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Une majorité en sursis
Publié dans La Gazette du Maroc le 20 - 10 - 2003

Mise à mal lors des élections communales, la majorité gouvernementale est fragilisée et la clarification politique reportée.
Le suspense n'aura pas duré longtemps. Les remous qui ont précédé l'élection du président de la Chambre des conseillers ont été assez vite circonscris. Driss Jettou est parvenu à éviter le pire, à savoir la division déclarée des partis de “sa” majorité gouvernementale. Il a multiplié les réunions et les efforts de conciliation pour convaincre les différents protagonistes d'accepter la reconduction de Mustapha Oukacha à cette présidence.
Cependant, cette dernière avait suscité les convoitises du parti de l'Istiqlal et des trois composantes de la “Mouvance populaire”. Arguant du fait qu'il est venu en tête des élections communales, le Parti de l'Istiqlal s'est déclaré pour la candidature de Abdelhak Tazi. La Mouvance populaire se situant théoriquement au premier rang a vu s'exprimer les velléités de plusieurs candidats. La confusion était ici de la partie : il y eut deux prétendants “harakis”, l'un appuyé par le MNP de Aherdane et l'autre appuyé par le reste des partis de la mouvance mais contre la volonté du chef de l'Union démocratique, Bouazza Ikken. Cela promettait des échauffourées au sein de ladite Mouvance où les rivalités et les prétentions à la prééminence qui déchirent les éternels frères ennemis sont montées de quelques crans. Ceci au moment où, pour la galerie, les trois partis harakis sortaient un communiqué où il était question de “prendre de nouvelles initiatives pour conforter leur cohésion en vue de l'objectif stratégique de la réunification”. Une “direction collégiale” était censée “préparer un congrès ou créer une instance de coordination” : c'est-à-dire que le flou persiste et que la référence à un “pôle haraki” ne semble pas avoir d'objet palpable.
Rivalités exacerbées
Déjà les élections des présidents des communes et arrondissements et le renouvellement du tiers sortant de la Chambre des conseillers avaient passablement discrédité les instances élues du fait des alliances et marchandages de toutes sortes. L'élection du président de la deuxième Chambre risquait de porter le désordre à son comble. Driss Jettou a pu faire valoir des arguments et des appuis suffisamment persuasifs pour sauver d'un désastre certain ce qui restait de “la coalition gouvernementale”. Le Premier ministre semble ainsi assurer la survie du gouvernement qui reste cependant en sursis. S'il a pu surmonter, grâce à son sang-froid, la tentative de déstabilisation, par médias interposés, qui l'avait visé au lendemain des communales, le doute persiste quant à la cohésion et l'efficience de l'équipe gouvernementale. La pression exercée pour maintenir le statu quo à la Chambre des conseillers est le signe d'une volonté de temporisation. Un changement de gouvernement aurait dû faire face à l'écueil d'une reconfiguration de la composition actuelle ou d'une nouvelle “alternance” avec une autre “majorité”.
Déjà l'exacerbation des rivalités entre l'USFP et l'Istiqlal pour la présidence des commissions à la Chambre des représentants et les prétentions affichées par les Harakis pour une meilleure quote-part au gouvernement n'améliorent pas le climat au sein de ce dernier.
Les semaines à venir indiqueront si l'embarcation de Driss Jettou, qui a pris beaucoup d'eau depuis les élections de septembre, sera en mesure de garder le cap. Deux projets de poids seront examinés durant cette session au parlement : la loi de Finances et le nouveau Code de la famille. La majorité saura-t-elle faire preuve de cohérence avec la discussion de ces projets ou va-t-elle continuer à être minée par des dissensions sans perspective ni consistance ?
Quid de “l'opposition” dans ce charivari ? On a vu qu'avec les communales, les partis minoritaires ont pu remporter des mairies et des présidences de communes convoitées. Grâce aux marchandages, ils ont pu apparaître comme gagnants et on a vu certains de leurs dirigeants clamer, avec combativité, leur aspiration à revenir aux affaires. Revendiquant la légitimité des urnes, ils veulent être décomplexés par rapport à leurs origines d'anciens “partis de l'administration”. L'UC, notamment use dans sa presse d'un ton vindicatif à l'adresse de l'USFP et des autres partis de gauche.
Ce n'est pas par coïncidence qu'elle imite les positions et le langage du PJD à cette fin. Le parti du Dr Khatib qui s'est lui aussi mobilisé au cours des élections pour contrer les partis de gauche, taxés d'“éradicateurs” (et non plus “d'impies”), ne voit pas d'un mauvais œil ce compagnonnage avec les autres composantes de l'opposition. Au moment où le nouveau Code de la famille est proclamé, il ne fait pas bon d'être seul. La tendance participationniste du PJD, incarnée par A. Benkirane, serait même disposée à entrer dans une combinaison gouvernementale en cas de composition d'une nouvelle majorité.
Ni majorité ni opposition
Dans ce flou généralisé, les clivages semblent s'effacer. Au point que le secrétaire général du PPS, Ismaïl Alaoui, dans une interview à “Al Bayane” (16 octobre) a cru devoir affirmer “qu'il n'y a ni majorité ni opposition véritables, mais un consensus historique de transition”. Ce n'est qu'à l'échéance des prochaines élections législatives que se produira le “dépassement de cette phase de transition”.
Il en conclut que “l'expérience du compromis historique qui a donné lieu au premier gouvernement d'alternance doit se poursuivre”.
Battue en brèche, cette expérience est-elle vouée à se survivre sans véritable dynamique ou va-t-elle s'éroder davantage ? La pratique du nomadisme entre groupes au parlement n'est pas, de ce point de vue, rassurante. Elle se poursuit sans la moindre gêne et elle ruine le peu de crédibilité des appartenances politiques. La querelle entre l'USFP et le PI pour la présidence de la commission des finances à la Chambre des représentants a pour cause, précisément, ce nomadisme.
L'USFP veut que seuls les premiers résultats officiels des élections législatives de septembre 2002 soient pris en compte pour le classement des groupes, ce que l'Istiqlal veut reconsidérer car grâce à 4 nomades, son groupe est devenu numériquement le premier.
Les seuls partis non affectés par ce phénomène sont du reste l'USFP et le PJD alors que le nouveau parti “haraki”, l'Union démocratique de B. Ikken, a battu le record avec l'accueil de 17 nomades. Le parlement n'est pas parvenu -et pour cause !- à adopter un règlement concernant le nomadisme. On ne sait si le projet de loi sur les partis qui est encore à l'étude au gouvernement prévoira des garde-fous pour limiter de telles pratiques (en annulant, par exemple, le poste d'élu, en cas de rupture d'appartenance, et en procédant à une élection partielle dans les circonscriptions concernées).
Au moment où la dynamique du changement est remise fortement à l'ordre du jour avec l'annonce du nouveau Code de la famille, le microcosme des partis ne semble guère en mesure d'opérer sa remise en question et son aggiornamento. Le relais pris par les organisations de la société civile pour alimenter un débat de fond s'avère encore plus nécessaire face à cette carence.


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