Conjoncture internationale Le dollar a décroché brutalement la semaine dernière par rapport à l'euro qui a atteint un nouveau record historique à 1,1978 $. Cette chute du dollar déclenchée par la menace d'une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine a choqué des marchés qui redoutent les tendances protectionnistes américaines. Elle risque de freiner la reprise économique mondiale d'autant qu'elle s'accompagne d'une hausse des cours du pétrole. La baisse du dollar va-t-elle hypothéquer le redémarrage de l'économie mondiale ? C'est en tout cas le scénario que tout le monde redoute, en particulier en Europe. L'euro s'est envolé au milieu de la semaine dernière pour atteindre un nouveau record historique à 1,1978 dollar. Paradoxalement, la progression exceptionnelle du PIB américain au troisième trimestre (7,2 %) et la baisse du chômage (ramené à 6 % de la population active à fin octobre), n'ont pas joué en faveur du billet vert. Déjà affaiblie depuis plusieurs semaines par l'accroissement des risques terroristes (ce que vient confirmer le double attentat contre des intérêts britanniques à Istanbul) et géopolitiques, la problématique du financement des “déficits jumeaux” du budget et du solde courant et dernièrement par le scandale des mutual funds (fonds d'investissement, l'équivalent des OPCVM), la monnaie américaine n'a pas résisté à la menace d'une guerre commerciale avec la Chine après celle en cours à propos des surtaxes sur des importations d'acier de 8 % à 30 % et les perspectives de représailles européennes. C'est la décision du Département du commerce américain d'imposer des quotas sur les importations de certains produits textiles chinois qui a précipité la baisse du dollar. Le gouvernement américain a estimé que l'industrie textile américaine était gravement affectée par les importations massives en provenance de la Chine (plus de 300.000 emplois perdus depuis l'arrivée de G. Bush à la Maison Blanche). Cette mesure, qui invoque la clause de sauvegarde face à “l'invasion” des produits chinois, reste modeste. Elle ne porte que sur 500 millions de dollars sur des importations totales de textiles chinois de 10 milliards. Et ce d'autant que le déficit commercial américain avec la Chine sera compris cette année entre 120 et 130 milliards de dollars, après un déficit de 103 milliards en 2002. Tentation protectionniste américaine Cette décision a en fait une portée beaucoup plus symbolique. Ce qui a choqué les marchés, c'est la tentation protectionniste américaine qui porte un coup à la crédibilité de Washington en tant que porte-flambeau du libre-échange. Crédibilité déjà entamée avec l'échec de la Conférence ministérielle de l'OMC à Cancun en septembre, où les Américains n'ont pas cédé sur les subventions agricoles pour protéger leurs agriculteurs. Même le tout-puissant et prudent Président de la Réserve fédérale américaine (Banque centrale), Alan Greenspan, s'est mêlé au débat en soulignant que les tendances protectionnistes freinent le développement du commerce international et ralentissent la croissance. La défiance des investisseurs était déjà manifeste comme en témoigne la chute des entrées de capitaux aux USA, qui alimente les craintes des opérateurs sur les marchés et soulève la question du financement des énormes déficits américains, actuellement réalisé par les investisseurs étrangers, en particulier asiatiques (japonais et chinois en tête). Les statistiques annoncent que les étrangers n'ont investi que 4,2 milliards de dollars en bons du Trésor américain et en titres divers au mois de septembre. Un montant dérisoire comparé aux 50 milliards qu'ils ont achetés en août et aux 76 milliards investis en moyenne au cours des six premiers mois de l'année. Actuellement les opérateurs étrangers et même de nombreux Américains préfèrent investir sur les marchés européens plutôt qu'aux USA.Malgré un léger redressement à la suite de l'intervention de la Banque centrale japonaise pour éviter une appréciation du yen susceptible de compromettre le réveil de l'économie nipponne, le dollar reste à un cours très bas face à l'euro. Tous les économistes s'attendent à une poursuite de l'effritement de la devise américaine. Nombreux parmi eux voient l'euro monter jusqu'à 1,20 $; certains annonçant même un cours pouvant atteindre 1,30 $. Si ces prévisions devaient se confirmer, les perspectives de la reprise mondiale qui commençaient à se dessiner, risqueraient d'être gravement remises en cause. Ce sont particulièrement la zone euro et le Japon qui comptaient sur les bienfaits de la reprise vigoureuse de l'économie américaine pour consolider le redémarrage de leurs économies. “Si le dollar restait durablement autour de 1,20 dollar pour un euro, cela commencerait à poser un certain nombre de problèmes à la France et à toute l'Europe”, a averti le ministre français de l'économie.Par ricochet, l'effet sera perceptible sur l'économie marocaine. Pour le moment, l'effet de la dépréciation du billet vert reste limité, mais si comme tout le monde le redoute le dollar devait s'effondrer et que cet effondrement devait perdurer, notre pays serait nécessairement affecté dans le sillage de l'Union européenne. Pétrole en hausse La poursuite de la dépréciation du billet vert semble en tout cas inéluctable. La question qui se pose est seulement de savoir jusqu'à quel niveau il va chuter. Les autorités américaines, en dépit de leur discours peu convaincant sur la volonté de maintenir un dollar fort, semblent bien s'accommoder de la baisse du billet vert, voire l'encourager pour stimuler leur industrie et la renforcer face à la concurrence internationale. D'autant que les instruments d'une nouvelle politique de change susceptible de la redresser font défaut et que la volonté politique n'existe pas pour des considérations électoralistes. L'élection présidentielle aura lieu dans un an et l'Administration américaine ne prendra aucune mesure qui pourrait compromettre la réélection de G. W. Bush. En outre, les déficits astronomiques du budget et de la balance des paiements (respectivement près de 400 milliards de dollars et plus de 500 milliards en 2003) continueront d'exercer une pression sur le dollar et de constituer une source majeure d'instabilité de l'économie mondiale.A ces perturbations sur les marchés de change, s'ajoute l'envolée des cours du pétrole. Le prix du baril a dépassé pour la première fois les 33 $ depuis le déclenchement de l'agression américano-britannique contre l'Irak en mars dernier. Cette hausse qui déjoue même la stratégie de l'OPEP (un prix du baril compris entre 22 $ et 28 $) suscite les plus vives inquiétudes des pays occidentaux qui ont besoin d'un prix “raisonnable” du pétrole, et plus globalement des matières premières, pour consolider la reprise qui commence à se dessiner. Sans compter, bien entendu, les graves difficultés que cette hausse du brut ne manquera pas de créer aux économies en développement non productrices de pétrole, comme le Maroc. Même la dépréciation du dollar ne compenserait qu'une partie de cette augmentation de la facture pétrolière de ces pays. Au final, si le dollar “dévisse” et s'il n'y a pas de décrue des cours du pétrole, les perspectives de l'économie mondiale risquent de devenir moins favorables qu'initialement prévu.