Le Maroc, converti depuis une quinzaine d'années en terre de passage de milliers de subsahariens en partance pour l'Eldorado, s'apprête à faire le ménage chez lui. S.M. le Roi a ainsi présidé le 10 novembre une séance de travail consacrée à la question de la migration et de la surveillance des frontières. Le Souverain a annoncé la création de deux institutions de haut niveau rattachées au ministère de l'Intérieur et destinées à encadrer la lutte contre le fléau. C'est à un moment déterminant que le Maroc, sous les hautes directives de Sa Majesté le Roi, décide de mettre en place une véritable administration sur son territoire pour lutter contre l'émigration clandestine et les réseaux de passeurs d'hommes. Derrière le trafic qui s'opère dans le Détroit de Gibraltar, plus de 120 milliards de centimes sont brassés chaque année par les organisations internationales. Les candidats à l'émigration sont recrutés par des rabatteurs locaux, qui ne sont qu'un chaînon dans la longue filière qui mène les candidats de leurs pays d'origine vers l'Europe. La première instance, créée par S.M. le Roi et qui aura un rôle exécutif, sera la Direction de la migration et de la surveillance des frontières, chargée de mettre sur pied un programme national de lutte contre le trafic humain, de démanteler les réseaux et de poursuivre juridiquement les coupables. La seconde instance, appelée Observatoire de la migration, aura pour mission de constituer une banque de données et de proposer des études sur le phénomène de la migration illégale au Maroc. Ce sont les deux instruments appropriés pour coordonner entre l'action et la prévention, entre la justice et la sociologie afin de déboucher sur des mesures efficaces et enrayer définitivement le fléau en quelques années. Dans ce cadre, la nouvelle loi sur la migration représente une réforme majeure, notamment en ce qui concerne la criminalisation des actions liées au trafic des êtres humains et l'aggravation des peines prévues dans ce domaine. Le taux migratoire le plus bas depuis cinq ans Chez nos voisins ibériques, il apparaît que le flux de migration se soit légèrement tassé ces derniers mois, avec une chute sensible des taux d'entrée en Andalousie, à Ceuta et à Melilla. La pression migratoire a baissé depuis septembre, malgré les événements tragiques qui rythment encore épisodiquement l'actualité du Détroit. Le renforcement des contrôles aux frontières naturelles qui s'est accru depuis le 16 mai, puis depuis l'affaire Erramach, y est pour quelque chose. Selon des sources de la Guardia civile espagnole, "c'est le taux le plus bas depuis quatre ou cinq ans et la moyenne de passage des émigrants qui avoisinait à Melilla six clandestins/jour, avec près de 170 passages mensuels, est tombé à deux par jour, soit une moyenne de 60 clandestins par mois”. Cette importante réduction du va-et-vient des passeurs d'hommes, qui touche tout le Nord du pays, n'est que provisoire, elle est due aux efforts déployés par les autorités marocaines ces derniers mois sur les frontières. Pareillement, des sources de la Délégation du Gouvernement de Ceuta informent que la ville n'a jamais enregistré un niveau aussi bas d'immigrants depuis le début du phénomène migratoire en 1992. Le Maroc prêt à en découdre avec le fléau Le Maroc est aujourd'hui en passe de réhabiliter ses frontières avec l'Europe, en jouant jusqu'au bout le jeu du gendarme dans le Détroit. La Direction de la migration et de la surveillance des frontières devrait rapidement aboutir à des résultats concrets sur le terrain. Si la surveillance des frontières naturelles se révèle inexécutable -l'Espagne et l'UE avec leurs moyens n'ayant jamais réussi-, il n'en sera pas de même en ce qui concerne la neutralisation des réseaux de passeurs installés dans le Nord, avec pignon sur rue dans les autres villes du Royaume où se recrutent les candidates et candidats au voyage. Les activités de la mafia marocaine seront démystifiées et les réseaux démantelés si les pressions des autorités se font insistantes et pragmatiques dans les milieux des trafiquants. Des résultats probants ont déjà été obtenus tout au long de l'année 2003, avec des vagues d'arrestations de candidats sans précédent. Mais les passeurs, les organisateurs, eux, restent en général dans l'ombre… Qui sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas inquiétés par la police locale qui a longtemps fermé les yeux sur leurs activités? S'il est avéré que l'argent, la corruption ont acheté de longues années de silence, il faut désormais que le voile soit levé et que des condamnations dissuasives soient rendues publiques. Entre temps, l'Espagne tire profit de la situation L'Espagne est le fer de lance du combat mené par l'Union européenne. Le débat est gâté par les multiples concessions faites par l'UE à son partenaire du Sud et par une approche du problème estropiée. De cette forme, l'immigration en Europe a été posée comme une source de problèmes pour l'Espagne et le reste du continent alors que dans les faits les pays industrialisés tirent un avantage énorme de cette manne d'ouvriers très bon marché qui se retrouvent exploités à leur arrivée sur le continent. L'Espagne tire profit d'une situation mondiale catastrophique en fermant les yeux sur le contexte socio-économique des clandestins subsahariens et arabes, fait de conflits, de guerres, de maladies et de pauvreté. Comme exemple du degré de cynisme atteint dans ce dossier et de la disproportion des actions, il suffit de rappeler le “coût social” accumulé par l'Espagne en matière de protection et de lutte contre l'immigration : plus de 30.000 millions de pesetas, pour blinder Ceuta, Melilla et la côte du Détroit, dont mille millions consacrés uniquement au camp de Calamocarro de Ceuta, sur lequel nous présentons un reportage en page 16. C'est trois fois plus que ce que l'Espagne a investi dans ses parcs nationaux et dix fois plus que ce qui a été investi dans les différents programmes de la jeunesse espagnole. Le bilan des quatorze dernières années est lourd : plus de 40.000 clandestins morts dans le Détroit de Gibraltar, près de 200.000 immigrants en situation de clandestinité exploités par le marché industriel espagnol, qui font souvent l'objet d'attaques racistes, vivent sans aucun droit, n'envoient pas leurs enfants à l'école, ne bénéficient d'aucun programme de santé ni d'aide sociale. Dans les faits, l'Europe frappe l'immigration d'une main en faisant appel à des principes humanitaires, mais empoche de l'autre main les bénéfices extraordinaires générés par la situation illégale des clandestins. Jusqu'à quand ? L'Espagne et l'UE doivent de leur côté combattre le marché noir et l'exploitation de malheureux sans papiers, en réhabilitant le visage de l'Europe dans le monde. Attributions et organisation des nouvelles instances La Direction de la migration et de la surveillance des frontières : Mission principale : mise en œuvre opérationnelle de la stratégie nationale de lutte contre les réseaux de passeurs de clandestins et surveillance des frontières. Représentants : une Brigade nationale de recherche et d'investigation chargée de la lutte contre la migration illégale. Elle aura pour compétence l'instruction des dossiers sur tout le territoire national. Elle reposera sur sept délégations provinciales et préfectorales (Tanger, Tétouan, Al Hoceïma, Nador, Larache, Oujda et Laâyoune) dont l'objectif sera la mise en œuvre au niveau régional de la stratégie nationale en matière de lutte contre la migration illégale. En outre la Direction de la migration et de la surveillance des frontières disposera de comités locaux dans les autres provinces et préfectures chargées de la collecte et de la transmission des données relatives à la migration. L'Observatoire de la migration : Mission principale : elle portera sur l'élaboration de la stratégie nationale dans le domaine de la migration. A cet effet, cet Observatoire se chargera de centraliser toutes les informations liées à la migration et de mettre à jour une base de données des statistiques au niveau national. Il devra en outre proposer aux pouvoirs publics des mesures concrètes dans le domaine de la migration, réaliser des études et mener des projets de recherche portant sur les tendances des flux migratoires et assurer la diffusion de rapports périodiques sur la migration. Représentants : l'Observatoire de la migration sera composé de représentants de tous les départements concernés par la question migratoire (ministère de l'Intérieur, Affaires étrangères, Finances, Justice, Emploi, FAR, Marine Royale, Gendarmerie Royale, Douanes, Direction générale de la Sûreté nationale, Forces auxiliaires).