On se demande ce qu'en pensent les Ethiopiens dont le pays a été militairement occupé en 1936. Quant aux Italiens eux-mêmes, ils ont encore en mémoire les massacres commis par les chemises noires fascistes, et la destruction de leur pays à la suite des multiples guerres du Duce. On sait qu'il a terminé, lui et ses ministres, fusillés et pendus par les pieds. Tout cela Berlusconi le balaye d'un revers de main, et l'on ne serait pas étonné s'il était tenté de réhabiliter la mémoire du dictateur. Donc Berlusconi avait envoyé ses soldats dans un Irak dont la résistance aux troupes américaines et autres s'organise et devient chaque jour plus meurtrière. C'est ainsi que 19 soldats italiens périrent. La presse italienne dévouée à Berlusconi se demande pourquoi. La vraie question est pourquoi l'armée italienne se trouve en Irak, au mépris de la propre opinion publique de son pays. Cette intervention s'est faite sans aucun mandat d'une organisation internationale. Elle est en armes et a vérifié que même équipée de fusils à “tirer dans les coins” une armée étrangère ne peut rien contre la résistance d'un peuple dans toutes ses composantes. Après la mort de ces soldats, on a vu débarquer leur ministre de la Défense qui a eu l'outrecuidance de comparer l'attaque contre son armée à la tragédie new-yorkaise. Le ministre a fait cette déclaration en bras de chemise et harnaché d'un gilet pare-balles carré qui lui protégeait l'estomac. Cela a clarifié les choses. La politique libérale et hégémonique de la Maison-Blanche est dictée par l'estomac, siège de toutes les pensées subtiles comme chacun sait. Il est désolant de voir qu'un pays comme l'Italie pétrie de culture, qui peut s'enorgueillir de compter parmi ses fils Pier Paolo Pasolini, Alberto Moravia, Enrico Berlinguer –parmi tant d'autres et pour en rester seulement à la deuxième moitié du XXe siècle- que ce pays soit aux mains d'un Berlusconi et de la Ligue du nord ouvertement xénophobe et raciste. Elus démocratiquement, certes. Il doit pourtant savoir qu'Enrico Mattéi, ancien Président de l'ENI avait obtenu pour son pays et pour les pays producteurs d'hydrocarbure des accords avantageux et généreux parce qu'il avait réveillé les consciences endormies. Enrico Mattéi l'avait payé de sa vie. On ne défie pas impunément les multinationales. Il est possible que le Cavalieri soit blackboulé aux prochaines élections, lui qui a déclaré après la mort de ses soldats qu'il était décidé à rester en Irak. Et d'ajouter : vous en avez tué 19, je les remplace par 75. Cela ne fera qu'augmenter son prestige auprès des pays arabes et musulmans. Quand Mussolini avait été arrêté par les Allemands, il avait été libéré par des forces fascistes, avec lesquelles il avait fondé la République de Salo qui avait duré de 1943 à 1945, jusqu'à l'exécution du Duce. Blackboulé, on se demande si Berlusconi créerait la “République de Fininuest”, son holding tentaculaire, avec pour devise cette déclaration de Mussolini en 1930 : “Nous sommes forts parce que nous n'avons pas d'amis,” que ne démentirait pas un Walker Bush. Décidément, malgré son puissant holding, il ne peut que se tailler un empire extérieur à sa mesure de césarion. César d'opérette, mais dangereux, il se fait construire des scènes aux dimensions démesurées pour ses meetings –notamment à la veille de l'invasion de l'Irak- qu'il arpentait de long en large, seul comme il se doit, comme un insecte pris au piège de la lumière. Peut-être est-il allé en Irak pour mesurer de près la supériorité de la civilisation qui l'a procréé sur la civilisation musulmane. Des soldats italiens l'ont payé de leurs vies. Cela ne l'empêche pas de pratiquer la fuite en avant, et dans son pays de tout verrouiller –croit-il- en faisant voter des lois favorables au premier chef à sa holding, et d'autres pour échapper à la justice. Puisqu'il admire tant Mussolini, on lui recommande cette déclaration du Duce faite en 1930 : “on peut sortir d'une tente pour entrer dans un palais, quand on est prêt, s'il est nécessaire, à retourner sous la tente ”. Le destin des dictateurs ne lui avait pas permis de rebrousser chemin.